L’IA au service des médecins de demain

Par Dr Sami Ayari*

“L’intelligence artificielle en médecine ne remplacera pas les médecins, mais les médecins qui utilisent l’IA remplaceront ceux qui ne l’utilisent pas.»
Dr Eric Topol, cardiologue et auteur de “Deep Medicine: How Artificial Intelligence Can Make Healthcare Human Again”

Dans un contexte où l’intelligence artificielle (IA) transforme profondément la pratique médicale, les facultés de médecine du monde entier s’adaptent pour former une nouvelle génération de praticiens. Ces institutions prestigieuses intègrent, désormais, des programmes spécifiques dédiés à l’IA et à ses applications en santé, reconnaissant l’importance cruciale de ces technologies dans l’avenir de la médecine. Ces formations innovantes couvrent un large éventail de domaines où l’IA révolutionne les soins de santé : du diagnostic assisté par ordinateur à la médecine personnalisée, en passant par l’optimisation des traitements basée sur l’analyse de données massives.
L’objectif est de préparer les futurs médecins à exercer dans un environnement de plus en plus numérisé et guidé par les données. En dotant leurs étudiants de compétences en IA, ces universités visent à former des praticiens capables non seulement de comprendre et d’utiliser ces technologies avancées, mais aussi de contribuer à leur développement éthique et à leur intégration judicieuse dans la pratique clinique.

Les meilleures universités mondiales en pointe sur l’IA médicale
Les meilleures universités mondiales montrent l’exemple en intégrant l’intelligence artificielle dans leurs cursus médicaux, associant innovation pédagogique et excellence en recherche.
Aux États-Unis, des institutions prestigieuses, comme la Harvard Medical School, offrent des formations avancées en santé numérique. Harvard propose notamment un cours en ligne de six semaines intitulé «Leading Digital Transformation in Health Care», ainsi qu’un certificat en ligne sur la santé numérique. Ces programmes couvrent des sujets tels que l’intelligence artificielle, la télésanté et l’Internet des objets (IoT) appliqués aux soins de santé, explorant les technologies fondamentales, l’innovation itérative et la gouvernance de la transformation numérique dans le secteur de la santé.
En termes de collaboration avec l’industrie, IBM Watson Health a annoncé un investissement significatif de 50 millions de dollars sur 10 ans pour des collaborations de recherche avec le Brigham and Women’s Hospital, un hôpital d’enseignement affilié à Harvard, visant à faire progresser l’application de l’IA dans des domaines tels que l’utilisation des dossiers de santé électroniques, la médecine de précision et l’équité en santé. Ces initiatives démontrent l’engagement des institutions académiques américaines à former les futurs professionnels de santé aux technologies numériques et à collaborer avec l’industrie pour faire avancer la recherche et l’innovation dans ce domaine.
Au Royaume-Uni, des établissements prestigieux comme l’Imperial College London et l’University College London (UCL) proposent des formations de pointe en intelligence artificielle et santé numérique. L’Imperial College offre un Master of Research en Intelligence Artificielle et Apprentissage Automatique, visant à former une nouvelle génération de chercheurs et d’innovateurs en IA. De son côté, UCL propose plusieurs programmes pertinents, dont un Certificat d’études supérieures en Télémédecine, un Master of Science en Intelligence Artificielle pour la Biomédecine et la Santé, et un autre en Intelligence Artificielle et Imagerie Médicale.
Ces formations combinent théorie et pratique, couvrant des domaines tels que l’analyse de données cliniques, le développement d’algorithmes pour améliorer les diagnostics, et la mise en place de solutions pour la télémédecine. Bien que les détails spécifiques sur les partenariats avec des hôpitaux universitaires pour tester des modèles d’IA ne soient pas explicitement mentionnés, ces programmes visent clairement à doter les étudiants de compétences avancées pour révolutionner la biomédecine et les soins de santé à l’ère du numérique.
En Allemagne, la Charité – Universitätsmedizin Berlin et la Ludwig Maximilian University of Munich (LMU), intègrent effectivement l’intelligence artificielle (IA) dans leurs programmes de recherche et de formation médicale. La Charité dispose d’un laboratoire dédié à l’IA en médecine (CLAIM) qui développe des modèles d’apprentissage automatique et profond dans différents domaines médicaux. De son côté, la LMU mène des recherches en IA appliquée à la médecine, notamment dans le domaine de l’imagerie médicale. Par exemple, des chercheurs de la LMU ont récemment développé un nouvel outil d’IA capable de détecter des maladies moins courantes du tractus gastro-intestinal à partir de données d’imagerie.

La faculté de médecine de la LMU s’efforce de traduire les connaissances médicales et les grandes quantités de données des patients en applications cliniques, en particulier dans le développement de l’imagerie médicale assistée par IA. Bien que ces institutions soient à l’avant-garde de l’intégration de l’IA en médecine, les informations disponibles ne permettent pas de confirmer spécifiquement l’accent mis sur les enjeux éthiques, la transparence des algorithmes ou les recherches avancées sur l’utilisation de l’IA dans le traitement des maladies rares et la chirurgie assistée par robot.

La Tunisie et ses facultés de médecine : vers une adoption stratégique de la santé numérique et l’IA ?
En Tunisie, les facultés de médecine jouent un rôle essentiel dans la transition numérique et l’intégration des nouvelles technologies. Cependant, l’adoption de l’intelligence artificielle (IA) dans les cursus médicaux reste limitée, bien que des initiatives internationales prouvent son impact positif sur la qualité des soins. La formation médicale en Tunisie rencontre plusieurs défis majeurs. Les programmes sont souvent trop théoriques, ce qui limite l’acquisition de compétences pratiques essentielles, et les stages cliniques souffrent d’un manque d’encadrement et de ressources. Les infrastructures hospitalières et les centres de formation manquent d’équipements modernes et d’infrastructures technologiques avancées. De plus, la formation continue pour les médecins en exercice reste insuffisante, rendant difficile leur adaptation aux avancées scientifiques. Les nouvelles technologies, comme l’IA et la télémédecine, sont peu intégrées dans les cursus, freinant la préparation des étudiants à la pratique moderne. Les disparités régionales accentuent ces problèmes, notamment pour les médecins des zones rurales, qui ont un accès limité aux formations avancées. Enfin, la fuite des talents et le manque de financements pour la recherche médicale nuisent à la modernisation du système de santé. Ce déficit de collaboration internationale limite également les progrès dans le secteur.
Face à ces défis, des réformes profondes et une modernisation des cursus sont nécessaires pour répondre aux exigences d’un système de santé en constante évolution. Les facultés de médecine tunisiennes, notamment celles de Tunis, Sousse, Sfax et Monastir, disposent d’un potentiel considérable pour impulser cette transition. Pourquoi ne pas s’appuyer sur l’expertise de nos savants tunisiens à l’étranger, tels que le Professeur Ali Guermazi, spécialiste en radiologie et médecine, directeur du Quantitative Imaging Center, et chef du département de radiologie au VA Boston Healthcare System, ou encore le Dr Moez Benali, directeur médical senior mondial en oncologie, responsable du développement clinique et chef mondial des affaires médicales chez Laboratories Corporation of America Holdings (Labcorp).

Les médecins tunisiens en France évoquent la réforme et la modernisation des cursus de formation
Lors d’une rencontre organisée par l’ambassade de Tunisie en France, en collaboration avec les associations tunisiennes basées en France RECONNECTT et Tunisian AI Society, avec les médecins tunisiens en France en novembre dernier, il a été souligné que le renforcement des formations continues et spécialisées est une priorité essentielle pour améliorer le système de formation des médecins en Tunisie. Il est crucial de faciliter l’accès aux programmes de fellowships, permettant aux jeunes spécialistes d’acquérir des compétences spécifiques dans leur domaine après leur formation. Par ailleurs, les formations continues, conformes aux standards internationaux, doivent inclure des thématiques actuelles telles que l’intelligence artificielle, l’écologie, la télémédecine, le droit et la recherche clinique.
Ces programmes pourraient également être accessibles en ligne, notamment grâce à la contribution des médecins tunisiens résidant à l’étranger. De plus, l’aspect pratique de la formation doit être renforcé par des partenariats stratégiques avec des hôpitaux et des instituts de recherche, afin de permettre aux praticiens d’évoluer dans des environnements professionnels enrichissants.
La modernisation et la structuration des cursus universitaires constituent un autre axe fondamental. Il est nécessaire de revoir les cursus en proposant trois parcours bien définis : un parcours hospitalier, axé sur la gestion des ressources humaines et financières ; un parcours de médecin chercheur, nécessitant une thèse de sciences (PhD) et intégrant la recherche clinique ainsi que l’encadrement ; et un parcours de médecin enseignant, destiné aux professionnels exerçant dans des hôpitaux universitaires et impliqués dans l’enseignement. Une formation structurée pour les résidents doit également être instaurée, avec des objectifs annuels clairement définis dans un « livret du résident », pour garantir une progression homogène tout au long du résidanat. Enfin, l’enseignement de la recherche devrait être amélioré dès les premiers cycles d’études médicales, afin de développer les compétences en innovation et en méthodologie scientifique
L’implication des médecins tunisiens à l’étranger peut considérablement enrichir le système de formation en Tunisie. Il est important d’encourager leur participation à l’enseignement, que ce soit à distance ou lors de mobilités courtes, tout en leur offrant l’opportunité de contribuer à des programmes de formation continue pour les enseignants tunisiens. De même, les dentistes tunisiens résidant à l’étranger pourraient transmettre leur expertise dans des domaines spécialisés tels que l’implantologie, la chirurgie dentaire, l’orthodontie et les soins esthétiques, par le biais de formations continues en ligne.
Pour valoriser la recherche médicale en Tunisie, il est nécessaire d’attirer des investissements et de renforcer les partenariats. Collaborer avec des industriels pharmaceutiques, start-ups, entreprises locales et internationales, ainsi qu’avec des médecins tunisiens et étrangers, permettrait de financer la formation, développer la recherche et améliorer les systèmes médicaux. Des financements pourraient également être recherchés auprès des industriels pharmaceutiques. Par ailleurs, les compétences des médecins tunisiens, reconnues pour leur expertise théorique et pratique ainsi que pour leur implication dans la recherche clinique, doivent être valorisées. En résumé, moderniser les cursus universitaires, renforcer l’accès à la formation continue et attirer des financements sont des priorités essentielles.

 Élaborer une Stratégie Nationale de Santé Numérique Alignée avec la Stratégie Nationale de l’IA
Les initiatives du Centre Informatique du ministère de la Santé (CIMS) et de certaines associations médicales nécessitent un soutien accru pour maximiser leur impact et concrétiser leurs ambitions.
Avec le décret présidentiel n°318/2022 du 8 avril 2022, la Tunisie a légalisé la pratique de la télémédecine, définissant des champs d’application tels que la téléconsultation, le dépistage à distance, la téléassistance médicale, la télé coordination et la prescription médicale électronique. Cette démarche a été complétée par deux arrêtés ministériels publiés le 14 juin 2024 au Journal Officiel, qui précisent les conditions spécifiques de réalisation des actes de télémédecine pour chaque spécialité et les exigences liées à l’autorisation des plateformes de télémédecine dans un cadre de coopération médicale.
Toutefois, certaines dispositions, comme la limitation de la primo-consultation à distance aux patients déjà examinés en personne, l’interdiction de délivrer des certificats médicaux à distance, et l’obligation de protéger les données personnelles, montrent une volonté d’encadrer strictement ces pratiques tout en maintenant des standards élevés en matière d’éthique et de qualité des soins. Ces mesures témoignent d’un engagement clair à moderniser le système de santé tunisien en intégrant des technologies numériques tout en répondant aux enjeux de sécurité et d’efficacité.
Nous attendons également des décrets pour l’intégration de formations en intelligence artificielle (IA) dans les facultés de médecine tunisiennes qui représente une opportunité stratégique pour améliorer la qualité des soins et positionner les professionnels de santé sur la scène internationale.
L’intégration de l’IA dans les cursus médicaux n’est pas simplement une évolution naturelle, mais une nécessité stratégique. Les facultés de médecine tunisiennes pourraient jouer un rôle pionnier en introduisant des modules sur l’utilisation de l’IA dans des domaines tels que le diagnostic, l’imagerie médicale et la médecine personnalisée. Elles gagneraient également à collaborer avec des startups locales et internationales spécialisées en IA pour accélérer ces développements et bénéficier de ressources adaptées. La formation des enseignants s’avère essentielle pour garantir l’efficacité des programmes, tout comme la promotion de projets de recherche interdisciplinaire entre les facultés de médecine, d’ingénierie et d’informatique, pour stimuler l’innovation adaptée aux besoins locaux.
Enfin, l’utilisation de l’IA en médecine doit être encadrée par des principes éthiques clairs, garantissant la confidentialité des données et l’équité dans l’accès aux soins. Ces initiatives offriraient aux facultés tunisiennes l’opportunité de contribuer activement à la modernisation du système de santé national, tout en formant une nouvelle génération de professionnels de santé compétents et innovants. Nous attendons avec impatience la publication de la stratégie nationale de santé numérique et de celle dédiée à l’IA, un duo gagnant qui, espérons-le, devra encadrer et détailler les feuilles de route, les moyens mobilisés, les échéances et les objectifs à atteindre.
Nous espérons également un rôle plus dynamique, constructif et avant-gardiste du Conseil de l’Ordre des Médecins en Tunisie, en collaboration avec l’ensemble des associations spécialisées.

Les cursus e-learning en santé : une solution suffisante pour les médecins tunisiens ?
L’essor du e-learning en santé offre de nouvelles opportunités de formation pour les médecins tunisiens, grâce aux avancées numériques. Ces plateformes permettent un accès flexible et abordable à des formations continues, réduisant les disparités régionales et couvrant des domaines variés. Cependant, des défis subsistent, notamment l’absence de formation pratique en présentiel, le manque d’encadrement personnalisé. De plus, ces formations sont parfois peu adaptées aux spécificités locales, ce qui limite leur pertinence pour le système de santé tunisien.
Pour maximiser l’impact du e-learning, une approche hybride, combinant formation en ligne et ateliers pratiques, est essentielle. Le développement de contenus adaptés à la réalité tunisienne et la reconnaissance des certifications à l’international sont également cruciaux. Par ailleurs, des investissements dans l’infrastructure numérique et une meilleure reconnaissance des formations par les autorités médicales sont nécessaires pour garantir leur efficacité.
Enfin, bien que les plateformes de formation numérique offrent un potentiel considérable, un processus rigoureux de contrôle de qualité, de suivi des apprenants, de respect des normes déontologiques et des règles de cybersécurité est indispensable pour assurer leur crédibilité et leur impact durable.

*Cofondateur et coordinateur général du Tunisia CyberShield,
Cofondateur et coordinateur général de la Tunisian AI Society

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