L’éternel retour du Mouled

Un Mouled vient de s’en aller, le suivant nous tend la main pour l’an prochain. Quelle est donc la raison de la répétition ? L’éternel retour, thème nietzschéen, répond à l’interrogation soulevée par la fête et sa perpétuelle reproduction. Pour Ibn Khaldoun, aussi, l’histoire ondule ainsi. Tout au long de l’année, les circonstances conflictuelles malmènent les relations interpersonnelles. Le charivari du voisin branché sur le feuilleton télévisé exaspère les nerfs et dérange le sommeil jusque tard le soir. Le stress et la tension provoquent le mal au ventre.
A travers sa fenêtre ouverte par un geste brusque, l’indisposé crie :
– « Arrêtez ce bruit. C’est impoli !
– Cela ne vous regarde pas. Je suis chez moi ».
L’inimitié envahit le voisinage déserté par la convivialité. Pourtant, une fois l’aïd venu, les deux ennemis sourient et disent : « 3idik mabrouk ». L’ambiance festive recrée la vie collective.
L’offre et la réception des présents conforte la réconciliation. Marcel Mauss écrit : « Car la prestation totale n’emporte pas seulement l’obligation de rendre les cadeaux reçus, mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d’en faire, d’une part, obligation d’en recevoir, de l’autre ».
Cependant, un autre procès, encore sous-analysé, ajoute son grain de sel à l’odyssée. Le déclin du Mouled chez certains. Le 15 septembre, l’un de mes anciens étudiants me souhaite bonne fête. Au fil de la conversation, je lui demande :
-« As-tu mangé l’assida ?
-Oui, par habitude, mais je ne crois plus à tout cela. Comment savoir quel jour naissait le prophète quand il n’y avait pas de municipalité pour enregistrer les naissances et les décès ? »
Ce genre d’interrogation suggère une supposition afférente au déclin du Mouled chez certains. La dégustation de l’assida, ce mets inégalé à l’échelle universelle, flatte le palais mais le cœur n’est emballé ni pour la prière, ni pour les espèces de mystère.
Alors, pour nous tirer d’affaire, nous avons mis en circulation deux notions : le musulman de culture et le musulman de religion. Morched Chebbi, Hamma Hammami et Tahar Chagrouch, mes étudiants fidèles à mon enseignement, relèvent de la première acception.
Nabil Dabboussi, Dhaoui Akermi et Maher Ben Moussa émargent au registre de la seconde représentation.
L’INS recense le nombre de pains jetés par habitant mais il n’évalue jamais l’effectif des citoyens distribués entre musulmans de culture et musulmans de religion. Quelle est donc la raison de pareille abstention ?
L’agent recenseur demande :
– « Êtes-vous athée ?
– Non »
La réponse effective était « oui ». Alors pourquoi la négation ?
Nous sommes en pays indépendant, libre, démocratique, souverain, où durant la noire décennie règne, sans partage, l’inquisition. Ne pas croire mène au purgatoire en dépit de l’anonymat garanti, le recensé pense à deux idées : les murs ont des oreilles selon l’adage chinois et l’œil de Moscou veille partout. Prudent, l’interrogé se dit : « Ou bien je prie, jour et nuit, ou alors je suis le mol7id honni ».
Bourguiba, le réformiste, passa par là et face à Ramadan, ou à l’héritage, il recula. Les codifications coutumières ne sont guère aisées à gérer. Pourtant, aujourd’hui, Zelensky supprime, en Ukraine, l’église orthodoxe russe car, au Kremlin, elle soutient l’épine de Poutine. Lénine puis Staline balisèrent cette voie barricadée par les Talibans d’Afghanistan.
Sans aller jusque-là, Bourguiba malmena la Zitouna. Outre la haute voltige politique, chacun moud le grain divin. Le 16 septembre, Souad Rejeb, ancienne du CERES, me dit : « Je n’achète pas du zgougou à 56 dinars le kilo ».
Est-ce un coup de canif asséné au Mouled par l’entremise des prix envolés ? Dhaou Akermi n’est pas de cet avis : « Le zgougou n’est pas nécessaire pour fêter le Mouled. Chez nous, la bazine est faite avec de la semoule ». Le zgouzou pour les baldias et la semoule chez les barranias deviennent les marqueurs alimentaires d’une différenciation établie à l’échelle de la réalité sociale globale.
Plus nombreuses, les foules à semoule seraient moins enclines à bouder les festivités religieuses. Cette problématique a partie liée avec le niveau culturel et l’effectif démographique.
Riffat Hassen écrit « : « Je pense que l’accent doit être mis sur le fait que la très grande majorité des femmes musulmanes est illettrée. Je suis originaire du Pakistan où le taux d’alphabétisation des femmes rurales tourne autour de 3%, ce qui est un chiffre vraiment bas. Cet analphabétisme signifie que les femmes sont coupées de tous les progrès réalisés dans le monde parce qu’elles ne peuvent ni lire, ni écrire ». g

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