L’impasse

Le pays connaît  une fin de mandat calamiteuse à tout point de vue. En témoignent,  l’imbroglio politique qu’il traverse, la   crise institutionnelle grave qui risque d’impacter un processus électoral,  objet de toutes sortes de manœuvres dilatoires, le tourbillon qui est en train d’agiter les partis politiques  les plus influents qui peinent  à retrouver leurs repères et le grand flou que laisse planer le président de la République qui,  en refusant de signer la nouvelle  loi électorale, est venu apporter sa touche à un brouillard de plus en plus opaque.
Cette jeune démocratie malmenée,  depuis un certain temps,  par des vents contraires et surtout par les mauvais calculs d’acteurs politiques  obnubilés par le pouvoir et qui s’obstinent à ramer à contre-courant , une élite décalée et une société civile de plus en plus instrumentalisée,  court des périls certains.  Au  climat délétère qui empeste la vie politique depuis maintenant des mois viennent s’ajouter, ces derniers temps,  une dose de tension, des sources d’inquiétude et d’incertitudes.
A  quelques mois seulement du prochain scrutin, dont les contours demeurent ambigus  et les résultats  difficiles à prévoir,  les Tunisiens dans leur majorité sont habités par une profonde déception et sont convaincus que la classe politique,  en fin d’exercice,  a  failli à ses devoirs, trahi  ceux qui l’ont portée au firmament  et ne daigne changer ni de style ni de discours pour restaurer la confiance perdue d’un corps électoral qui ne se reconnaît plus dans des acteurs ne présentant pas d’alternative et encore moins de programme cohérent.
L’impasse politique que connaît le pays actuellement  illustre,  de la manière la plus parfaite, la dérive dangereuse  des trois têtes du pouvoir du pays, qui se livrent à un combat  acharné et qui n’arrivent pas,  depuis un certain temps,  à sauver même les apparences à l’effet de donner l’illusion d’être capables de  travailler en bonne cohérence et terminer un mandat avec le moins de dégâts possibles.
En lieu et place, on a eu droit à une prééminence du pouvoir dynastique, s’agissant particulièrement de la gestion des affaires du palais de Carthage où les informations sont distillées  à travers  les fuites inopportunes de Hafedh Caïd Essebsi  et les affirmations ostentatoires  du conseiller politique du chef de l’Etat, qui se sont  arrogé des droits en profitant du silence assourdissant  du président de la République.
Cette situation est également, la résultante directe des  mauvais calculs de la coalition au pouvoir qui s’est obstinée à changer la loi électorale, sans aucun respect des délais réglementaires, afin d’éliminer de la course des candidats factices que les différents sondages ont transformés en sauveurs potentiels d’un pays à la dérive.
Cette situation ubuesque  renseigne enfin  sur un fonctionnement calamiteux d’une Assemblée des représentants du peuple dont les membres se sont trouvés dans l’incapacité totale d’assumer la mission qui leur a été confiée.
Manifestement, le Président,  gardien de la Constitution,  est le premier à prendre la démocratie en émergence  en otage pour assouvir les caprices de son clan et prendre une revanche sur la personne qu’il  a,  lui-même, propulsée  aux devants de la scène avant qu’il ne se rebelle, en refusant d’être un simple exécutant d’ordres venant d’en haut. Ayant pris  goût au pouvoir, Youssef Chahed qui s’est assuré de nouveaux soutiens a vu  naître chez lui des ambitions sans limites et se voit présidentiable.
L’impasse politique s’explique en quelque sorte par la poursuite de la  partie de ping pong entre le tuteur et un  disciple qui a choisi de se libérer de l’emprise du maître en  rompant  le cordon ombilical devenu  pour lui une source d’asservissement. La guerre qui se poursuit de plus belle  entre les deux camps  a poussé  chacun à faire  de son mieux pour piéger  son adversaire, le mettre à nu en  usant de tous les moyens  possibles pour le déstabiliser,   quitte à verser le pays dans un engrenage aux conséquences aussi imprévisibles que désastreuses.
Dans cette guerre de tranchées, chacun attend son adversaire au premier tournant, ne reculant  pas à transgresser les règles les plus élémentaires du droit, les principes de  l’égalité des chances, voire même tourner  la Constitution du pays  en dérision pour prendre sa revanche sur l’autre et régler de vieux  comptes.
Alors que le pays est plongé dans l’expectative   et que l’expérience démocratique fait face à  des périls existentiels, les acteurs politiques trouvent un malin plaisir d’entretenir le flou, l’incertitude et  les guéguerres  stériles. Au moment où  le compte à rebours a été enclenché, on est très loin des  débats publics contradictoires, de la présentation de  programmes pouvant séduire un électorat encore indécis ou d’actions ciblées sur le terrain  pour tâter le pouls  des électeurs.
On préfère entretenir les spéculations les plus folles  sur les conséquences qui peuvent découler du refus du président de la République de promulguer la nouvelle loi électorale,  pourtant votée à une majorité confortable à l’Assemblée des représentants du peuple, que d’aborder les vrais sujets. Chaque camp joue son va-tout pour accentuer la  discorde, l’incertitude et le flou, donnant un  avant-goût  amer d’une campagne électorale  qui risque d’être propice à toutes les dérives et à tous les coups bas.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana