Les urnes ont été impitoyables

Mardi 28 octobre : la journée électorale de dimanche s’est déroulée dans le calme dans tout le pays. Le bureau de vote où j’étais inscrit était bien organisé, bien gardé par l’armée et la police. Dans les files qui attendaient devant les deux bureaux de vote, l’ambiance était joyeuse, les citoyens et citoyennes plaisantaient, cédant leur place aux personnes âgées.
Dans la salle, bien organisée, le chef de centre et les assesseurs nous ont accueillis et guidés aimablement, ayant même prévu des mouchoirs en papier pour essuyer notre index taché d’encre.

Dès hier matin, en suivant les réseaux sociaux et les chaînes de TV, on a commencé à sentir que les résultats partiels, mêmes donnés au compte-gouttes, allaient réserver des surprises et qu’à part les deux partis-leaders, Nidaa Tounes et Ennahdah, les autres, quelle que soit leur tendance, n’allaient ramasser que des restes, voire des miettes pour certains. Ce qui s’est confirmé au fil des heures… La Presse de ce matin nous apprenait d’ailleurs qu’Hechmi Hamdi, le “candidat présidentiel télévisuel”, devant les premiers résultats de son courant Mahabba, décidait de se retirer de la course à la présidentielle, les 27 devenant 26 ! Il expliquait que, n’ayant pas obtenu un groupe parlementaire puissant, il ne pourrait pas appliquer le programme social magnifique qu’il avait promis. C’était logique mais, vers 19 heures Business news faisait part d’une lettre adressée à l’ISIE dans laquelle l’exilé londonien maintenait sa candidature. Pour une fois qu’il avait pris une décision sensée ! Jusqu’à une heure avancée, plateaux TV et communications de l’ISIE ne faisaient que confirmer ces résultats tout de même inattendus.

Jeudi 30 : les résultats tant attendus sont enfin disponibles et l’ISIE a respecté la date prévue du 30 octobre à minuit. On a adressé beaucoup de reproches à l’ISIE, mais à part à l’étranger où elle n’a pas pu être aidée par l’armée (qui a fait ici le plus gros du travail) et où il y a eu beaucoup de cafouillages, les opérations du vote se sont déroulées sur le territoire national sans trop de dégâts.

Les urnes ont été impitoyables pour les affiliés à Ennahdha dans la Troïka : 4 sièges pour le CPR, 1 seul pour Ettakatol, 0 pour Wafa. C’est le sort des domestiques quand leurs maîtres sont eux-mêmes en difficulté. De leur côté, aucun des partis “destouriens” n’a obtenu de voix, ce qui fait mentir une certaine presse française — toujours prête à critiquer la Tunisie — dans laquelle on a pu lire des âneries telles que : “en Tunisie, la lutte est dure entre les islamistes et les partisans de l’ancien RCD”… Les autres partis qui ont réalisé des scores acceptables sont l’UPL de Slim Riahi, le Front populaire des martyrs “Chokri Belaïd” et “Mohamed Brahmi”, Afek Tounes de Yassine Brahim et Al Moubadara de Kamel Morjane. Tous les autres ont obtenu entre 1 à 3 élus.

Malheureusement, la polarisation entre Ennahdha et Nidaa Tounes, conjugué à ce qu’on a appelé “le vote utile”, en clair le fait que la majorité du peuple a souhaité se débarrasser de la tutelle du parti islamiste, a causé la quasi disparition de partis démocratiques qui ont lutté d’arrache-pied contre la tentative d’islamisation rampante de la société, comme Al Massar, l’Alliance démocratique et al Joumhouri à un degré moindre. Qui ne se souvient du combat, à l’ANC et lors de l’interminable et héroïque sit-in de la place du Bardo, des Samir Taïeb, Fadhel Moussa, Ahmed Brahim, Mohamed Baroudi, Selma Baccar, Mohamed Hamdi et tant d’autres… Je regrette surtout la perte d’Al Massar, qui avait réuni dans ses rangs le Mouvement Ettajdid (ex-PCT), le Parti du Travail Tunisien, le QOTB (Parti Démocratique Moderniste…) et qui s’était allié à Nidaa Tounes dans l’UPT (Union pour la Tunisie). À l’approche des élections, Nidaa Tounes, s’en était retirée, craignant sans doute que le logo UPT ne soit pas suffisamment compris par les électeurs, mais Samir Taïeb a voulu maintenir Al Massar sans ce logo et s’y est rallié complètement, comme Ettajdid s’était fondu intégralement dans Al Massar, d’où cette perte, imparable hélas ! Al Joumhouri qui lui aussi avait quitté l’UPT, s’est présenté sous son propre logo, mais n’en a pas moins été éliminé de la course à l’Assemblée. Peut-être que les électeurs ont été choqués par le “oui-non-peut-êre” de Néjib Chebbi d’être le fameux “président de la République consensuel” que cherche Ennahdha, comme Diogène qui, en plein jour, une lanterne à la main “cherchait un homme” ! En vain, jusqu’à ce jour… En tous cas, pour en revenir à Al Joumhouri, je regretterai de ne plus voir à l’Assemblée le courage et la fougue de la véritable “pasionaria” qu’a été Maya Jeribi !

Maintenant, la prochaine étape est l’élection du président de la République. Je pense que, même après le nettoyage de la “liste des 71” par l’ISIE, le nombre restant, à savoir 27 candidats, est trop élevé et, après les résultats des législatives, il serait logique et bienséant que les candidats dont le parti n’a pas obtenu au moins 8 sièges à ce scrutin retirent leur candidature ; Abderrahim Zouari vient de le faire et je l’en félicite.

On sait que Moncef Marzouki ne cèdera pas facilement sa place et l’on se souvient de son “laan astaquil laan astaquil”,conforté hier par la déclaration du SG du CPR, Imed Daïmi : “le CPR n’a pas rendu l’âme, il a trébuché, mais il est encore là.”

C’est pourquoi sans doute a-t-il rameuté les membres des “défuntes” “Ligues de Protection de la Révolution “qui, sans la direction de Recoba et Imad Dghij, se sont répandues sur les réseaux sociaux pour “fédérer les efforts des enfants du quartier, de tous les quartiers”, pour voter et faire voter pour Moncef Marzouki.

De son côté, Mustapha Ben Jaâfar, dans une conférence de presse tenue hier, a appelé les candidats Néjib Chebbi, Mohamed Abbou, Moncef Marzouki, Mohamed Hamdi et Abderraouf Ayadi à se mettre d’accord sur un candidat unique, tandis que Riadh Chaïbi — un candidat qui a démissionné d’Ennahdha et a créé le parti “Binaa national” — a publié un appel dans lequel il propose la création d’un front politique pour appuyer la candidature de Moncef Marzouki alors que dans le même temps, Samir Abdelli, un autre candidat, considère comme “à la limite du coup d’État l’appel de Mustapha Ben Jaafar” et invite le Dialogue national à prendre les mesures nécessaires.

Samedi 1er novembre : on voit donc que le succès de Nidaa Tounes a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel politique tunisien. Rached Ghannouchi, dans une conférence a déclaré hier qu’il craignait “un retour de la tyrannie et du monopartisme qui entraînerait une mainmise sur l’Assemblée et le gouvernement”. Et la Troïka à la présidence et au gouvernement, n’était-ce pas la même chose ?

Béji Caïd Essebsi lui a répondu lors de l’émission de Meriem Belkadhi en ces mots “nous voulons que le prochain gouvernement soit accepté par tous, je suis le garant du non-retour à l’omnipotence.”

Ne répondant pas à la proposition de Mustapha Ben Jaâfer de se désister pour décider d’une unique candidature susceptible de s’opposer à Béji Caïed Essebsi, plusieurs parmi les 27 ont entamé leur campagne électorale. C’est le cas de Kalthoum Kannou qui a déclaré à Jawhara FM qu’elle “optera pour une politique étrangère ouverte sur le monde”, de Mustapha Kamel Nabli qui a choisi de commencer par la ville et Sakiet Sidi Youssef, déclarant qu’il “est de sa mission de faire que toutes les régions soient en cohésion” et de Moncef Marzouki, qui a publié une vidéo sur sa page Facebook la nuit dernière, en insistant : “je vous demande de me soutenir, moi qui ai milité pour vous (les jeunes) pendant 30 ans et je vous demande de le faire par tous les moyens”. Quant à Hechmi Hamdi, il est arrivé ce soir à El Aouina. Béji Caïed Essebsi ouvrira sa campagne demain à Monastir en hommage à Bourguiba.

Que tous ces candidats prennent garde, car les LPR sont lâchées dans les rues et l’on sait trop bien ce dont ses membres sont capables.

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