Il est compréhensible que l’économie tunisienne reste fragile après la révolution, mais il est préoccupant de constater que cette fragilité persiste. La Tunisie ne peut plus se permettre de retarder son redressement ; il est impératif d’agir rapidement. La transition que traverse le pays nécessite des stimuli monétaires et budgétaires exceptionnels pour relancer l’économie. Dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires sont limitées, la Banque centrale de Tunisie (BCT) doit jouer un rôle central. La politique actuelle, axée uniquement sur la stabilité des prix, doit évoluer rapidement vers une approche monétaire plus active, orientée vers la stimulation de la croissance.
Par Mohamed Ben Naceur
Le nouveau Gouverneur de la BCT avait plaidé pour l’indépendance de l’institution avant même sa prise de fonction. Cependant, il semble aujourd’hui revenir sur cette position en acceptant une révision de la loi relative à la Banque centrale, prévoyant une coordination accrue entre la BCT et le gouvernement pour la politique monétaire et de change. Bien que n’étant pas, en principe, problématique, une telle coordination doit se limiter à des consultations, sans empiéter sur l’autonomie du Conseil d’administration dans la prise de décision. Sinon, le rôle du Conseil serait vidé de sa substance.
Il en va de même pour le financement direct du budget de l’État par la BCT. Bien que cela puisse être envisagé dans certaines circonstances, il est essentiel que la BCT ne devienne pas une banque du gouvernement au détriment du financement de l’économie via le secteur bancaire. L’interdiction générale du financement direct des déficits publics par les banques centrales à travers le monde repose sur l’idée de maintenir une discipline budgétaire stricte et d’éviter les solutions de facilité.
L’indépendance de toute banque centrale est fondamentale pour assurer la stabilité macroéconomique et financière. Une banque centrale autonome peut conduire une politique monétaire axée sur la maîtrise de l’inflation et la stabilité du taux de change, tout en minimisant les risques d’ingérence politique dans les décisions économiques. Cette indépendance repose sur deux piliers principaux :
Indépendance opérationnelle : la BCT doit avoir la liberté de fixer les taux d’intérêt, de gérer les réserves de change et de définir les politiques de crédit et de liquidité, sans intervention politique. Cette autonomie permet de réagir efficacement aux fluctuations économiques et de fonder les décisions sur des analyses objectives.
Indépendance institutionnelle : il est crucial que la BCT soit dotée d’un cadre juridique garantissant son autonomie vis-à-vis des autres pouvoirs de l’État, avec des nominations transparentes, des mandats à durée fixe pour ses dirigeants, et une responsabilité clairement définie vis-à-vis du Parlement ou d’une autre instance de supervision.
Remettre en question l’indépendance de la BCT pourrait éroder la confiance des investisseurs, déstabiliser les marchés financiers et favoriser l’inflation en cas de financement excessif des déficits publics.
Impulser l’économie dans un contexte inflationniste
De nombreux analystes, y compris la Banque mondiale, prévoient que la croissance tunisienne restera faible. Face à ce constat, la relance économique devient une priorité absolue, nécessitant des efforts budgétaires, une politique monétaire expansionniste (avec une réduction des taux d’intérêt) et un soutien aux banques en difficulté de liquidité. Toutefois, dans un contexte inflationniste, concilier croissance et maîtrise de l’inflation sera un exercice délicat pour la BCT, qui devra éviter le piège de la stagflation.
La stagflation, caractérisée par une faible croissance et une inflation élevée, complique la gestion de la politique monétaire. L’inflation pourrait inciter la BCT à maintenir une politique plus restrictive pour contenir les prix, mais cela risquerait de freiner une croissance déjà fragile. Inversement, une politique expansionniste pour soutenir l’activité économique pourrait aggraver l’inflation. Dès lors, la question se pose : faut-il tolérer une certaine inflation pour favoriser la croissance et l’emploi, ou plutôt chercher à la contenir, quitte à compromettre la reprise économique ?
Relance économique et gestion des risques
La Tunisie a besoin d’une relance budgétaire et monétaire, mais ces mesures doivent être menées avec prudence. Une mauvaise stratégie pourrait coûter cher en termes de croissance et d’emplois. En dépit de l’urgence économique, la BCT doit veiller à ne pas provoquer une flambée incontrôlée des prix.
La Banque centrale dispose d’une marge pour abaisser son taux directeur, qui est resté inchangé depuis longtemps. Une baisse des taux pourrait réduire le coût du crédit et relancer l’activité économique, notamment pour les PME, qui représentent un moteur essentiel de l’économie mais rencontrent des difficultés de financement. En assouplissant les taux, la BCT pourrait redonner confiance aux PME, encourager la consommation et l’investissement et soutenir la demande intérieure. Une baisse des taux permettrait également de maintenir un dinar légèrement plus faible, stimulant ainsi les exportations.
Toutefois, les pressions inflationnistes sont bien réelles, alimentées par la hausse des cours du pétrole et des produits alimentaires à l’échelle mondiale. Les signaux de reprise de l’inflation se multiplient, ce qui complique la tâche de la BCT. Une politique monétaire expansionniste pourrait exacerber les tensions inflationnistes, nuire au pouvoir d’achat et augmenter les risques de troubles sociaux.
Dans ce contexte, il pourrait être préférable d’accepter une inflation modérée à court terme pour stimuler la croissance, plutôt que de chercher à la contenir à tout prix, au risque de compromettre la reprise économique.