La plus belle fille de France, de Tunisie ou d’ailleurs, ne peut donner que ce qu’elle a.» Sous le couvert de l’anodin, pareil adage laisse passer en contrebande la quintessence du trivial et de l’immonde. Ce bavardage à large usage réduit la féminité à la sexualité. Une jeune fille de mon pays m’écrit, «tu me manques et il me manque». Là, au moins, je ne suis pas que «il», ce repli charnel rebelle à toute raison et à toute logique.
Pour les dévoués à la burqa, il n’est de vrai que le caché. Le reste n’existe pas. Circulez !
Sur les trottoirs, des cafés coutumiers où gargouille le glou-glou des narguilés dans une atmosphère viciée, les regards indiscrets voient un sexe ambulant passer. Étrangère au respect, à la reconnaissance et à la connivence pareille outrecuidance rivalise de bêtise avec la pire des indifférences. De là provient la gêne de la femme ainsi dévisagée. Jadis, à la maison, ma grand-mère maternelle portait fouta et blouza. Mince, alerte et bien foutue, le sefsari la protégeait des regards braqués sur elle dans la rue. À Saint-Germain, elle met ma mère et mes tantes au parfum. Je bois ses mots gravés à jamais dans la mémoire du gamin émoustillé. «Il a essayé de me parler et il m’a suivie depuis la gare jusqu’ici. Il a eu de la chance que DBO ne soit pas là. Il l’aurait foudroyé.» Avec les dessous de la fouta, on ne badine pas. Maintenant le jean délavé cohabite avec le voile parfois intégral. À la sortie des facultés, ce mélange exhibe la bipartition de la société. L’esquif du compromis continue à tanguer sur le gouffre sans fond de l’un et l’autre parti pris. Dans les années quarante, une représentation de la masculinité répondait à celle de la féminité. Fine moustache bien taillée, canne argentée au poignet, pas cadencé, tête haute et habits de qualité indiquaient la distinction de l’étalon.
L’homme et la femme étaient, pour l’essentiel, mâle et femelle.
Les yeux des misogynes hargneux
Dans quelle mesure cette assimilation des personnes à deux modèles de replis charnels aurait-elle traversé les six décennies passées ?
La hargne déversée à deux reprises par les députés bizarres sur la ministre la plus méritoire paraît suggérer une certaine continuité. Avec ce langage des yeux, misogyne et hargneux, sans cesse déployé dans les cafés, le profil peu subtil de maints parleurs au nom de la société civile pointe vers une permanence inavouée ou occultée. L’ancienne division sexuelle de l’espace, public pour les hommes et domestique pour les femmes, continue à façonner les catégories de pensée. Malgré la queue de poisson et la sourdine, les vociférations parlementaires suggèrent une reprise du problème à la racine.
À l’ONU, le mur des lamentations trouve dans le véto américain son meilleur mur protecteur. Israël, c’est l’Amérique. Dès lors, autoriser l’accès au territoire tunisien à l’Américain et l’interdire à tout Israélien avoue les maigres moyens de la politique. Faire de nécessité vertu reporte le soupçon sur une pratique pour le moins biscornue. Avec son machiste et fanfaron «à vous les filles d’Israël», Choukaïri, ce pire dirigeant du territoire occupé, inaugure la piste frayée par la démagogie populiste. Colonisés, Yasser Arafat et Mahmoud Abbas négocient, tous les jours, avec les agents de l’État-colon. Où commence la négociation et où finit la normalisation ? Bourguiba luttait à l’instant même où il négociait. Arafat arborait le fusil et le rameau d’olivier. Bourguiba fut qualifié d’«ennemi numéro 1 des Arabes» pour avoir appuyé, à temps, l’unique solution appropriée. La mise de la pression sur l’insatiable grignoteur du sol palestinien revient à tous les indignés par l’usurpateur. Mais à quoi sert la bataille parolière sans les moyens de remporter la guerre ?
L’annulation de la croisière américaine par désapprobation des propos tenus à l’Assemblée contre Amel Karboul, apporte une illustration supplémentaire à l’indistinction de Tel Aviv et de Washington. La Tunisie a connu Abou Jihad et Hammam-Chott. Ceux qui «savent si bien tuer» selon Erdogan, voulaient canarder Yasser Arafat, mais un retard imprévu l’a sauvé. Un agent avait placé une puce électronique pour guider le tir des avions supersoniques. Ce jour-là, nous avions tous entendu les avions tunisiens au moment où ils traversaient le mur du son.
En vrac dans le même sac
Mais ils avaient décollé trop tard et que peuvent les F bac plus 1 contre les F bac plus 18 délivrés aux seuls Israéliens par nos chers amis Américains. Il incombe aux services de renseignement de repérer le poseur de la puce et les tueurs d’Abou Jihad.
Mais interdire le territoire à la mémoire de Paul Sebag, fourre dans le même sac l’ange et le diable. L’amalgame introduit le spectre du racisme sous l’habillage d’une juste lutte engagée contre le colonialisme. Cette image donnée au monde entier dessert la Palestine occupée.
L’appartenance à la «société civile», argument beaucoup trop facile, n’exclut guère la présence à l’Assemblée d’élus peu subtils. Le rabbin de la Ghriba n’a pas raté cela. Tsunami dans un verre de thé, le tollé de l’Assemblée sert la propagande israélienne et dessert le nouveau gouvernement au moment où le tourisme, jadis prospère, serre maintenant le cœur et le budget de millions. Et l’attachée à le redresser au niveau de naguère, devient désormais le bouc émissaire. Drôles d’élus au machin, nos grands-mères, pas du tout ministrables, vous rassurent et vous saluent bien bas.
Estampillée du sceau de Bourguiba, la Tunisie arrache le voile d’Amel Karboul et la place là où elle reprend le flambeau allumé par l’intrépide inoublié. Les plans de l’ample transformation évoluent à des rythmes différents. Certains avancent à reculons. Évoquer des paliers recourt à la métaphore de l’escalier par une technique didactique.
Mais il s’agit d’hommes et de partis sensés ou écervelés. Le contrôle de l’Exécutif par le Législatif définit la démocratie. L’éventuelle remise en question de positions prises par le Parlement, au cas où elles confortent l’anarchie, définit la démocratie. De manière caricaturale Sissi botte sans état d’âme les droits de Morsi et ceux de l’Homme.
L’aspiration à un monde social conforme aux normes butte sur l’inflexion du champ juridique par les rapports de force économiques, politiques et idéologiques.
À l’Assemblée, dépositaire du référentiel constitutionnel, ce flagrant sabotage du tourisme fut un acte manqué par les dévoués à l’électoralisme.
À l’origine, la nekba désignait la débâcle militaire. Depuis, elle symbolise les sommets de la sottise. La ministre du Tourisme ne compte pas le contrôle des frontières parmi ses prérogatives institutionnelles et ce détail suffit à guider la puce à l’oreille.
Souvent inavoué, le machisme colonise partout la part obscure, souterraine et malsaine de la condition humaine. Là, bien du pain sur la planche attend, aussi, l’Afrique noire et blanche. Les préposés à l’harmonisation des économies connaissent trois choses, mais ils ignorent, peut-être, mille et une choses.
Kahlouch, cela vous parle ?
Khalil Zammiti