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Après l’annonce par la France de mesures de rétorsion contre le Royaume-Uni, la verbalisation de deux navires britanniques et des déclarations opiniâtres, Londres et Paris ont calmé le jeu ce jeudi 28 octobre. Au cœur du conflit ? L’obtention de licences post-Brexit accordées aux pêcheurs français.
Le ministre britannique de l’Environnement, George Eustice, a ainsi appelé au « calme » et à la « désescalade », affirmant que la porte de son gouvernement « était toujours ouverte », tandis que le Premier ministre français Jean Castex s’est également dit « ouvert aux discussions », à condition que Londres « respecte ses engagements ». Mais Londres va convoquer l’ambassadrice de France. Soulignant que le Royaume-Uni juge les actions envisagées par la France « injustifiées », la cheffe de la diplomatie britannique Liz Truss a donné pour instruction à sa secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, Wendy Morton, de « convoquer l’ambassadrice française », a annoncé un porte parole du gouvernement britannique dans un communiqué.
Un jour plus tôt, à l’issue du conseil des ministres, la France avait annoncé l’entrée en vigueur de plusieurs mesures de rétorsion à l’encontre des îles anglo-normandes dans le cadre de son bras de fer avec le Royaume-Uni sur les licences de pêche. Parmi ces mesures qui pourraient prendre effet à partir du 2 novembre prochain : l’interdiction de débarquement de produits britanniques sur les côtes françaises ou encore le renforcement des contrôles douaniers.
Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a aussi évoqué une riposte graduelle, avec une possible « deuxième série de mesures », « notamment des mesures énergétiques qui ont trait à la fourniture d’électricité pour les îles anglo-normandes ». Dans la foulée, Londres avait réagi en regrettant une décision « décevante » et « disproportionnée ».
*La France prête à employer « le langage de la force »
« Les menaces de la France sont décevantes et disproportionnées, et ne correspondent pas à ce qu’on pourrait attendre d’un allié et partenaire proche », a réagi mardi soir un porte-parole du gouvernement britannique, affirmant qu’elles n’étaient « pas compatibles » avec l’accord post-Brexit et le droit international. Si ces menaces sont « appliquées, elles feront l’objet d’une réponse appropriée et calibrée », met-il en garde.
Mais, le gouvernement de Boris Johnson ne comprend que le « langage de la force », a déploré jeudi 28 octobre le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, Clément Beaune. « Je crains que, malheureusement, ce gouvernement britannique là ne comprenne que cela », a-t-il déclaré sur CNews. « Ça ne me réjouit pas et c’est pas très intelligent, mais avec un partenaire qui ne comprend que le langage de la force, il faut le parler », a-t-il martelé.
Mercredi soir, un communiqué du ministère français de la Mer et du secrétariat aux Affaires européennes a précisé les mesures : « interdiction de débarquement des navires de pêche britanniques dans les ports désignés », c’est-à-dire les six ports français où le débarquement s’effectue actuellement, ainsi qu’un « renforcement des contrôles » sanitaires, douaniers et de sécurité des navires britanniques.
Enfin, une mesure va plus loin, annonçant un zèle particulier dans les « contrôles des camions à destination et en provenance du Royaume-Uni », quelle que soit leur cargaison. La France ne « laissera pas la Grande-Bretagne s’essuyer les pieds sur l’accord Brexit », a insisté le porte-parole du gouvernement français.
Dans la nuit, le ministère de la Mer a annoncé la verbalisation ce mercredi de deux « navires anglais » qui pêchaient en baie de Seine. L’un a été verbalisé pour « entrave au contrôle » et l’autre – qui « ne figurait pas sur les listes de licences accordées au Royaume-Uni » par la Commission européenne et la France – a été dérouté jusqu’au port du Havre, a précisé le ministère.
*« 50 % des licences »
Le feu couvait depuis des semaines : parmi les sujets de friction post-Brexit entre Paris et Londres, celui de la pêche reste explosif, bien que ne concernant qu’un nombre relativement réduit d’acteurs.
L’accord post-Brexit, conclu in extremis fin 2020 entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.
Dans les zones de pêche encore disputées (zone des 6-12 milles des côtes britanniques et îles anglo-normandes), Londres et Jersey ont accordé au total un peu plus de 210 licences définitives, alors que Paris en réclame encore 244.
« Il manque quasiment 50 % des licences auxquelles nous avons droit », a martelé Gabriel Attal. Côté britannique, le porte-parole du gouvernement de Boris Johnson avance un chiffre bien différent : « 98 % des licences de pêche ont été accordées ».
La ministre de la Mer, Annick Girardin, avait prévenu qu’elle voulait une solution globale d’ici au 1er novembre, puisque l’île de Jersey a donné un délai d’un mois (jusqu’au 30 octobre 2021) à 75 bateaux français pour fournir de nouveaux éléments et rouvrir leur dossier. Ces navires-là étant pour l’instant sur liste rouge, ils ne pourront plus frayer dans les eaux de Jersey à compter de lundi.
*« Aucune communication officielle »
Pour autant, Londres a semblé surpris et s’est dit « très déçu » de ces « menaces proférées tard dans la soirée », selon le secrétaire d’État britannique chargé du Brexit, David Frost, qui dénonce la manière dont les choses se sont faites. « Nous n’avons reçu aucune communication officielle du gouvernement français à ce sujet », a-t-il souligné, disant « chercher à obtenir d’urgence des éclaircissements ».
Côté français, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, affirme que cette décision s’inscrit « dans une démarche européenne puisque nous avons saisi en même temps la Commission européenne pour avoir une réunion de premier étage de règlement des litiges (…) Aucun autre sujet de coopération européenne avec le Royaume-Uni ne pourra progresser sans rétablir la confiance et appliquer pleinement les accords signés », précise le communiqué gouvernemental.
Aussi, la situation reste très tendue aussi dans la région de Boulogne-sur-Mer (Hauts-de-France), où des dizaines de pêcheurs n’ont pu accéder aux eaux britanniques depuis des mois. « Depuis avril, on est à plus de 50 % de pertes d’exploitation », explique l’un d’eux, Stéphane Pinto, estimant qu’il y a longtemps que l’État et l’UE « auraient dû réagir ».
(AFP)