Par Alix Martin
La promenade
A partir de quel endroit est-on « dépaysé » ? Nous dirions : en quittant Menzel Bou Zelfa. Pourtant nous en sortons à regret. Personne ne peut ou ne veut nous dire si la magnifique zaouïa de Sidi Jilani, saccagée par des « vandales » ignares, a été restaurée : les portes sont toujours closes. Mais les haies épaisses, les champs opulents qui bordent la route menant à Menzel Témime composent un décor plaisant.
Très vite, on se rapproche du Jebel Sidi Abderrahmane. Regardez bien, au pied des premières pentes, à gauche de la route, s’ouvre une grande piste. Les propriétaires de véhicules 4×4 et les amateurs de V.T.T. découvriront, en l’empruntant, une promenade extraordinaire. Ils escaladeront le mont grâce à des lacets, souvent très pierreux, parfois creusés d’ornières profondes. Puis, ils parviendront sur la crête qu’ils suivront pratiquement jusqu’à Kef Errand sur lequel trônent les antennes de radio et de télévision, visibles de très loin et protégées par une petite garnison qui sera très surprise de voir des visiteurs arriver de ce côté-là. Ils bénéficieront de « vues » splendides.
Ensuite, ils descendront par une petite route goudronnée qui zigzague à travers bois, jusqu’à la pépinière forestière du Zougag et la route nationale 26 qui joint El Haouaria à Soliman. Une vingtaine de kilomètres de promenade « hors des sentiers battus » dont ils se souviendront !
Pour les autres visiteurs quelques kilomètres plus loin, sur la droite de la route, des pistes, au sol de sable dur, s’ouvrent dans la forêt de pins et d’eucalyptus. En ce moment, il faut les emprunter, « sans modération ». Les calycotomes sont couverts de fleurs d’or. Sur les romarins, s’épanouissent de petites trompettes bleues. Les touffes de thym embaument. Les bourgeons des pins et des eucalyptus sont gonflés de pollen. Attention aux allergies : bientôt, le moindre souffle de vent fera « fumer » la forêt : des nuages de pollen, teinté de jaune, décriront des volutes entre et au-dessus des arbres. Les dernières grives et les bécasses attardées sont parties. Les « V » des vols de grues cendrées ont rayé le ciel, à grands cris. Mais très prochainement, apparaîtront les premiers petits faucons roux : les crécerelles. Les cigognes blanches sont déjà revenues. Déjà retentissent les « coucou, cou … cou » et les « houp … houp … houp » monotones des coucous et des hulottes. Bientôt, les buses trapues, qui miaulent en planant, les milans à la queue fourchue comme celle des hirondelles, les silhouettes claires des élanions blancs décriront des orbes silencieux dans l’azur. Vous serez surpris de voir les premières hirondelles et les martinets tout noirs chasser dans le ciel.
Un peu plus loin, quelques kilomètres avant le bourg de Oum Douil, une petite route sur la gauche, vous mènera d’abord au village de Fortuna puis au hameau de Sidi Bou Ali au pied du Jebel Sidi Abderrahmane. Arrêtez-vous quelques minutes au carrefour pour aller découvrir, entre les herbes drues, de superbes orchidées sauvages. Elles tapissent les talus au bord de la route.
La randonnée
Arrivé à Sidi Bou Ali, on abandonne sa voiture à la sortie du hameau et on se dirige vers la petite vallée de l’Oued El Rhiz, situé à 500 ≈ 600 mètres, au pied du mont, vers la gauche. L’escalade du flanc Sud-Est du Jebel Sidi Abderrahmane est assez difficile : la pente est escarpée mais courte, aucun chemin ne mène à la koubba.
Des sentiers de chèvres, étroits, qu’il faut découvrir, serpentent entre les buissons de lentisque, de cistes, de calycotomes douloureusement épineux et des palmiers nains. Les chênes kermès et les bruyères abritent des touffes de thym, de romarin, des lavandes et les premiers plants de menthe « flayou » qui embaument quand on les piétine.
Le Jebel Sidi Abderrahmane, orienté sud-ouest / nord-est partage le Cap Bon pratiquement en deux. Son altitude moyenne est modeste : 500 mètres. Kef Errand : le point culminant atteint 637 mètres. Il est le vestige d’un vaste pli qui enjambait le golfe de Tunis et qui s’est effondré. Le sommet actuel, lui-même s’est effondré et à formé une combe : El Hofra (le trou). Le versant nord-ouest, pratiquement perpendiculaire aux vents humides, est bien arrosé. Il est tapissé d’un maquis souvent touffu et de forêts récentes de pins d’Alep et d’eucalyptus alors que les pentes sud-est sont beaucoup plus « sèches ». Les versants sont parsemées de touffes de « R’tem » saupoudrées d’une mousse de fleurettes blanches, au discret parfum de miel.
Le mont est formé de terrains tertiaires : une succession de grès, de calcaires d’argile et de marnes, dans laquelle l’érosion a découpé les marches gigantesques d’un escalier de géants.
Il faut progresser de « terrasse » en « terrasse », en escaladant, en oblique, par les « découpes » de l’érosion, les petites falaises successives. Il y en a 4 ou 5, au moins ! Mais prenez le temps de vous arrêter, de regarder le maquis parfumé et fleuri. Ça repose les jambes et on reprend son souffle car le dénivelé est rude : 450 mètres environ sur moins d’un kilomètre, même si on monte en oblique et en zigzag. Comme le mont n’est plus peuplé à partir de 180 mètres d’altitude, on ne croise plus que quelques bovins et de très nombreuses chèvres. Les passereaux et parfois un couple de perdrix vous tiendront compagnie.
Arrivé sur la crête, on est d’abord « enveloppé » par la brise puis on découvre un panorama grandiose. Vers le nord-ouest, la vue s’étend jusqu’au Ras Sidi Ali El Mekki : tout le golfe de Tunis, bordé par le Bou Kornine et le Jebel Ressas, certains jours où la brise vient du Nord. Zembra et Jebel Sidi Abiadh, dominant El Haouaria, semblent tout proches. De l’autre côté, on suit du regard le littoral depuis Korba jusqu’à Kélibia.
Le « Site » est curieux : une petite construction formée de quelques pièces permet aux « pèlerins » de se loger ! A droite, à demi cachée par un pli de la falaise, se dressent les murs blancs du mausolée de Sidi Saad.
En suivant la falaise, vers l’ouest, on découvre d’abord un « abri » sous roche où s’épanche une petite source qui permet de laver les entrailles des moutons sacrifiés. Un peu plus loin, dans le creux, peint en vert, d’un rocher isolé, reposent des restes de bougies et de petits plats ayant contenu des offrandes : pérennité de l’âme tunisienne, berbère.
En continuant à suivre la falaise par un sentier étroit, on arrive au mausolée de Sidi Abderrahmane. Il est construit contre la falaise. Il abrite une grotte où perle, au plafond, une petite source. Les gouttes d’eau remplissent une vasque qui se vide par un orifice creusé sous le mur extérieur.
Dans la pénombre, on distingue le catafalque du Saint homme et de nombreux ex-voto : des peintures appliquées aux murs. Il règne là, une atmosphère propice à la médiation, au recueillement.
Bien sûr, on pique-niquera sur la crête mais on peut aussi choisir d’y venir pour y rester lors d’une nuit sans lune par une belle soirée d’été. On peut aussi redescendre rapidement, passer l’après-midi à découvrir les vestiges protohistoriques éparpillés autour du village de Fortuna ou aller jusqu’à Henchir Eddalia où on verra les vestiges d’un bourg berbéro-romain construit sur une voie qui reliait sans doute Carpis / Sidi Raïs à Menzel Témime. On s’y promènera une autre fois, c’est promis !
A.M