C’est un fait, un avortement n’a rien de plaisant et peut parfois être particulièrement douloureux ; dans le jargon médical, on appelle cela une « IVG », soit une interruption volontaire de grossesse. La loi relative à la réconciliation nationale, fruit de l’initiative lancée par le Président Caïd Essebsi, le 20 mars 2015, est perçue par l’Instance Vérité et Dignité (IVD) comme une menace pour sa survie. Emergeant à peine des fonts baptismaux, voila l’IVD menacée, purement et simplement, d’une IVG, ce qui en ferait en quelque sorte un mort-né. Fausse couche ou IVG, le résultat est le même : à peine née, l’IVD risque de cesser de vivre. Dans ces conditions, on ne peut reprocher à la présidente de l’IVD de monter au créneau pour défendre son « bébé » nourri à la purée transitionnelle et allaité aux mamelles de la Révolution. Pour conjurer la fatalité, Sihem Ben Sedrine se rue sur les plateaux télé en criant au sacrilège et à la tentative de blanchiment de la corruption. A dire vrai, de bien grands mots pour décrire un texte de loi qui, comme son intitulé l’indique, ne vise qu’à réconcilier et souder les Tunisiens face aux dangers mortels qui les guettent. Comme si plus de 4 ans de chasse aux sorcières et de procès en sorcellerie ne suffisaient pas et qu’il faille se coltiner encore plusieurs années de soupçons et de déchirements. Faut-il que tous les hommes d’affaires quittent le pays, que l’Administration s’effondre et que la Tunisie soit passée par pertes et profits pour que la soif de vengeance et de reddition des comptes de certains soit étanchée ? Je veux bien admettre qu’après la Révolution de nombreux dossiers n’aient pas été tranchés, que des hommes ayant profité de l’ancien régime ont été injustement épargnés ; mais, souvent, le remède est pire que le mal et le maintien d’un climat de suspicion et de peur risque de priver la Tunisie de ses meilleurs cadres et de ses investisseurs majeurs. Au demeurant, rien ne serait plus faux que de considérer la loi organique instituant l’IVD comme une grande avancée démocratique. En effet, de par ses attributions, son mode de fonctionnement, cette instance s’apparente davantage à un Tribunal de l’Inquisition qui cherche à traquer le mal et l’hérésie depuis le 1er Juin 1955. En lui conférant des pouvoirs exorbitants pour farfouiller dans les poubelles de notre histoire et rouvrir les vieilles cicatrices depuis cette date, le législateur n’a pas sérieusement pris en compte les risques que l’on faisait courir à la cohésion nationale. Au surplus, on ne peut qu’être choqué par le fait que les principes de l’autorité de la chose jugée et de la prescription pénale soient écartés de la loi instituant l’IVD au mépris des règles élémentaires de notre Droit.
Le souci d’équité, le rétablissement des vérités historiques et la réhabilitation des victimes de la dictature sont des objectifs louables que l’IVD peut, éventuellement, tenter d’atteindre sans pour autant se transformer en père fouettard d’une nation déjà passablement fatiguée par 4 années de tiraillements et de turbulences. Le passé des membres de l’IVD et les conditions de leur désignation ne sont pas également de nature à nous rassurer sur l’impartialité de leurs travaux et de leurs conclusions. L’équipée carthaginoise – digne d’une comédie burlesque – visant à s’approprier les archives présidentielles, à quelques jours de la passation des pouvoirs entre Marzouki et Caïd Essebsi, a jeté une lumière trouble sur les desseins réels de cette Instance nouvelle.
Qu’on le veuille ou pas, la loi sur la réconciliation nationale est une nécessité dictée par les circonstances dramatiques que traverse la Tunisie ; quand des Barbares veulent détruire l’Etat et précipiter notre pays dans l’abîme, les combats pour la pureté historique et la virginité des consciences deviennent vains et contre-productifs. La loi sur la réconciliation nationale n’a pas pour vocation d’être une lessive destinée à blanchir le linge sale ou le passé de quiconque, mais vise à rendre compatible le besoin de justice et le droit à la mémoire avec la sauvegarde de notre pays. Et peu importe si le prix à payer est d’organiser des funérailles à une instance mal née et d’offrir une brassière noire à ses géniteurs.
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