Parler de la Libye c’est parler d’une affaire interne. Les puissances occidentales ayant attaqué ce pays durant la période allant de mars à octobre 2011 achèvent très mal leur travail s’agissant de l’institution d’un État capable d’exercer son autorité afin d’estomper la guerre intestine à laquelle le pays se livre depuis la chute de Mouammar Kadhafi.
Politique de l’autruche. La stratégie des puissances mondiales en Libye c’est en effet la politique de l’autruche avec de temps à autre des frappes aériennes intempestives. À titre d’exemple, lundi 18 août vers 2h du matin. Le ciel de la capitale libyenne est déchiré par le bruit des réacteurs d’avions de chasse. S’ensuit une série d’explosions qui secouent plusieurs endroits au sud et à l’est de la ville. De gigantesques boules de feu illuminent la nuit. D’où venaient les bombardiers, invisibles à la faveur de la nuit, qui ont détruit deux campements des milices de Misrata (port de la côte, à l’est de Tripoli) et un dépôt de munitions ? Premiers à nier toute implication, la France, les États-Unis et la Grande Bretagne diffusent des communiqués de presse.
L’Algérie leur emboîte le pas un peu plus tard, et l’Égypte laisse planer le doute. L’armée libyenne s’interroge aussi sur la provenance de ces avions et promet une enquête. Cela ressemble à un jeu d’enfants mais en réalité c’est la guerre et le chaos. Ces frappes se déroulent à un moment où la Libye a un besoin urgent d’aide multidimensionnelle de ses voisins Européens et Américains, la plupart des pays, y compris les États-Unis, évacuent leurs ambassades ou bien réduisent leurs effectifs de manière drastique. Depuis le 25 juin 2014, les semaines de combats entre milices ont tué des centaines de victimes aussi bien du côté de Tripoli que du côté de Benghazi. Ces combats perturbent également l’approvisionnement des civils.
Le règne du chaos
Alors que le pays s’achemine progressivement vers le chaos, l’observateur des événements en Libye ne peut que constater la désertion des représentants de la communauté internationale. Cette désertion a fait croitre la violence et la lutte entre islamistes et anti-islamistes. En l’occurrence, d’un côté, les forces d’un général à la retraite, Khalifa Hafter, regroupées dans le mouvement « Dignité», appuyées par des éléments de l’ancien régime et des milices de la région de Zenten, à l’ouest du pays (une ville à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Tripoli, très active pendant la guerre anti-Kadhafi). De l’autre, un rassemblement de Frères musulmans, de groupes islamistes et de djihadistes, disposant du soutien des milices de l’est de la Libye. Ce déchirement empêche grandement l’essor d’une économie et d’une politique florissante largement dans les moyens de ce pays voisin. Ne comportant qu’une population d’environ 6 millions d’habitants avec une superficie riche en pétrole et en matières premières et dont la superficie est presque trois fois l’Hexagone.
Hafter contre les islamistes
Pour sortir de l’impasse, un ancien général renégat, Khalifa Hafter, promet d’éradiquer les islamistes de l’Est de la Libye. Pour ce faire, il a militarisé la fracture politique en amalgamant tous les islamistes, allant de modérés aux radicaux, et les a déclarés ses ennemis à l’image de ce qui se fait en Égypte. De surcroit, la plupart des non-islamistes faisant front avec le général Hafter souhaitent que les islamistes subissent le même sort que ceux au sein du pays des pharaons. Dans ce contexte où les hostilités deviennent monnaie courante, le cas de l’Irak nous montre que la volonté d’exterminer les islamistes n’est pas la bonne méthode dans la mesure où cette violence ne va que mettre davantage d’huile sur le feu. En d’autres termes, on voit bien comment les islamistes dans un environnement hostile peuvent augmenter encore leur radicalité et peuvent se lancer dans un combat sans fin ; soit par instinct de survie ou tout simplement par fanatisme.
En témoigne de ces tensions sans fin, l’éclatement d’une bataille à grande échelle pour le contrôle de l’aéroport de Tripoli à la mi-Juillet 2014. Du point de vue des islamistes, il avait deux objectifs principaux : entraver les travaux du Parlement nouvellement élu et contrôler les principales routes menant à Tripoli en détournant la circulation des personnes et des biens, entre autres, via l’aéroport de Maitiga. D’ailleurs, les élections du 25 juin 2014, à leur façon, ont constitué l’un des détonateurs de la situation actuelle. En jeu, c’est l’influence politique de la tendance islamiste.
Mais les alliances vont bien au-delà, même si ce n’est en apparence que pour le contrôle de l’aéroport de Tripoli, que les combats ont éclaté le 13 juin. La brigade originaire de Zenten tient toujours l’aéroport et résiste aux attaques de la brigade de Misrata.
Les armes font la loi
Le drame de la Libye est que ceux qui sont du côté du général Hafter ainsi que ceux qui sont dans le camp islamiste pensent que seule la victoire militaire compte.
En ce sens, au lieu de privilégier le dialogue, les deux forces préfèrent s’entretuer en privilégiant le langage des armes. Ce langage des armes fait florès car le gouvernement libyen ne cesse de montrer son impuissance et son incapacité à exercer un contrôle réel sur le pays. Dans cette perspective, Mohamed Abdelaziz, le ministre libyen des Affaires étrangères, ne cesse de demander l’intervention des acteurs internationaux notamment des «formateurs» pour soutenir les forces de sécurité libyennes. Ces forces n’arrivent pas pour l’instant à forcer les belligérants à se retirer des deux grandes villes (Tripoli et Benghazi).
À l’heure actuelle, l’espoir d’un gouvernement d’union nationale n’est pas du tout envisagé au même titre que le désarmement des milices. Enlèvements, assassinats, mélange fréquent de grand banditisme et de règlements de comptes politiques.
Les Libyens vivent dans une insécurité croissante. Le rêve d’une Libye pacifiée s’est dissipé. Une Libye dominée par les milices extrémistes constitue une menace pour la sécurité de la région et en premier lieu de la Tunisie.
Mohamed Ali Elhaou