Les opérations de ratissage se poursuivent à Mont Chaambi, alors que le ministère de l’Intérieur serre l’étau autour de la mouvance salafiste djihadiste, ce qui augure d’une confrontation sanglante entre forces de sécurité et salafistes.
Après deux semaines du déclenchement des évènements de Chaambi, six individus se seraient rendus aux forces de sécurité opérant à Chaambi, épuisés par la faim.
L’effort intensifié de la Garde nationale et de l’Armée de contrôler le territoire ainsi que la frontière, semble donner des résultats. En témoigne, les arrestations de personnes suspectes qui se sont multipliées, comme celle d’un Libyen en possession d’explosifs, ou encore de trois individus (deux Tunisiens et un Libyen), impliqués dans le transport de 150 kilos de TNT, saisis sur un bateau libyen dans le port d’El-Ketef, près de Ben Guerdane, sans oublier l’interdiction à 1000 personnes de quitter le pays pour perpétrer des actes terroristes à l’étranger, notamment en Syrie.
Le travail sécuritaire préventif contre le terrorisme a aussi repris, à travers la réactivation du service de renseignements « Sûreté de l’État », dissous après la Révolution. Riadh Rezgui, vice président du Syndicat des forces de la sûreté intérieure reste cependant sceptique quant à son efficacité, par rapport au passé, à l’époque Ben Ali, puisque « les meilleurs éléments de ce service ont été dispersés ».
Police/salafistes : vers la confrontation ?
Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur a procédé à l’interdiction des tentes de prêches salafistes, en exigeant une autorisation préalable de 72 heures au moins. Ces mesures ont valu aux policiers une vague de confrontations qui se sont déclenchées à Séjoumi et à Sousse avec l’usage de cocktails Molotov et d’armes blanches par les salafistes et du gaz lacrymogène et de la chevrotine par la police. La mouvance salafiste a même haussé le temps en multipliant les déclarations de menaces envers les politiques et les forces de sécurité, les mettant en garde quant aux conséquences de leurs actions. Le chef d’Ansar Achariâ, Abou Iyadh , en fugue depuis des mois, s’est lui même exprimé, en publiant un communiqué sur la page officielle du mouvement où il a ordonné aux forces de sécurité « d’arrêter leurs absurdités », en menaçant de riposte : « Nos vies ne seront pas cher payées si notre religion est attaquée et si notre prédication se voit gênée».
La guerre a-t-elle déjà commencé entre policiers et salafistes ? Pour le moment, ces derniers se contentent de lancer des messages de menace, mais rien ne peut garantir un passage à l’acte, à travers, par exemple, l’organisation d’opérations terroristes en milieu urbain ou la mise en place de bombes. C’est ce qui explique le renforcement des mesures de sécurité dans les centres commerciaux et dans les endroits à forte population. La stratégie future d’Ansar Acharia sera peut-être annoncée à ses adhérents, lors de son prochain congrès qui devrait se tenir le 19 mai à Kairouan. N’ayant toujours pas reçu d’autorisation du ministère de l’Intérieur pour son organisation, les salafistes communiquent entre eux en messages cryptés sur Facebook pour assister à ce rendez-vous. Certains observateurs estiment que la tenue de cet évènement sera une occasion, de plus, de confrontation entre la mouvance et la police.
Plus l’étau va se resserrer sur elle, plus ses éléments vont recourir à la violence et notamment urbaine. Le scénario algérien revient encore, une fois, aux esprits, puisque la « décennie noire du terrorisme » avait commencé avec des attaques contre les agents de sécurité et avec des actions spectaculaires dans des souks et des endroits avec une population dense.
La coordination avec l’Algérie : inévitable
Le lien entre la mouvance salafiste et la katiba d’Okba Ibn Nafaâ qui s’est installée à Chaambi n’est plus à démontrer. Les dernières révélations concernant les suspects du meurtre de Belaïd, ayant rejoint le mont le confirme. En outre, les déclarations des cheikhs salafistes qui retentissent concernant la nécessité de djihad contre le « Taghout » (l’ennemi suprême) vont aussi dans ce sens.
Le danger d’un tel rapport est d’autant plus alarmant que les ramifications de ce groupe vont jusqu’au Mali. Le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou avait déclaré, lors de son audition à l’ANC que « les terroristes pourchassés à Chaambi, au Kef et à Jendouba sont des vétérans de la rébellion islamiste au Mali ». En outre, l’arrestation de 37 éléments terroristes, depuis décembre 2012, révèlent aussi des liens avec la Libye et l’Algérie. Il est indiscutable qu’il s’agit là d’un réseau transnational opérant dans le Maghreb et le Sahel et ayant un lien direct avec Al Qaida. Dans ce cas, le danger ne concerne plus la Tunisie mais toute la région. D’où la nécessité de coordination avec les pays voisins et notamment l’Algérie.
Or, la partie tunisienne ne se montrait pas très chaude, au début, quant à la collaboration avec les forces algériennes, redoutant une ingérence, surtout après la proposition du ministre de l’Intérieur algérien, Dahou Ould Kablia, d’aider la partie tunisienne à lutter contre les groupes terroristes de Chaambi à partir du territoire tunisien. Une proposition qui a suscité une vive polémique, ce qui a amené ce dernier à préciser, ensuite, que « l’Algérie ne s’immisce pas dans les affaires de la Tunisie».
D’autre part, Ennahdha ne voudrait pas collaborer avec le régime algérien. « Elle n’arrive pas à oublier le comportement de l’armée algérienne envers les islamistes en 1992 et l’annulation des résultats des élections», note Néji Djalloul, spécialiste en islamisme. Cela expliquerait en partie la négligence pendant longtemps des informations fournies par les services de renseignements algériens concernant les activités des groupes terroristes dans les villes tunisiennes frontalières. C’est ce qu’à révélé, à Nawat, un agent de renseignements algérien, opérant en Tunisie .
Reste que le soutien de l’Algérie dans cette lutte anti-terroriste aujourd’hui est indispensable, vu son expérience pendant toute une décennie dans ce domaine, mais aussi parce que ce péril met aussi en danger sa stabilité.
L’armée algérienne ne cesse, d’ailleurs, de renforcer le contrôle et la surveillance de ses frontières. «Des hélicoptères ratissent quotidiennement le tracé frontalier de 965 km entre l’Algérie et la Tunisie, tout autant que les 4X4 des GGF (gardes frontiers)», d’après une source sécuritaire qui avait fait une déclaration au quotidien algérien El-Watan. Les forces algériennes ont fait des interventions musclées contre les terroristes sur leur propre territoire, à Idrar, Tizi Ouzou et à Tébessa, pour empêcher toute possibilité de soutien avec ceux de Chaambi. La coordination s’est aussi intensifiée entre les deux pays au niveau du renseignement. Nous avons voulu savoir plus sur l’appui algérien à la Tunisie, en s’adressant à l’ambassade d’Algérie en Tunisie, mais nous n’avons pas eu de suites à notre requête.
Nécessité d’une stratégie globale
La lutte anti-terroriste ne devrait pas se limiter à une approche sécuritaire, bien qu’elle soit très importante. D’autres dispositifs sont à mettre en place dans le cadre d’une stratégie globale. C’est sur ce point que l’Union nationale des syndicats des forces de sûreté tunisienne a voulu attirer l’attention lors de son sit-in du 10 mai et durant la rencontre qui en a suivi avec les députés de l’ANC. Pour elle, les priorités consistent à la récupération des mosquées, conquises par la mouvance salafiste et à la dissolution des associations religieuses qui financent le terrorisme, outre à la réactivation du service des renseignements « Sûreté de l’État » et à la remise en application de la loi sur le terrorisme. Il est vrai que cette loi votée en 2003 a suscité beaucoup de controverses à l’époque de Ben Ali, puisqu’elle a été utilisée à des fins politiques, pour juger 2000 personnes qui toutes n’étaient pas impliquées dans le terrorisme, mais elle reste un cadre juridique qu’il est inévitable d’utiliser dans les circonstances actuelles du pays, en l’absence d’un substitut. « Le contexte national en ce moment, exige de ne pas annuler cette loi, mais de la réviser pour qu’elle s’adapte aux exigences de respect de la démocratie et des Droits de l’Homme », explique Alaya Allani, spécialiste dans les mouvements islamistes au Maghreb. Pour lui, la dite loi n’est qu’une mesure de sanction. Or, la lutte anti terroriste nécessite l’organisation d’un congrès national où l’on définit le sens même du terrorisme et où on met en place une charte des mesures à prendre pour l’éradiquer.
Ce congrès est d’autant plus important que le phénomène terroriste va se prolonger pour des années en Tunisie et dans toute la région. Car le retour attendu des djihadistes partis en Syrie, Libye et Mali n’augure rien de bon. Ces forces supplémentaires du terrorisme, entrainées à la guerre et à l’usage des armes les plus sophistiquées vont constituer une « bombe à retardement, si on ne sait pas s’y préparer. L’Association pour le secours des Tunisiens à l’étranger, constituée récemment par les familles des jeunes, partis en Syrie pour le djihad a fixé comme l’un de ses objectifs, la réhabilitation de ces jeunes à leur retour. Mais il s’agit là, d’une lourde mission qui devrait être prise en charge par l’Etat lui-même. Or, l’État ne semble avoir une position claire concernant la mouvance salafiste qui est en train d’enrôler les Tunisiens pour la guerre en Syrie. Encore, la semaine dernière, Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, a répété, lors d’une conférence de presse que « les salafistes sont « nos enfants » et qu’il faut utiliser le dialogue avec eux.
Sans commentaire…
Hanène Zbiss