L’heure des choix

Par Ghazi Ben Ahmed*

La Tunisie vit un moment suspendu. Une saison estivale coincée entre une épidémie qui est loin d’être achevée et une rentrée que l’on pressent compliquée. Dans quelques jours, un nouveau gouvernement sera formé et dévoilera les grandes lignes de son plan d’action. Le programme économique à court terme de la Tunisie post-25 juillet devrait être simple : vacciner et réformer.

A l’instar de la grippe, les mutations pourraient contraindre à des vaccinations régulières
Nous savons maintenant que le virus est là pour durer. Les deux fondateurs de BioNTech, UğurŞahin et ÖzlemTüreci assurent dans une interview au journal les Echos que le virus va devenir de plus en plus résistant. Ils affirment aussi disposer d’un processus éprouvé qui permet d’obtenir un nouveau vaccin dans les cent jours.
Il sera donc important de continuer les efforts déployés par la présidence de la république pour vacciner massivement jeunes et moins jeunes. Car, c’est dans les pays en développement, comme la Tunisie, que l’impact de la pandémie, sur le tourisme notamment, est le plus grave.  Nous le constatons avec les plus fortes réductions du nombre d’arrivées de touriste en 2020, estimées entre 60 et 80 %.
Vacciner 40 % de la population mondiale d’ici à la fin de l’année et 60 % d’ici à la fin 2022 coûterait 50 milliards de dollars et pourrait permettre d’en économiser 9 trillions, selon l’Organisation mondiale de la santé et le FMI.
Notre croissance dépendra inéluctablement de la vaccination. Celle-ci garantira ainsi la sécurité sanitaire de tous, et nous permettra de retrouver le plus rapidement possible une vie normale, de la croissance, des emplois et de l’activité économique et culturelle.
C’est aussi une occasion de positionner notre économie sur les secteurs d’avenir. Car, il est grand temps de faire les bons choix.

La bataille économique se joue maintenant
L’enjeu pour la Tunisie est de redémarrer son économie sur de nouvelles bases, afin de réaliser une reprise économique vigoureuse post-Covid-19 et consacrer des fonds à la transition vers une économie plus stable sur le plan financier, socialement inclusive, et à faible émission de carbone.
Pour cela, il convient d’arrimer l’économie nationale à toute dynamique internationale et européenne tournée vers la réorganisation régionale du modèle de production et d’approvisionnement. Cela nécessite une mise à niveau vers les normes et standards européens, une amélioration de la compétitivité qui passe par une plus grande efficacité des douanes, du transport et de la logistique, des réformes du marché du travail, et du code des changes, et de lever tout obstacle au développement du secteur privé et à la concurrence, avec en toile de fonds un asséchement drastique des leviers de la corruption. Nous avons entre 9 et 12 mois pour remettre le pays en état de marche.
Cette mise à niveau est dantesque, et nécessitera que la Tunisie diversifie ses relations commerciales en général, et reprenne spécifiquement les négociations avec l’UE, son principal partenaire commercial, en rectifiant le tir sur la forme et sur le fonds, afin d’être apte à renouer avec la croissance dès 2022. Il faudra se baser sur une connaissance fine des zones de force pour asseoir des politiques publiques (et de coopération) et construire des filières industrielles dans les principaux secteurs stratégiques (agriculture, santé, mécanique/électrique, tourisme et numérique) à même d’intéresser les investisseurs étrangers qui veulent se rapprocher du marché européen, tout en s’adaptant aux nouvelles normes européennes (et mondiales) de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE d’au moins 55% à l’horizon 2030. La Tunisie devra pour cela parvenir à un accord équilibré qui conduira à la réalisation des objectifs climatiques.
Ce sera le prix à payer pour continuer à exporter vers le marché européen et attirer les investissements. Pour cela, l’UE va mettre en place mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) avec le double objectif de réduire le risque de fuite de carbone pour l’industrie européenne et d’éviter une augmentation des émissions mondiales liée au remplacement des produits européens par des importations à plus forte intensité de carbone, ou à la délocalisation de production de l’UE vers l’étranger à mesure que les exigences européennes en matière d’émissions deviennent plus strictes.

Lier l’action climatique et l’allégement de la dette
Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) décrit les changements climatiques comme «sans équivoque» et clairement d’origine humaine. Cela va, sans aucun doute, donner un coup d’accélérateur à l’action climatique. On le pressent, la transition écologique ne se fera pas en douceur. « La politique pour le climat est une politique macroéconomique, et ses implications seront fortes. » Le titre de la note de Jean Pisani-Ferry publiée le 18 août par le Peterson Institute for International Economics, un cercle de réflexion basé à Washington, annonce la couleur.
L’action climatique devra forcément être collective afin de lutter efficacement contre le changement climatique et atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Les pays du G20 plaident résolument en faveur de l’ambition climatique tant au sein des enceintes internationales que dans le cadre de leurs relations bilatérales avec les pays tiers.
Cette transition va provoquer des réallocations des personnes et des ressources financières. C’est déjà le cas dans plusieurs pays riches, dont l’Allemagne. La fermeture des mines de charbon y oblige des dizaines de milliers de personnes à changer d’emploi. Plus de 40 milliards d’euros sont engagés pour mener à bien cette transition, d’ici à 2038.
Par contre, nous savons que la Tunisie et plus généralement les pays à faible revenu seront les moins à même de faire face aux contraintes climatiques, et qu’en outre, leur croissance économique dépend fortement des secteurs exposés aux aléas climatiques tels que l’agriculture, la sylviculture et la pêche.
La Tunisie aura donc besoin de ressources supplémentaires pour investir dans l’adaptation au réchauffement et créer des emplois adaptés au 21° siècle. Une idée innovante consiste à lier l’action climatique, le développement inclusif et l’allègement de la dette des pays à faible revenu.
La conversion de dettes en investissement pour le climat serait un élément fort pour favoriser la transition vers une économie à faible émission de carbone et donner une marge de manœuvre budgétaire à la Tunisie, qui pourrait ainsi investir dans la résilience et le développement durable.
La 26e Conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP26) qui se tiendra du 1er au 12 novembre 2021 à Glasgow en Écosse constitue une opportunité pour les pays riches de montrer leur engagement en faveur des actions climatiques et du développement de l’Afrique.

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