Logique de pourrissement 

En ce début d’année électorale, pas comme les autres, tous les acteurs politiques et sociaux sont en train de jouer  à fond la carte du pourrissement, croyant qu’ils peuvent  de la sorte engranger des bénéfices en entretenant le doute, la tension et l’agitation sociale. Ils feignent d’oublier, au passage,  que ce sont les Tunisiens qui paieront au final une  facture salée pour  leur  imprudence et leurs mauvais calculs politiciens.
Manifestement, les graves évolutions observées ces derniers temps  sur les fronts  politique et social témoignent amplement de la détermination des différents acteurs à aller jusqu’au bout de leur logique, renseignent  de leur détermination à entraîner le pays dans une spirale infernale d’agitation et de règlement de comptes,  à n’en plus finir.
Les manifestations de ce charivari qui a gagné la sphère politique sont nombreuses.  En effet,  nonobstant la désaffection du Tunisien du politique, la perte de confiance dans les partis et le fort taux d’abstention enregistré lors des dernières Municipales, nos acteurs politiques ne semblent pas encore retenir la leçon et saisissent mal  le message qui leur a été envoyé.
Au moment où les Tunisiens sont préoccupés par le renchérissement du coût de la vie, la dégradation des services publics et, last but not least, les dérapages incontrôlés du syndicat de l’enseignement secondaire qui menacent sérieusement la scolarité de millions de jeunes, jetant  un discrédit sur l’école publique, les sujets qui polarisent l’attention de la classe politique se trouvent aux antipodes des attentes des Tunisiens, de leurs préoccupations les plus persistantes. Au fur et à mesure que l’échéance électorale s’approche, les cartes ne font que se brouiller. Devant leur incapacité de présenter  des arguments probants et de mobiliser les électeurs, les acteurs politiques préfèrent poursuivre leur  fuite en avant, leur entreprise d’empester la vie publique, et donner raison à ceux qui ont préféré,  depuis 2014,  bouder les urnes et ne pas s’inscrire dans le jeu de partis qui s’agitent beaucoup plus qu’ils n’agissent  pour  favoriser un véritable débat.
En lieu et place,  on se focalise, encore et toujours, sur l’interminable feuilleton de Nidaa Tounes, dont les divisions et les vagues de défections qui le secouent, ne perturbent  que ceux qui sont impliqués dans cette guerre à n’en plus finir.  Même l’arrangement trouvé pour recoller ses morceaux n’a pas résisté au temps. La fuite de Slim Riahi, intronisé Secrétaire général du parti à l’effet de renforcer son positionnement face à Ennahdha et de contrer  la coalition qui soutient Youssef Chahed, a été le révélateur de sa faillite collective et de l’impossibilité pour cette formation, en mal de leadership,  de retrouver ses repères et son unité perdue.
On se focalise également sur le tourisme parlementaire qui continue à biaiser la vie politique, rendant,  plus que jamais,  les équilibres mouvants et le fonctionnement de l’Assemblée des représentants du peuple chaotiques.  Alors que des dizaines de projets de loi  qui intéressent la vie politique, économique et sociale, continuent à moisir  dans les tiroirs de l’hémicycle du Bardo, et que des réformes essentielles sont bloquées, les réunions des plénières s’apparentent plus  à une arène de combat plutôt que de discussion et où le  mauvais goût a franchi tous les voyants rouges.  Voir  des élus  franchir toutes les limites  du tolérable en versant dans les obscénités, les insanités  et le pugilat, n’offusque  guère ces acteurs.
Face à ce grand vacarme, que fait le président de la République ? Hormis  l’attention qu’il accorde à la diplomatie et à la sécurité du pays, on a l’impression que tout le reste ne l’interpelle plus. Avec l’installation des deux têtes de l’Exécutif dans une logique presque de rupture, le président de la République semble observer de loin le fonctionnement du gouvernement, comme si la réussite de ce dernier l’importunait !
La tiède intervention présidentielle dans le bras de fer qui oppose le gouvernement à l’UGTT,   dans  le dossier de la fonction publique, a surpris,  révélant une cohabitation devenue presque  impossible.
Pour terminer ce décor, il faut avouer que,  lâché et objet d’interminables attaques souvent  amies, le gouvernement ne brille pas outre mesure  par une  gestion sereine et  efficace des affaires du pays. Au regard de la pression à laquelle il fait constamment face, il se contente le plus souvent de constater les dégâts, de  d’improviser à tour de bras, gérer  les affaires du pays sans une feuille de route claire et d’avoir un discours  presque  inaudible. Etant incapable d’anticiper, de communiquer et de mener sur le terrain une action efficace,  il donne raison à ses détracteurs.
Peut-on espérer mieux, lorsqu’on se rend compte qu’on a aujourd’hui  une administration passive,  dégarnie et de plus en plus gagnée par le doute, des organisations nationales tentées par la politique et qui font tout pour exacerber les tensions, une société civile qui obéit à des agendas suspects et des médias complètement décalés et incapables d’influencer le débat public ? 

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