L’impératif du revenu universel dans un monde post-Covid-19 !

Durant la dernière décennie de nombreux essayistes, philosophes, historiens, économistes et sociologues ont cherché à décrire la société post moderne qui s’installera dans un avenir proche. Une société fortement marquée par l’usage intensif des technologies numériques et où les robots sont devenus au cœur de nos interactions sociales. Une société où, les drones, l’intelligence artificielle, les données massives et la réalité virtuelle se sont profondément installés dans notre quotidien.

Dans un tel contexte, une grande partie de notre production seraitassurée par des usines intelligentes issues de l’Industrie 4.0 (où tout est commandé à distance). La production d’une grande partie de nos besoins agricoles seraient assurées par des fermes intelligentes et par une agriculture 4.0 peu utilisatrice des travailleurs.Nos relations administratives seraient réglées par une administration 4.0 dont les algorithmes seraient au cœur du fonctionnement.Notre santé confiée à une médecine 4.0 où les robots, les e-consultations et le home-spitals remplaceraient les hôpitaux.La surveillance et la sécurité, habituellement confiée à des policiers, assurée par une police virtualisée et où les drones et les robots surveilleraient les populations. L’enseignement serait en grande partie à distance et dans des environnements de réalité virtuelle avec une forte dose d’auto-apprentissage.

Ce monde ultime décrit dans de nombreux essais[1], nous le vivons à titre expérimental en ce moment. Le COVID-19 a permis d’expérimenter en quelques sortes ce que pourrait être cette société. Une société où l’on demande à une grande partie de la population mondiale de cesser de travailler. Où l’on déploie à grande échelle en démonstration toutes les technologies digitales et où l’on pousse leurs usages au bout de leur possibilités : Robots, Drones, Tracking des individus en utilisant leurs données personnelles, E-consultations, Travail à distance, E-learning généralisé, etc.

Le sentiment que la majorité d’entre nous a éprouvé de vivre un film de science-fiction n’est pas dépourvu de fondement. Une accélération de l’échelle du temps. Ce que pourrait vivre les futures générations, nous le vivons à titre expérimental durant ces quelques semaines voireces quelques mois ! De ce point de vue, nous sommes gâtés et c’est une chance historique pour nous.

Les firmes technologiques vont asseoir davantage leur domination

Les technologies digitales devenues matrices des interactions sociales et vecteurs du futur modèle productif est le vœu ultime des firmes technologiques. The Economist a publié un article s’intitulant (« Les nouveaux Titans, et comment les dompter »), qui rebaptise les GAFA les « Baadd » [TooBig, Anti-competitive, Addictive, Damaging Democracy : trop grands, anticoncurrentiels, addictifs et dommageables pour la démocratie] et exige leur régulation. Ces entreprises sont les grands gagnants du contexte actuel.

Facebook a du mal à stocker les informations de ces utilisateurs dont l’usage a bondit de manière impressionnante. En Chine, la démonstration d’Ali BABA et de Jack Ma est écrasante. Il a permis le déploiement d’applications à grande échelle servant à identifier les COVID-19 positifs par des QR codes sur les smartphones. Sur un autre plan, Amazon n’a jamais été autant sollicité dans le monde. Ses ventes ont bondi de 20% là où les acteurs de la vente à distance éprouvent des difficultés. Amazon cherche à recruter 10 000 personnes dans le monde. Google est en position de force par rapport aux gouvernements qui lui réclament les données des utilisateurs pour comprendre le degré de respect du confinement. Il a eu recours à la randomisation des données – selon le processus de confidentialité différentielle – avant de les proposer aux gouvernements. Netflix a vu ses abonnements monter en flèche et le visionnage de ses programmes n’ont jamais été aussi importantes…Bref, la crise actuelle est une aubaine pour les firmes technologiques qui augmentent leurs parts de marché et leur domination sur la scène économique, mais également politique. Elles sortiront en position dominante après la crise et avec leurs liquidités elles seraient en capacité d’acquérir davantage d’entreprises de l’ancienne économie.

L’impératif du revenu de base !

Mais dans ce monde futur, que nous vivons à titre expérimental, la nécessité d’assurer un revenu de base ou un revenu universel à chaque habitant de cette planètea été remise au cœur des réflexions. « Le revenu de base, encore appelé revenu universel ou allocation universelle, est une somme d’argent versée par une communauté politique à tous ses membres, sur une base individuelle, sans conditions de ressources ni obligation ou absence de travail ». Certains pays ont expérimenté ce fonctionnement économique. Il a été proposé par des candidats à l’élection présidentielle en France (B. Hamon). Ce revenu se justifie de trois ordres.

D’une part, il remplacera les systèmes d’aides sociales classiques – jugées inefficaces et peu transparentes. Un transfert unique qui assurera à chaque habitant ses besoins vitaux. Ce revenu de base est jugé  efficace pour lutter contre la pauvreté et contre la faim (réalisant un des objectifs les plus importants du développement durable). D’autre part, ce revenu de base est une rémunération d’une partie de l’appareil productif. Un pays est un ensemble de ressources collectives et indivisibles. Ces ressources collectives et indivisibles rentrent dans la production des biens et des services et permettent de créer des richesses (le PIB). Certains économistes estiment que 15% du PIB est dû à ces ressources. Ainsi, 15% des richesses devraient être distribuées de manière égalitaire pour l’ensemble des citoyens sans distinction. Enfin, ce revenu de base permet de répondre à la problématique de la raréfaction du travail. Dans un monde futur, il n’y aura pas de travail pour tout le monde. Afin d’éviter de rationner le travail – solution difficile à mettre en œuvre – il convient de mieux répartir les revenus pour davantage d’inclusion sociale et de justice sociale.

Le Revenu universel a été mis en place dans de nombreux pays à titre expérimental : Canada, Alaska, Inde…En Namibie, l’État a décidé de donner 100 dollars namibiens à ses habitants, ce qui a permis de baisser la criminalité, d’avoir une meilleure éducation pour les enfants et une meilleure sécurité alimentaire. Les résultats sont globalement satisfaisants.

Le COVID-19 met les Etats devant le fait accompli pour la distribution d’un quasi revenu de base !

Avec l’urgence sanitaire et l’urgence sociale sans précédent de nombreux Etats se trouvent en quasi obligation d’expérimenter ce schéma. Des millions de personnes sans emplois, des millions de personnes sans revenus laissés pour compte et ne disposant d’un minimum pour survivre. En cherchant à limiter le nombre de décès liés au COVID-19, on se rend compte que la faim également tue et que le manque de moyens conduit à des comportements dangereux pour les populations.Les Etats, quelque soient leurs régimes et leurs idéologies, ont cherché à distribuer des chèques de manière urgente pour fournir un revenu minimal permettant d’assurer la survie dans cette période transitoire.Aux États-Unis des chèques ont été envoyés à une grande partie de la population en difficulté.Au Royaume-Uni, 170 parlementaires de différents partis ont adressé le 19 mars une lettre au gouvernement britannique, lui demandant l’instauration d’un « revenu universel d’urgence » le temps de la pandémie.En Allemagne, l’idée d’un revenu de base, d’un montant de 1000 euros et pour une période de six mois est soutenue par la presse.

La question que nous nous posons et si ces revenus deviennent des revenus permanents et non transitoires ? Ces revenus temporaires ne sont-ils pas annonciateurs de la fin d’une période et de l’entrée en vigueur d’une seconde ère dans laquelle pour réduire les inégalités, lutter contre la pauvreté, les Étatss’engageraient à payer un droit existentiel aux populations ? Affirmer que nous rentrons dans une nouvelle ère post-COVID-19 c’est explorer de nouvelles pistes mises dans les terroirs depuis quelques temps ! Pour ma part, j’estime que la période est propice et que les idées qui n’étaient dans l’air du temps reviendront à la mode : partage, écologie et revenu de base. De plus l’ère post COVID-19 nécessitera une politique de relance massive et le revenu universel serait un excellent instrument !

Le financement d’un tel dispositif n’est pas aisé mais possible

Le revenu minimal viendrait en remplacement des aides actuelles selon un mécanisme transparent. Pour ma part, je serai d’avis pour créer deux catégories (moins de 18 ans et plus de 18 ans). Il remplacera les subventions aux produits de base dans les pays en développement (pour un meilleur usage de ces ressources et pour limiter les gaspillages). Il remplacera les aides sociales octroyées selon des barèmes peu lisibles et il réduira la taille du secteur public consacré à ces mécanismes de distribution/de contrôle,etc.

Le devoir de solidarité, amènera à faire payer les catégories sociales les plus aisées (une plus grande progressivité de l’impôt est requise), mais également à installer des droits nouveaux comme des recettes fiscales sur les visites touristiques (une espèce de RSE). Faire payer aux touristes 20 dinars investit dans le revenu minimal est un moyen de lier les activités touristiques au bien-être de la population, dont la perception est parfois biaisée. D’autres pistes sont possibles.

Assurer des filets sociaux pour permettre de construire une société plus solidaire est le premier impératif dans la plupart des pays du monde après l’épisode du COVID-19. Un capitalisme sauvage laissant pour compte des millions de personnes n’est pas viable et n’est plus voulu par les populations. D’autres voies sont possibles et le revenu de base est une politique de rupture (disruption) par rapport aux schémas de pensée classique. L’interdépendance en matière de comportement sanitaire a permis de montrer qu’elle ne peut être assurée sans un minimum de revenu pour toute la population. Avec un revenu de base, l’investissement en capital humain serait plus élevé et cela constitue la clé pour faire face aux menaces du 21èmesiècle.

Adel Ben Youssef ©

[1] On peut citer ici entre autres Homodeus de Yuval HARIRI ou encore la Guerre des Intelligences de Laurent Alexandre.

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