Les séquelles d’une décennie de braise

Le Président de la République, Kaïs Saïed, a reconnu récemment, lors d’un entretien avec le Chef du gouvernement, Kamel Madouri, que «le fardeau est lourd et que l’héritage l’est tout aussi en raison des politiques qui ont été suivies». Il faut avoir une imagination débordante ou faire preuve d’une dose très élevée de mauvaise foi, ou les deux en même temps, pour continuer à nier cette vérité. Car le mouvement contestataire déclenché le 14 janvier 2011 a engendré un régime sans foi ni loi où responsables et décideurs sont incompétents et corrompus. Le pays est devenu au creux d’un carrefour vers lequel dévalent plusieurs camions fous dont les freins ont lâché : extrémisme, terrorisme, vampirisme, malversation, détournement de prêts étrangers, organisation de filières d’émigration clandestine asservies à des réseaux terroristes et mafieux, jeunesse sacrifiée, dette publique explosive, impasse budgétaire…Quel peuple aura connu, en une seule décennie, une telle saignée ? Quelles politiques, quelles visées et, au-delà, quelles idées peuvent conduire à une infamie de cette ampleur ?
Le peuple, saigné à blanc, n’a pas accepté cette situation fondée sur la cruauté, l’obscurantisme, l’ignorance, le vampirisme et le mensonge. Il est légitime, donc, d’accuser, en premier lieu, les gouvernements qui se sont succédé pendant cette décennie de braise et qui ont instauré une caste prédatrice plus soucieuse de la rente de ses dirigeants et de ses fidèles que du bien-être de la population, par idéologie ou par intérêt, compliquant la mise en œuvre de politiques efficaces. Légitime aussi de pointer la responsabilité et le court-termisme des élites intellectuelles et médiatiques bien trop passives.
Les Tunisiens étaient en droit de s’attendre à une nouvelle donne pour leur pays. Après tout, une Révolution, avec une majuscule, signifiait l’accouchement d’une ère nouvelle, délivrée de l’exploitation d’un régime autoritaire. C’est ce moment décisif où le peuple renverse la domination des oppresseurs et accède à un pouvoir libérateur. Malheureusement, tout ce qui a alimenté l’espoir a volé en éclats et le rêve a été kidnappé. Les citoyens ont battu tous les records en matière de pessimisme. Rongés par le désespoir, le misérabilisme et le ressentiment, ils paraissent n’avoir d’oreille que pour les sectes apocalyptiques qui, sur à peu près tous les sujets, veulent leur faire prendre des vessies pour des lanternes.
Plus de trois ans après la chute des islamistes et leurs idiots utiles, bien des choses continuent à menacer le pays, sans qu’on dispose de réponses crédibles. Il existe pourtant des réponses qu’il nous appartient de mettre en œuvre face aux terribles dangers qui guettent notre société. Et pourtant, on ne le fait pas. Et si nous restons, encore, les bras ballants, le pays sera bientôt englouti par un malaise généralisé portant toute la signification d’un vrai désastre.
Les leçons de la décennie de braise devraient nous inciter à refixer de nouveaux piliers dans l’art de gouverner le pays en valorisant le capital humain dans toutes les régions. Parce que quand on permet aux talents qui naissent dans les quartiers populaires et les régions marginalisées d’accéder à l’enseignement dans toutes ses étapes, c’est aussi l’économie dans son ensemble qui en bénéficie. Quand on améliore la santé des citoyens, c’est aussi la productivité qui s’élève. Quand on fait de la culture une priorité, c’est aussi une nouvelle issue de secours qui s’offre pour cette société un peu calcifiée. Il nous faut donc une politique qui s’engage à faire de cette entreprise de valorisation sa tâche principale tout en redoutant les propositions superficielles et populistes de ceux qui prétendent défendre les «intérêts du peuple» pour mieux les saborder.

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