Les tourments des « vieilles filles »

 

Les filles seules se trouvent de nouveaux défauts,

De nouvelles rides…
Et pendant ce temps-là, elles ne se rendent plus compte
Qu’elles se sentent seules jusqu’au bout des ongles
Et que cette maudite solitude leur fait honte
Lynda Lemay – Les Filles Seules
Le qualificatif de « vieille fille » est peu élogieux, voire péjoratif. Il désigne une femme sans enfants qui a dépassé l’âge du mariage. Une notion qui a tendance à disparaître de nos jours, car pour certaines, elle est offensante. Le moment fatidique à partir duquel on devient vieille fille a cependant évolué avec le retardement de l’âge du mariage qui est autour de la quarantaine.

Notons également que le thème des vieilles filles a été traité par la littérature, avec un court roman de Balzac et par le cinéma dans un film où jouait Bette Davis en 1939 et plus récemment, en 1972 avec Annie Girardot et Philippe Noiret dans les rôles principaux. Son équivalent masculin est vieux garçon, peu utilisé et dont le nombre est moins important…

Plongée dans un monde discret, voire secret, découverte d’une catégorie de femmes mal aimées et qui parfois ne s’aiment pas elles-mêmes…

 

Il voulait marier deux millions de vieilles filles

Chez nous, la dernière fois que le large public a entendu parler de ce sujet, c’est lorsque l’islamiste Bahri Jelassi, a estimé fin août 2014 que le Code du statut personnel (CSP) est le principal responsable du nombre élevé de « ânissat » (vieilles filles) en Tunisie. Candidat à la présidence de la République, l’une de ses promesses de campagne a été le projet de marier deux millions de filles. Adepte de la polygamie, il souhaitait baisser l’âge légal du mariage des filles à 12 ans, ce que certains considèrent comme de la pédophile. Ses divagations n’ont pas eu de lendemain et ses idées se sont fracassées sur la vision moderniste des  Tunisiens.

En fait, le dernier recensement réalisé en 2014 montre qu’il n’y a pas une profusion de filles et que le nombre des deux sexes a tendance à s’équilibrer. Les hommes représentent 50,2%, tandis que de femmes, sont 49,8%. Le problème est donc ailleurs… Pour notre sociologue « il y a quelques décennies, les Tunisiennes ne connaissaient pas ce problème et la plupart étaient fiancées dès le lycée et se mariaient vers 25 ans. Entre-temps, il y a eu l’allongement des études, l’affaiblissement de l’autorité paternelle, une libération progressive des mœurs, le rejet de certaines traditions par les femmes qui sont économiquement indépendantes. »

Un ensemble de facteurs qui ont contribué à donner plus de liberté aux femmes tunisiennes et qui les ont débarrassées du carcan familial et des traditions ancestrales. L’allongement de la durée des études a été l’élément déclencheur, puisque de nombreuses jeunes filles se concentrent davantage sur leurs études puis sur leur carrière, avant de penser à fonder un foyer et à procréer.

Neila, trente trois ans, a vécu ce parcours et elle ne le regrette pas : « j’appartiens à une famille pauvre et durant toute mon enfance j’ai souffert des privations. Alors j’ai tout fait pour réussir mes études en informatique et fonder une société de services spécialisée dans la gestion. Aujourd’hui je gagne plus d’argent en un mois que mon défunt père en une année et je ne suis pas prête à perdre mon temps avec un mari qui profiterait de mon argent… »

Des arnaqueurs, elle en a connu par dizaines, qui étaient plus intéressés par ses revenus que par sa personne. Et elle n’est pas la seule dans ce cas : des centaines de vielles filles subissent les combines des arnaqueurs qui pensent qu’elles sont faciles à cause de leur âge. Mais ils se trompent beaucoup car leurs proies se révèlent souvent coriaces.

Célibataires par choix

D’autres ont abandonné l’idée de se marier volontairement pour des raisons inattendues, étonnantes même. Samira, trente six ans, affirme : « moi je veux vivre pleinement ma vie de célibataire, faire l’amour avec celui qui me plait et profiter de mon argent, même si je ne suis pas très riche. Et franchement, quand je vois mes parents et même les couples plus jeunes tout autour de moi, je n’ai pas envie de partir dans une aventure perdue d’avance, avec des scènes de ménage quotidiennes ! »

De leur côté, les hommes ne veulent pas s’engager avec une fille trop âgée et seuls les divorcés ou les veufs se marient avec celles qui ont dépassé la trentaine. Une situation qui pose parfois des problèmes, car ils ont souvent des enfants en bas âge ou pire encore, adolescents. La jeune belle mère se retrouve ainsi à s’occuper des enfants des autres, alors qu’elle voulait élever les siens… Généralement ça se termine par des scènes de ménage et un divorce, car la vieille fille est mal préparée à ce genre de situation.

Pour notre sociologue « il y a là un choc des cultures entre une tradition qui veut qu’une femme se marie jeune et la société moderne qui lui permet de vivre sa vie comme elle l’entend, ce qui ne manque pas de créer des tensions au sein des familles. Et si elles se marient, c’est uniquement pour avoir un enfant, ce qui est aujourd’hui possible au-delà de quarante ans… »

Nizar, cadre commercial de trente huit ans, a une toute autre idée du problème : « nos filles ne trouvent pas preneur car elles ont un niveau d’exigence astronomique : il faut que le mari gagne plus de 5000 dinars par mois pour satisfaire le minimum de leurs besoins. Et puis il y a les prétentieuses, qui ont une très haute estime d’elles-mêmes. Le temps qu’elles atterrissent, elles ont plus de trente ans et elles se retrouvent dans les profondeurs de la file d’attente pour le mariage. Elles ne parviennent plus à se caser, même en revoyant à la baisse leurs exigences ! »

Selon un homme d’un âge certain « les filles qui vivent seules deviennent souvent des égoïstes notoires, reportant leur affection sur des animaux de compagnie parfois très moches, mais qu’elles considèrent comme leurs enfants. Elles ont des idées toutes faites sur le compagnon idéal, tout en étant convaincues qu’elles ne le trouveront jamais. Et puis, avec les années, elles réalisent qu’elles ne plaisent plus à cause de l’âge et des rides qui se dessinent lentement mais sûrement, malgré les crèmes… »

Lamia, la trentaine, admet que ces propos ont une part de vérité, mais elle pense que « les hommes se marient eux aussi de plus en plus tard et dans ce cas là, ils veulent une femme mûre, pas une gamine. Et pour qu’un vieux me plaise, il faut juste qu’il soit gentil, pas trop moche et relativement aisé. Car moi je suis trop indépendante pour laisser quelqu’un d’autre entrer dans ma vie et déranger mon confort douillet et surtout m’imposer les programmes télé ou le foot ! »

Tous ces témoignages montrent que le statut de « vieille fille » n’est pas très confortable et qu’elles souffrent d’un rejet certain. L’argument le plus souvent cité se résume dans les propos de cette dame mariée, qui a coupé les ponts avec sa meilleure amie : « ce sont des voleuses de maris et moi j’ai découvert à temps qu’elle cherchait à séduire mon époux. Depuis, je me méfie de toutes les vielles filles ! »

Les vieilles filles à travers le monde

C’est dans les pays arabes et musulmans que le statut de la femme en général et des vieilles filles en particulier est le plus délicat, mais en Chine aussi, la vie n’est pas facile pour elles. Voici deux exemples qui montrent que l’étroitesse d’esprit est très partagée à travers le monde…

En Egypte,  Yomna Mokhtar a créé sur facebook un groupe appelé « Vieilles filles pour le changement ». Exaspérée par les pressions exercées sur les femmes célibataires dans son pays, où le mariage confine à l’obsession, cette jeune égyptienne a décidé de voler au secours des « vieilles filles » pour changer le regard porté sur elles par une société patriarcale.

Dans un pays conservateur où la religion est omniprésente, se marier est une obligation et des associations islamiques organisent régulièrement des mariages collectifs pour les plus défavorisés dans le but avoué d’éviter les comportements « déviants », c’est à dire les relations sexuelles hors mariage.

Qu’elles étudient ou qu’elles travaillent, les femmes non mariées sont perçues comme étant « incomplètes » selon Yomna, qui évoque les souffrances psychologiques des filles pas encore mariées. Dès que la trentaine approche, les remarques désobligeantes fusent, car dans ce pays on inculque à la fillette que son but dans la vie c’est de se marier et d’avoir des enfants.

« Celles qui restent »

En Chine les jeunes femmes qui restent célibataires après 25 ans sont appelées « Sheng Nu », c’est-à-dire « celles qui restent ». Inquiets du célibat prolongé de leurs filles, certains parents arrangent souvent des rencontres avec des prétendants bien sous tous rapports.

Ces dernières années, l’âge moyen du mariage n’a cessé de reculer dans les grandes villes chinoises passant de 21,8 ans en 1985 à 26,1 ans en 2007. Si la situation des hommes ruraux ne trouvant pas d’épouse inquiète, dans les villes ce sont les centaines de milliers de femmes célibataires qui sont devenues un véritable phénomène de société et un problème à résoudre pour le gouvernement et les familles.

Le principal reproche fait à ces femmes, souvent éduquées et financièrement indépendantes, c’est d’être trop « égocentriques », trop « modernes » et d’avoir des attentes trop élevées. Lorsqu’elles finissent leur études et qu’elles sont prêtent à se marier, elles ont déjà plus de 27 ans  et souvent les hommes de leur âge préfèrent des filles plus jeunes. Ne restent alors sur le marché que les hommes divorcés ou les veufs.

Rien de vraiment enthousiasmant !

Yasser Maârouf

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