Libye, la dangereuse frilosité de la diplomatie tunisienne

Tout le monde parle des dangers d’une intervention étrangère en Libye, personne ne parle du danger de ne pas intervenir.

Pourtant, la leçon à retenir de la présence de Daech en Libye, c’est que l’organisation est en train de réaliser une campagne sophistiquée, sur plusieurs fronts, contre les installations pétrolières, ce qui démontre la capacité croissante de l’organisation, loin de ses bases.
Barrack Obama aurait par ailleurs exclu une intervention militaire terrestre contre le groupe. Les USA opéreront des attaques ciblées contre les dirigeants, comme celle qui a frappé l’un d’entre eux avant hier à Sabratha, tuant par la même occasion quelques dizaines de jihadistes. Cette approche chirurgicale est peu efficace pour vaincre le groupe qui compte plus de 5.000 combattants renforcés par l’arrivée de responsables envoyés d’Irak et de Syrie.
Les forces terrestres libyennes, elles même en conflit larvé, sont incapables d’expulser Daech des zones sous son contrôle.
Daech Libye va devenir la base de l’organisation si celle-ci est expulsée d’Irak et de Syrie, ce qui se confirme chaque jour.
Daech va utiliser sa base libyenne pour aggraver le désordre régional et probablement infiltrer et frapper l’Europe qui n’est qu’à quelques centaines de kms.

L’instalation de Daech en Libye
A la mi-2014, Daech a déployé, à partir de la Syrie, un contingent de 300 combattants jihadistes libyens pour diriger la création d’une nouvelle filiale en Libye et étendre sa zone d’influence. C’est à Syrte, début 2015, sur la côte centrale de Libye, que Daech a créé cette filiale. Le groupe a depuis avancé vers l’extérieur de la ville, occupé des zones urbaines et établi des bases à l’est, à l’ouest et au sud.
Daech a exploité les zones non occupées par les milices libyennes ennemies et y a imposé ses propres forces.
Daech possède désormais une zone de plus de 200 kms le long de la côte libyenne, elle y a proclamé son califat en août 2015.
Selon le dernier décompte du Pentagone, Daech maintient entre 5.000 et 6.500 combattants en Libye.

Le plan d’expansion de Daech en Libye
Les maîtres de Daech consacrent des efforts très importants en Libye, comme en témoigne la puissance des attaques destinées à s’approprier les installations pétrolières. Daech a envoyé en Libye ses meilleurs officiers pour développer sa puissance opérationnelle, frapper les adversaires, contrôler la population et consolider le califat.
Deux priorités : augmenter la capacité de désorganiser les forces adverses et l’occupation des sites pétroliers, comme il l’a fait en Syrie et en Irak pour obtenir des moyens de financement nécessaires à sa mission d’occupation de la Libye.
Daech a pris le contrôle complet d’un village à l’est de Syrte et l’a utilisé pour lancer des attaques sur les terminaux d’exportation de pétrole de Ras Lanouf et al Sidra, ainsi que sur l’infrastructure intérieure de production et d’acheminement du pétrole.
Le groupe a exécuté des attaques simultanées sur plusieurs zones urbaines pendant les attaques des infrastructures pétrolières. Il a opéré un attentat au camion suicide dans un camp de formation de la police à Zliten qui a fait au moins 60 victimes et 200 blessés.
Cet attentat a été suivi de plusieurs attaques sur les territoires détenus par les milices de Misrata . Ces attaques étaient destinées à empêcher ces milices d’attaquer Syrte durant le déploiement de Daech autour du site pétrolier.
Daech a également attaqué les infrastructures de pétrole près de Zueitina, loin à l’est de la ligne de front al Sidra, ce qui démontre une parfaite coordination entre les bases de Daech au centre et à l’est.
Mais Daech n’a toujours pas réussi à prendre le contrôle d’infrastructure pétrolière opérationnelle en Libye.
Cependant, sa campagne de janvier 2016 a démontré sa capacité à concevoir et exécuter une campagne complexe et à établir des zones d’appui pour de futures attaques sur les champs de pétrole.
Cette préparation, combiné avec le recrutement d’ISIS d’ingénieurs en Libye, signale que le groupe va lancer plusieurs opérations visant à contrôler l’infrastructure pétrolière de la Libye.

L’incapacité des Libyens à s’unir contre l’ennemi commun
Aucune force libyenne n’est assez puissante pour reprendre du territoire à Daech. La Libye n’a pas une armée nationale unifiée, et ses groupes armés, très divisés, restent otages d’une guerre civile multidimensionnelle.
Le pouvoir de transition, mis en place après la chute de Kadhafi en octobre 2011, n’a pas réussi à résoudre les problèmes politiques et tribaux du pays et, finalement, s’est scindé en deux parlements belligérants, dont chacun est (peu) soutenu par des coalitions, elles-mêmes peu soudées, de groupes armés. L’ONU a du mal à unir les deux parlements derrière un gouvernement d’union, les parties adverses n’arrivent pas à s’entendre sur les personnalités qui conduiraient un gouvernement.
Malgré ce danger, les parties libyennes, qui subissent des campagnes de manipulation au plus haut niveau – comme nous l’avons vu avec Bernardino Leon, financé par des monarchies wahabites qui ont intérêt à avancer leurs pions en Libye – n’arrivent pas à s’unir contre un même adversaire.
Dans le même temps, aucune force de combat libyen existante n’a démontré sa volonté ou sa capacité à vaincre Daech. L’armée Nationale Libyenne (LNA), qui fait allégeance à l’Assemblée de Tobrouk, à l’est, se bat continuellement contre une pléthore de groupes islamistes à Benghazi, Derna et Ajdabiya. La LNA a utilisé sa faible armée de l’Air pour mener des frappes sporadiques sur les positions de Daech, mais ses forces sont surtout concentrées dans les luttes « internes », elles sont incapables de lancer un assaut terrestre sur Syrte.
Pendant ce temps, une coalition de milices de Misrata (ouest de la Libye) a récemment mobilisé, à l’est de Syrte plusieurs combattants, mais toutes ces forces ne font que la moitié, à peu prés, de celles que compte Daech. Elles contrôlent les routes principales et tentent de contenir l’expansion vers l’ouest de Daech.

La question de l’intervention étrangère, la position tunisienne
Les USA et leurs alliés manquent à la fois de partenaires et de volonté de mener une campagne à l’échelle nécessaire pour vaincre Daech en Libye, surtout que la Tunisie et l’Algérie voisines ont prit clairement position contre une intervention étrangère.
La motivation des autorités tunisiennes? L’intervention étrangère en Libye entraînera un flux de réfugiés impossible à contrôler, ce flux contiendra très probablement des éléments terroristes.
Les autorités tunisiennes ont certainement raison sur ce point, mais quelle est l’alternative? D’autant plus qu’une chose est sûre: Daech n’abandonnera jamais ses attaques sur la Tunisie.
La non intervention permettra à l’organisation de poursuivre son expansion et de gagner en puissance par la conquête des terminaux pétroliers. Les attaques contre la Tunisie – et les tous les autres pays – gagneront alors en efficacité et en puissance.
La politique étrangère tunisienne n’est qu’une dangereuse procrastination. Le problème doit-être traité au plus vite. Daech n’est pas une fatalité, en Syrie, l’organisation recule tous les jours.
Il est vrai que l’Armée Nationale Syrienne, appuyée par le Hezbollah et les unité iraniennes réalisent le gros du travail sur le terrain et qu’ils sont soutenus par l’aviation russe. Or la Tunisie, très présente en Libye, possède, depuis des décennies, tous les contacts et l’influence nécessaires pour unir les différentes milices libyennes qui, souvent, se réunissent à Tunis même dans des tentatives de conciliation complètement snobées par le pouvoir en place. Les autorités tunisienne ne le font pas parce qu’au sein même du gouvernement existent des parties pro wahabites qui travaillent à la ruine de la Libye, jouant ainsi le jeu de Daech.
Si la diplomatie tunisienne avait pour véritable objectif l’union des forces libyennes contre Daech, elle ferait, à ce niveau, des avancées importantes, surtout si elle mettait à contribution l’Egypte. Mais là encore, la Tunisie subit l’influence de ses propres islamistes qui refusent la coopération avec le maréchal Al Sissi.
Bref, la Tunisie a un potentiel immense, mais elle subit la frilosité d’un pouvoir compromis.
A terme, la Tunisie perdra beaucoup plus qu’elle ne gagnera. Elle a la possibilité de se positionner en partenaire essentiel dans l’affaire libyenne, mais elle préfère, comme elle le fait depuis 5 ans, appliquer la politique de l’autruche face à des périls qu’elle contribue ainsi à augmenter, pour elle même et les autres.

Pour les détails de Daech en Libye : (ici)

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