L’image d’une Tunisie qui réussit

La remise, le 10 décembre dernier à Oslo, du prix Nobel de la paix 2015 au quartet national (UGTT, UTICA, l’Ordre des avocats tunisiens et la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme) qui a dirigé en 2012, avec maestria, le dialogue national permettant au pays de mettre un terme à quatre années de transition parfois chaotique, a été un moment d’une grande symbolique dont les Tunisiens ont tiré fierté.
Le temps d’une journée, on a oublié nos différences, nos dissensions, nos peurs et préoccupations et, un peu, nos inquiétudes, pour savourer des moments d’une rare intensité au cours desquels tout le monde n’a cessé de parler du processus démocratique tunisien, de ses promesses et de son cheminement atypique. La reconnaissance faite par la communauté internationale à l’exception tunisienne et le grand élan de sympathie qu’elle ne cesse de susciter, constituent invariablement un socle que toutes les parties sont appelées à capitaliser pour mobiliser plus de soutien à la Tunisie, à son expérience démocratique, à son développement économique, à sa lutte contre le terrorisme. Autant d’arguments et d’opportunités qui s’offrent pour construire une nouvelle image de la Tunisie, qui soit à l’antipode de celle qui domine aujourd’hui dans les médias, les cercles des hommes d’affaires, les voyagistes et les transporteurs internationaux.
L’image d’une Tunisie qui a réussi par le dialogue et le consensus à construire sa démocratie, à éviter la guerre civile. L’image d’un pays où la société civile joue un rôle prépondérant, devenant un véritable contre-pouvoir, et un acteur de premier ordre dans le processus inédit de renforcement de la stabilité, d’enracinement de la démocratie et des libertés, de promotion d’un modèle de développement alternatif favorisant l’inclusion et le partage.
Une image de modernité, d’ouverture et de tolérance que les obscurantistes s’emploient à détruire. Malgré les difficultés du moment, les graves divergences qui ont opposé notamment l’UGTT et l’UTICA au sujet des négociations salariales dans le secteur privé, à Oslo, le Quartet est apparu solidaire, harmonieux et habité par une seule cause, la Tunisie. Une belle image qu’il ne faut pas aujourd’hui reléguer aux oubliettes, une fois la fête terminée et les lumières éteintes. La Tunisie, dont la sécurité, la stabilité et le développement se trouvent aujourd’hui sérieusement menacés, a plus que jamais besoin d’un dialogue serein, sérieux et responsable qui lui évite les écueils de la discorde et de la division. Abandonner cette arme pour revenir à de vieux réflexes égoïstes, à des guerres improductives et incertaines, serait préjudiciable pour le pays et pour le modèle qu’il entend construire.
Le parti Nidaa Tounes, qu’on croyait, abusivement, trouver le chemin de l’union et de la concorde après l’initiative annoncée, avec grand éclat, par son fondateur Béji Caied Essebsi, est à nouveau retombé dans le piège de la division et des surenchères stériles. La scission de ce jeune parti, qui semble encore mal digérer son éclatante victoire aux élections législatives et présidentielle de 2014, paraît plus que jamais consommée. Au regard des divergences qui séparent ses deux ailes, tout plan de sauvetage semble voué à l’échec, à une voie sans issue. La diversité des courants et des profils de ses cadres, qui a été un certain temps l’un des facteurs clef de sa force et de sa réussite, s’est transformée subitement en source de discorde et de malédiction.
A la crise de leadership, qui a été durement ressentie par le départ de son fondateur Béji Caied Essebsi, il semble que ce parti est miné par un mal incurable. L’égoïsme de ses cadres, leur désir insatiable de se positionner et d’occuper des postes avancés dans l’administration et l’Etat, les a poussés à oublier la matrice qui a permis de mobiliser les électeurs en 2014, « la patrie avant le parti » et tout sens du devoir qu’a un parti majoritaire dans la conduite des affaires du pays.
Aujourd’hui, le résultat visible fait de la pitié, inquiète quant au bon déroulement des institutions démocratiques, encore fragiles, et suscite questionnements sur le processus de transition.
Il ne faut pas oublier, enfin, que cette crise qui dure depuis maintenant plus de quatre mois, a été un véritable gâchis pour le pays qui, en lieu et place d’orienter ses efforts pour faire face au terrorisme, au sauvetage d’une économie qui peut crouler à tout moment et à apporter des réponses à des attentes de plus en plus insistantes, est resté bloqué par l’étalage du linge sale d’un parti dont les dirigeants se sont résignés à jouer ce mauvais rôle.

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