Dans sa quête de réconciliation nationale, les dirigeants de l’ANC n’ont pas voulu opérer de changements radicaux en imposant une redistribution forcée des terres et des biens en faveur des classes les plus défavorisées.
L’expérience du Zimbabwe voisin qui a mis en place une politique radicale de confiscation des terres des minorités blanches et de sa redistribution aux populations les démunies a montré que cette solution n’était pas la panacée. L’ANC en Afrique du Sud a misé sur une transformation à long terme de la société pour lutter contre les inégalités. Les différents gouvernements ont misé sur une accélération de la croissance économique et une meilleure répartition de ses fruits pour corriger les inégalités héritées du passé. Par ailleurs, ils ont mis en place un programme de renforcement économique de la population noire ou le fameux Black Economic Empowerment Programme dont l’objectif est d’opérer un transfert des richesses et du pouvoir économique de la minorité blanche vers une nouvelle classe d’affaires noire. Ce programme a mis en place une série d’actions dont un quota dans les postes les plus élevés des grandes entreprises pour les noirs, une présence forte des noirs dans les conseils d’administrations des grandes entreprises ou la cessation de parts du capital de ces sociétés pour des hommes d’affaires noirs avec l’appui des banques.
L’ensemble de ces mesures ont certes produit quelques changements avec notamment l’émergence d’une nouvelle élite noire qui a mis le pied dans le monde des affaires. Eddy lui-même fait partie de cette nouvelle élite noire. Cependant, la question des inégalités reste réelle, explique notre ami, et l’exclusion est toujours forte particulièrement pour les populations noires les plus pauvres du pays. Ce sont ces inégalités qui expliquent les images de désespoir et de désolation sociale que l’on a rencontrées à la marge de Soweto. Ces inégalités sont à l’origine des révoltes sociales et des explosions de la colère qui éclatent de temps à autre en Afrique du Sud et particulièrement dans les régions minières où la détresse sociale est à son comble. Cette réponse réformiste des révolutionnaires convertis en pragmatiques à la question des inégalités semble atteindre ses limites. Et, surtout elle n’a pas touché, d’après notre ami, les fondements structurels des inégalités. Ainsi, les inégalités sont restées fortes en dépit de la révolution et le changement de régime n’a pas rompu avec la marginalité sociale passée.
Ces difficultés sont au cœur d’un grand nombre d’interrogations et de questionnements en Afrique du Sud. Car beaucoup, et particulièrement au sein de l’ANC, n’acceptent pas cette idée que la majorité noire soit encore dans le dénuement en dépit de l’arrivée de ses représentants au pouvoir. Plusieurs solutions à long terme sont discutées notamment à travers un renforcement de l’accès de ces populations à l’éducation de base et aux universités. Certains appellent à développer d’importants programmes de logements sociaux afin de favoriser l’accès des populations noires à des conditions de vie décentes et favoriser leur accès aux circuits économique. D’autres encore militent pour un renforcement des programmes sociaux et des programmes de santé pour extraire ses populations des épidémies et leur donner les meilleures conditions pour s’intégrer dans la vie sociale.
Mais, ces débuts de solutions ne cachent pas l’amertume et le tourment des nouvelles élites noires face à cet échec de faire face à l’inégalité. Une désolation qui se lit sur le visage de mon ami Eddy M. qui nous ramenait à notre hôtel dans sa voiture étincelante.
Le temps de saluer tout le monde et de revenir à la situation des pays du Printemps arabe et à la nécessité de faire face à l’inégalité qui était au cœur des révoltes et du réveil des peuples arabes qui ont emporté les dictateurs. Et, de penser que c’est de la capacité de nos révolutions de faire face à cette exigence de justice et d’inclusion que dépendra la réussite de nos transitions démocratiques.
Par Hakim Ben Hammouda