Les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour le portefeuille du tunisien. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), le taux d’inflation a atteint 4,8% en mars 2017, alors qu’il s’était relativement stabilisé en janvier et février derniers à hauteur de 4,6%. La part belle est faite aux produits alimentaires, dont les prix, toujours selon l’INS, ont augmenté à hauteur de 10,7% pour les légumes, de 14% pour les huiles alimentaires et de 6,6% pour les poissons, sans compter la hausse des prix du lait et de ses produits dérivés.
Wajdi Ben Rejeb
La réalité est plus inquiétante
Des chiffres qui sont tout sauf encourageants et qui, malgré leur gravité, ne reflètent pourtant pas la réalité du désastre économique subi par le consommateur. Selon l’économiste et universitaire Wajdi Ben Rejeb, nul besoin de l’INS pour se rendre compte de la hausse de l’inflation. Ce taux est en réalité bien plus important. L’alimentation constitue, selon lui, la plus importante des dépenses du tunisien moyen : près de 40% de son revenu. L’augmentation est constatable dans les prix des légumes, notamment ceux des tomates, les huiles végétales, ou encore la viande blanche (volaille ou poisson). À cela s’ajoutent le logement et les factures d’électricité, d’eau et de gaz.
« Le 1er janvier 2017, la facture de la SONEDE a augmenté de 15%, celle de la STEG de 5% au niveau de l’électricité et de 7% pour le gaz. De ce fait, nul besoin pour l’INS de constater la hausse vertigineuse de l’inflation en Tunisie. Il faut plutôt prendre en compte l’opinion publique sur l’inflation, à savoir l’inflation ressentie. Ce taux est le plus proche de la réalité car il regroupe, à titre d’exemple, l’alimentation et les factures », explique-t-il à Réalités Online.
La démarche de l’INS est scientifique selon Wajdi Ben Rejeb, qui s’interroge tout de même sur son efficacité. « Est-elle réellement adaptée pour faire un calcul prenant en considération le mode de consommation du tunisien en 2017 ? L’INS table sur une hausse globale des produits alimentaire de l’ordre de 28%, mais il est certain que ce taux se situe plutôt aux alentours de 35 à 40%, en fonction du foyer étudié. Idem pour le logement : l’INS avance une augmentation de 17%, ce qui ne colle pas du tout ! Un locataire, aujourd’hui, dépense près de 50% de son revenu pour se loger », affirme encore l’universitaire.
Il souligne, par la suite, que le calcul de l’INS prend en compte les produits administrés – subventionnés par l’État – qui représentent un tiers des produits. En soustrayant les prix de ces produits, le glissement de l’inflation sera bien plus important, d’après lui.
D’un autre côté, l’économiste estime que l’économie parallèle contribue à la hausse de l’inflation. « L’INS ne prend en compte que les circuits organisés. Or, l’économie parallèle représente 50% de l’économie nationale. En d’autres termes, l’inflation avancée par l’Institut est bien inférieure au taux réel », déclare-t-il encore.
Mieux contrôler les circuits de distribution pour maîtriser l’inflation
D’autre part, Wajdi Ben Rejeb explique que malgré la hausse récente des salaires, l’inflation continue à grignoter le pouvoir d’achat du citoyen. « La masse monétaire explose, mais les citoyens s’appauvrissent, ce qui constitue un vrai paradoxe. En parallèle, les prix continuent à augmenter, car la hausse des salaires ne s’est pas accompagnée par celle de la production », explique-t-il, soulignant que d’autres facteurs expliquent l’inflation, à l’instar de la diminution de l’épargne nationale, la hausse des prix des huiles végétales – fabriquée à partir de matières premières importées -, ou encore la détérioration du dinar tunisien. « Autrement dit, l’inflation est le résultat de la politique monétaire, de la santé économique de la Tunisie et de la contrebande et le marché parallèle. Il y a absence de contrôle de la part de l’État. Ce dernier doit disposer des moyens nécessaires pour contrôler les circuits de distribution », déplore-t-il.
Quelles solutions peut-on envisager pour arrêter l’hémorragie ? D’après Wajdi Ben Rejeb, les pouvoirs publics doivent intervenir dans trois volets : la mise en place d’une politique monétaire efficace, la stimulation de la productivité à travers, à titre d’exemple, les incitations fiscales, et le contrôle des transactions économiques. « Ce dernier point relève du devoir de l’État vis-à-vis du citoyen. Le contrôle doit être efficace. Il lui permettra de remplir ses caisses grâce aux amendes et aux impôts prélevés sur le commerce parallèles », explique encore l’universitaire, et de conclure : « à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. L’État a les clés pour résoudre ces problématiques ».
M.F.K