A peine évoquées sur les hauteurs de l’Etat, les nouvelles organisations agroéconomiques, déjà implantées à Béni Khiar et à Gafsa, déclenchent les vives critiques d’Ennahdha où complotent maints renégats.
Sans cesse aux aguets pour tout saboter, les revanchards dégagés, redoublent de férocité. Stigmatisées, les « charikat al ahlia » attirent l’ire déversée à travers deux objections infondées. D’une part, ces configurations communautaires affaibliraient l’autorité centrale au profit du régionalisme, propice au tribalisme et d’autre part, elles auraient à voir avec la dérive conclusive des coopératives. L’une et l’autre erronées, ces deux élucubrations engagent sur un terrain miné, où les nahdhaouis savent opérer. En effet, la revalorisation du régional et du local, bien loin d’affaiblir le pouvoir central contribue au contraire, à le consolider par l’atténuation de la marginalisation, reproche à juste titre, mentionné même par les contradictoires nahdhaouis.
Quant à l’argumentation exhibée au sujet du système coopératif, elle recourt à l’amalgame et inscrit par pertes et profits l’évidence de la différence. Car l’institution des coopératives procédait par confiscation de la terre et mise au salariat de la paysannerie parcellaire. L’intense ressentiment, provoqué par l’expropriation et la dépossession, aboutit à la déflagration, quand Ben Salah décida l’extension des UCP aux domaines latifondiaires et, par-là, importuna Wassila. Telle fut la principale conclusion dégagée dès 1969, par une recherche menée à l’Institut des sciences économiques appliquées. Pour les tenants de l’entreprise collectiviste, il s’agissait de ponctionner un surplus soutiré des secteurs commercial et agraire pour l’investir dans l’implantation de l’industrialisation. Ce schéma du « socialisme tunisien » sacrifiait à la mode collectiviste en vogue après la délivrance procurée par les indépendances. Le super-ministre des Coopératives, à la fin aux abois, fut conseillé par G. de Bernis, l’héritier spirituel de François Perroux. En l’an 1969, quand Ben Salah comparaît devant le juge, celui-ci assène, en guise de réquisitoire, la recherche entreprise par mes soins exclusifs à l’ISEA.
Présent auprès de Ben Salah, Brahim Haydar me dira : « Quand le juge évoqua la colère des coopérateurs », leur misère et le sabotage mené pour détruire de l’intérieur les coopératives, Ben Salah baissa la tête et murmura que s’il le savait, il arrêterait lui-même, l’expérience ». Pour la petite histoire, le texte-réquisitoire fut imputé par un média à « une équipe d’experts étrangers dignes de foi ». Toutefois, il n’y avait ni équipe, ni experts, ni étrangers, ni tralala. Ya hasra !
De nos jours, la vision et la conceptualisation des « charikat al ahlia » » paraissent corriger l’erreur du passé. Il n’est plus question de commencer par séparer les travailleurs de leurs moyens de production. Bien au contraire, le collectif, local ou régional, aurait à titre volontaire l’art de prendre en charge son terroir. Aujourd’hui, madame Hédia Bahloul, Directrice de recherche au CERES, me dit : « Je prépare une recherche de terrain à propos des charikat al ahlia. Une étude comparée avec les coopératives anciennes aurait l’avantage d’éclairer la décision politique par l’investigation sociologique ». En outre, ce travail méritoire clouerait le bec des cafards. Car à quoi sert une cogitation cloîtrée dans la tour d’ivoire quand le pays broie du noir par la grâce du gourou prêt à tout falsifier ? De nos jours encore, il inscrit la chétive affluence aux Législatives à l’actif de son parti. Mais ce rejet massif, explicite le dégoût populaire de l’univers parlementaire depuis la mascarade introduite au Bardo par les salops. Selon Clifford Geertz, il n’y aurait que des opinions.
Cependant, celles-ci ne s’équivalent pas, vu la roublardise de la choura.
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