L’image de destruction massive

 

« L’art est un antidestin ». André Malraux

Louis David, le peintre officiel de Napoléon, immortalisa ce dernier lors de sa traversée des Alpes  et en fit l’égal du grand Hannibal. Il le représenta théâtralement, tel un héros antique, sur un cheval en pesade et la cape vermillon au vent. En réalité, le futur empereur franchit le Grand-Saint-Bernard à dos de mule et dans un accoutrement moins pompeux. Napoléon qui croyait dur comme fer au poids des images et au pouvoir qu’elles peuvent exercer sur l’imaginaire des foules, n’hésita pas à en faire fabriquer des falsifiées.

Ce délit de transgression de la réalité, il en fit d’ailleurs son arme de propagande par excellence, et l’image, retouchant le réel, comme ce fut le cas pour la fameuse scène du couronnement, commise par le même David, officialisa la mystification et imposa une version hollywoodienne avant la lettre des actualités de l’époque.

 Le vainqueur d’Austerlitz ne fut sûrement pas le premier à saisir l’importance de l’image. Bien avant lui, l’homme des cavernes en orna les parois de ses grottes, dans un acte magique et de spiritualité primitive, voulant agir sur les esprits occultes et ceux plus communs de la tribu. Les « Michel-Ange » de l’époque pariétale étaient à juste titre l’objet d’une certaine vénération du clan. Comme le fut plus tard à la Renaissance, le Miche-Ange de la Chapelle Sixtine, et son chef-d’œuvre de propagande papale.

Dès lors que le mode visuel constitue l’élément privilégié par lequel on appréhende la réalité du monde, et qui montre autant qu’il déchiffre ce monde,  il ne peut échapper à la manipulation, du moins, à l’interprétation de celui qui en détient les codes. Des rudimentaires images d’Epinal, aux montages savants et subliminaux qui s’insinuent insidieusement dans nos systèmes et qui agissent sur nos modes de réflexion et d’action, bien du chemin a été parcouru. Qu’ils soient capitalistes, socialistes, libéraux, communistes, révolutionnaires ou encore fascistes, tous les régimes ont utilisé avec plus ou moins de bonheur l’image, et s’en sont servis comme moyen de perversion et outil démagogique. Car l’image est rarement neutre, et encore moins innocente. 

Walt Disney, magicien incontournable et « Merlin l’Enchanteur » de tous les enfants de la planète, a été un des plus grands propagandistes de cette Amérique, toujours en guerre contre des ennemis réels ou imaginaires. Ses fameux dessins animés, en apparence innocents, opposaient sans cesse le bien au mal, ce bien qui est identifié sans aucune difficulté par le spectateur, au mal, toujours étranger aux valeurs américaines, dites du monde libre. Un « mal » reconnaissable aux clichés simples mais efficaces, qui, à force d’être répétés, s’imposent comme vérité et évidence. Cela s’apparente bien davantage au lavage de cerveau qu’au banal et anodin divertissement de famille, et a certainement contribué au conditionnement de générations entières, devenues hostiles par réflexe à tout ce qui dépare l’emballage outre-Atlantique. Jusqu’aux couleurs, qui répondaient aux spécificités d’une nomenclature spéciale, et qui renvoyaient à des perceptions précises.

A l’autre bout de la planète, et dans un extrême révélateur, le premier long métrage saoudien n’a vu le jour qu’en 2013, dans un royaume où n’existe aucune salle de cinéma et où l’on débat encore du sexe de l’image, aux côtés d’autres débats de l’âge de pierre.

Mais avoir des salles de cinéma ne garantit pas pour autant la qualité du film, ni la présence d’imprimeries, celles des images. En se promenant dans nos artères, l’œil averti est aussitôt malmené par l’affiche de mauvais goût et nos enseignes mal avenantes. Cela, à lui seul, pourrait décrire l’état mental d’une société, d’une culture.

Nos télévisions, devenues multiples, multiplient les signes de médiocrité visuelle et de misère créative. Et nos journaux télévisés  invitent à aller voir sur d’autres chaînes étrangères, si on y est. Non, l’image est encore bien rebelle à notre entendement et l’utilisation qu’on en fait, manque de la nécessaire subtilité, qui fait toute la différence, entre ce qui distingue le Nord du Sud et la sublime perfection, de la bricole visuelle.

Le Nord, en référence aux pays évolués nous livre constamment et par réflexe culturel, une guerre de l’image. A travers les films, les références visuelles où le cliché, voulu et entendu, domine. A travers les bandes dessinées, les documentaires et tout ce qui peut exciter l’œil, cependant qu’on est incapables de répondre par l’image qu’il faut et la séquence visuelle pertinente. Mais nous sommes autant victimes que coupables. Le langage de l’image a été de tout temps universel et à portée de toutes les cultures et surtout de la nôtre. Cet espéranto qui a existé depuis la nuit du temps et dont nous passons constamment à côté, parce qu’en un certain jour de l’hégire, on nous a interdit d’image et privé de cet outil comme on l’est du dessert. On imagine la civilisation arabe, ayant, à côté d’autres branches du savoir grec, assimilé, diffusé et développé le savoir artistique et la représentation scénique. 

Faut-il alors continuer à se morfondre, ou bien songer à revoir nos cours et le cours de l’histoire? Car il est bien temps de voir là où le bât blesse, et de reprendre là où on a calé. Les premiers chrétiens, pleins de zèle iconoclastique, avaient détruits la sculpture et l’image païennes. Mais plus tard, c’est l’Eglise elle-même qui s’est ressaisie et a été le premier mécène des artistes, forte en cela du pouvoir pédagogique de l’image dans une société illettrée, afin de mieux la rapprocher de l’image de Dieu. 

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