Les “vertus” du mufti et les “vices” de la démocratie !

Etrange “démocratie” où tout semble reposer sur le bon vouloir de Dieu, et où le sort s’ingénie à démontrer le contraire ! Peut-on sortir de l’irrationnel, de l’émotionnel et du sectarisme et faire un bilan réaliste de cette immense partie de cache-cache avec Dieu qui se trouve rarement là où l’on pourrait l’attendre? Sachant que plus il y a de religiosité dans les propos des responsables, plus largement ils circuleront. Car, de tous nos maux, l’ignorance est toujours le pire. Depuis la naissance de la démocratie, tout le monde convient que la religion est affaire privée, que l’autorité publique ne peut s’exercer au nom d’aucune confession. Mais notre société est imprégnée par la religion et le pouvoir lui-même repose, depuis plus d’une décennie de “démocratie”, sur des justifications religieuses. “Les vices comme les vertus sont permis selon qu’ils sont utiles ou non au pouvoir”, soulignait Machiavel. Dans ce context, le “mufti” de notre “République démocratique” Othman Battikh, héritier de Dieu sur terre, a usé de son pouvoir politico-religieux pour appeler “les bienfaiteurs à aider l’État afin que la Tunisie puisse sortir de la crise économique qu’elle traverse”. Et voilà que la religion, dans cette “démocratie” régie par les petits arrangements de “partage du gâteau”, peut être instrumentalisée au profit de l’ordre voulu par le pouvoir. C’est l’une des caractéristiques les plus affligeantes de nos responsables religieux : le fait que, pour faire passer la pilule de leurs désirs de plaire au pouvoir, rien ne vaille leur enrobage dans un dessein bienveillant. Cette tentation d’extorsion est d’autant plus odieuse qu’elle s’exprime dans le lâche confort du marketing religieux. En pleine crise politique, économique, sociale et sanitaire qui requiert unité et responsabilité, le mufti a pris le risque de déclencher une nouvelle tempête orageuse. C’est un personnage des plus passifs, d’autant que, doté d’une maladresse sans égale, il passe un temps certain à rattraper ses bévues. Se voulant en harmonie avec les attributs de son pouvoir, il s’est habitué à ferrailler, un pied dedans, un pied dehors avec les gouvernements successifs. Il avait fini par se croire invulnérable. Mais ses manœuvres finissent toujours par se perdre dans l’absurde ou l’arbitraire : la réaction, unanimement négative, de la population à propos de son appel est affligeante, pour ne pas dire humiliante. On ne voit dans sa passion pour l’instrumentalisation de la religion qu’une propension à régresser et à céder aux comportements les plus infantiles. Il peut, en fin de compte, se vanter d’une prouesse: avoir réussi à créer l’unité des Tunisiens contre lui. Chose désormais très rare dans un pays dramatiquement divisé ! Que la Tunisie soit en crise, je suis loin d’en disconvenir ; j’en fais l’objet de mes chroniques dans cette rubrique. Mais la solution est-elle religieuse ? L’intérêt primordial de cette question est de distinguer fermement entre Etat  démocratique et Etat théocratique. Troublante aura été la complaisance de politicards “démocrates” ou d’intellectuels “laïcs” qui semblent s’habituer à cette confusion quand ils ne la célèbrent pas. Certains d’entre eux sont fascinés par des  spiritualités diffuses qui ramènent les Tunisiens à des troupeaux, en rupture avec l’idée d’une dignité essentielle de l’être humain comme être d’interrogation et de liberté, doté de raison, élément central  de l’héritage civilisationnel. Et pour conclure, y a-t-il une religion compatible avec la démocratie ? Sans doute. Nul ne peut nier qu’existent massivement des démocraties enracinées, respectueuses de la laïcité, où la place de la religion dans la société se trouve tout autrement agencée et réglementée. Mais force est de constater que  dans nos contrées, la religion musulmane est devenue, depuis plus d’une décennie, trouée de partout par les salafistes, les arrivistes, les frères musulmans et leurs cousins djihadistes, tous hostiles à la démocratie, que les gouvernements successifs depuis le 14 janvier 2011, ont laissé proliférer avec une complaisance insane.

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