par Hajer Ajroudi
Des organisations terroristes se livrent bataille sur nos frontières côté libyen et des cellules djihadistes peuplent nos frontières côté algérien. Jamais la Tunisie n’a été aussi menacée. La loi antiterroriste de 2003, rejetée mais toujours en vigueur, est sur le point d’être modifiée. Un nouveau projet a été soumis à feue l’ANC, a été enterré au fond d’un tiroir puis, sous la pression de la société civile, sa discussion a été entamée pour être à la fin reportée à une date indéfinie. Entre temps on n’a pas fini de compter le nombre de nos martyrs. Derrière le retard de l’adoption de cette loi, on évoque des points de litige au premier rang desquels, comble de l’aberration, la définition du terrorisme et l’équilibre entre lutte contre ce fléau et Droits de l’Homme.
« La mort d’un homme est une tragédie, la mort d’un million d’hommes est une statistique ». Aujourd’hui, un acte terroriste, donne tout son sens à la citation de Joseph Staline puisqu’il banalise en quelque sorte la mort. Néanmoins, c’est aussi là, toute la tragédie ; un seul acte suffit parfois à rafler la vie de milliers de personnes. C’est peut-être là la différence caractérisant le crime terroriste des autres crimes. Il ne menace pas seulement les personnes, mais la sécurité nationale, voire la notion de l’Etat. En Syrie, en Irak et en Afghanistan, les Etats, envahis par les organisations terroristes, se sont effondrés ainsi que leurs institutions.
Bien que beaucoup soutiennent qu’il n’y ait point de Droits de l’Homme quand il s’agit de terrorisme, la difficulté consiste aujourd’hui en Tunisie en la volonté de créer un équilibre entre une lutte efficacement menée et un Etat respectueux des droits et des libertés. « Les discussions visent la création d’un équilibre entre le respect des Droits de l’Homme, la lutte antiterroriste et l’adoption d’une loi permettant aux autorités judiciaires et à l’appareil sécuritaire de collaborer ensemble afin d’être efficaces sur le terrain. La loi antiterroriste doit être cohérente avec nos aspirations à construire un Etat démocratique et ne devrait pas permettre les abus lors de l’arrestation ou les tortures en prison. La question qu’on se pose est où s’arrête le respect de la vie privée de l’accusé : son dossier, ses communications, le contrôle de ses transactions financières. La loi antiterroriste ne doit pas trouver d’obstacles. »
Une question de compétence
Les différends relatifs aux limites à fixer entre Droits de l’Homme et lutte antiterroriste ont engendré une question de compétence. Qui, des deux commissions, celle de la législation générale ou celle des Droits et Libertés, serait la plus apte à discuter de la loi antiterroriste. La présidente de la commission des Droits et Libertés, Bochra Belhaj Hmida, explique à ce propos « On ne connaît pas la position de la commission de la législation générale. La commission Droits et Libertés a simplement estimé qu’il était plus logique et cohérent que la loi antiterroriste soit de notre compétence. Le terrorisme est une atteinte à la sécurité et à la vie donc on touche aux droits fondamentaux, mais on parle aussi de droits de l’accusé. La saisie des biens, le traitement du dossier, l’écoute téléphonique (…) sont des questions qui font partie des différends et qui n’ont pas encore été discutées. Il faut garantir les droits de l’accusé tout en prévenant les actes terroristes parce que sur certains points, c’est de la prévention dont il s’agit. Comment peut-on les empêcher de commettre un acte sans toucher aux droits, aux libertés individuelles, aux biens et à la vie privée ? C’est pour cela que la question relève de notre commission. Cela touche aussi au traitement par les médias des affaires terroristes et la circulation ou la divulgation de l’information. Toute la question est là. Comment protéger les droits des professions, la relation entre les clients et leurs avocats, les patients et leurs médecins, tout en leur permettant parfois de dénoncer leurs clients ou patients susceptibles de commettre des actes terroristes ? Comment s’assurer que la liberté des journalistes ne soit pas touchée ? Comment s’assurer que la liberté de presse ne soit pas menacée et en même temps ne pas faire l’apologie du terrorisme ? C’est le plus grand défi, cela sera difficile, mais il nous faut le faire. »
Le terrorisme puise sa force de sa mobilité, c’est un phénomène international, difficile à contenir et à contrôler. Le Conseil de l’Europe a justement présenté sa convention jeudi dernier à Tunis pour la prévention du terrorisme. La décision d’y adhérer n’a pas encore été prise par la Tunisie. Cette convention de 32 articles se rapporte à la coordination dans la prévention et l’échange de renseignements, sur les différents crimes liés au terrorisme comme le recrutement, l’incitation, le financement, la compétence, la protection (…). Certains aspects obéissent au code pénal de chaque Etat tandis que d’autres closes cadrent les domaines de coopération entre les Etats adhérents.
A l’origine, la faiblesse des Etats
Ivan Koedjikov, chef de service de la lutte contre la criminalité et coordinateur pour la lutte antiterroriste, à la Direction générale Droits de l’Homme et Etat de droit au Conseil de l’Europe nous déclare à ce propos « On ne peut pas parler aujourd’hui de plus de terrorisme qu’avant. Dans le passé, il y avait Al Qaida, les actes terroristes des années 70 (…). Mais la raison pour laquelle l’Etat islamique ou Daech existe et se répand est la faiblesse des Etats au sein desquels cette organisation s’est développée et qui sont des Etats sans traditions démocratiques et sans institutions. Là où la société fonctionne avec des institutions, dans le respect de l’Etat de droit et le respect des Droits de l’Homme, il y a moins de terrorisme et il n’y a pas d’Etat islamique. Le conseil de l’Europe prend des mesures pour que les terroristes soient stoppés. Il fonctionne dans un espace commun dans le respect des mêmes valeurs. Certaines mesures, comme parfois la vérification d’information sur une personne avant qu’elle ne quitte l’aéroport, doit se faire d’une façon rapide et les Etats s’entraident dans ce sens en s’échangeant les renseignements. Nous sommes 47 Etats à adhérer à la convention. La Tunisie n’en fait pas partie et aujourd’hui, le but est de montrer aux Tunisiens pourquoi ils doivent ou pas adhérer à la convention. »
Aujourd’hui, en Tunisie, le danger terroriste n’est pas seulement à nos portes, il loge dans nos montagnes, sur notre sol et fait couler le sang de nos soldats, des agents de la Garde nationale et de la sûreté nationale. Deux leaders politiques ont été assassinés et des milliers de Tunisiens combattant en Syrie et en Libye promettent de revenir… Dans ce contexte, on ne peut se permettre autant de retard dans l’adoption de la loi. Le danger nous guette tous : politiques, députés et peuple, il menace ce qu’on a de commun, la Tunisie et sa souveraineté. Les différends autour de cette question n’ont donc pas lieu d’être, surtout qu’entre-temps, les soldats sont en train de payer ce retard de leur sang et que les groupes terroristes ne respectent rien. Même pas le droit à la vie.
Le secrétaire d’Etat chargé de la sûreté, Rafik Chelly vient d’annoncer que le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent est fin prêt et qu’il sera présenté lors du prochain conseil ministériel pour adoption et pour être soumis, ensuite, à l’Assemblée des Représentants du Peuple. Serait-ce le dernier acte ? Vivement.
Il semble que le nouveau projet n’a rien à voir avec la loi de 2003, et que des experts, des juges et des professeurs de droit ont été consultés pour en modifier certains points, avant sa soumission au conseil ministériel. Attendons pour voir !
Jalel Ghedira: « Le temps presse »
La loi antiterroriste a été discutée au sein de l’ANC et reportée pour être discutée au sein de l’ARP, quels sont les points litigieux qui persistent ?
On a démarré de la loi de 2003 qui a été proposée à l’ANC afin de remédier aux failles en matière de Droits de l’Homme. Cette loi a été presque changée en totalité. Le blocage se rapporte à la définition du crime terroriste et aux sanctions à adopter. Aujourd’hui, la loi est toujours au niveau ministériel, elle a été présentée trois fois pour examen en conseil ministériel et à chaque fois remise pour être discutée. On l’attend toujours à l’ARP. Néanmoins on n’a pas de vide juridique puisque la loi de 2003 est toujours appliquée par les forces de sécurité.
Toutefois, la dernière mouture semble répondre aux exigences de l’étape. Son adoption est une priorité absolue. Le temps presse.
Les agents de sécurité sont justement contraints de respecter l’usage progressif des armes. Est-ce le cas dans une arrestation ou une opération antiterroriste ?
Avant qu’un crime terroriste ne soit commis, l’arrestation est une opération presque militaire, et faire face à un terroriste, doit impliquer l’utilisation des armes. Comme le terroriste est un civil dont l’apparence, en général, ne diffère pas d’un autre citoyen, l’agent de sécurité est contraint de respecter les différentes étapes, quand il s’avère armé et ayant l’intention d’utiliser son arme, l’agent doit se défendre. D’où la nécessité d’un service de renseignement solide et fiable et d’une profonde formation des agents quant au comportement à adopter dans ce genre de situation.
La Tunisie devra-t-elle adhérer à la convention du Conseil de l’Europe ?
La Tunisie doit adhérer aux conventions européennes car le terrorisme est international. Techniquement, on parle d’épidémie voire de pandémie, capable de se déplacer. Il faut une collaboration internationale permettant l’échange d’informations. La question de l’adhésion de la Tunisie à la Convention européenne sera proposée à l’ARP et je soutiendrai, comme le feront beaucoup de députés, l’adhésion à cette convention.
Comment peut-on traiter le retour des Tunisiens de Syrie et comment peut-on élaborer les sanctions qui y sont relatives ?
La loi sanctionne d’ores et déjà tout Tunisien prenant les armes et livrant une guerre dans un autre Etat. Les Tunisiens en Syrie peuvent être sanctionnés en s’appuyant sur les textes de loi existant et les juridictions compétentes. Ils peuvent l’être par les autorités syriennes dans le cadre de leur compétence territoriale, donc ils seront sanctionnés là où ils auraient commis les crimes ou par les autorités tunisiennes en se basant sur la compétence avec la personne et là il s’agit de personnes tunisiennes.
Comment peut-on procéder sans preuve matérielle, sans plainte déposée par un citoyen syrien puisque « pas de corps, pas de crime » et que l’accusé peut assurer ne pas avoir quitté le camp et n’avoir jamais commis de crimes ? Va-t-on les réintégrer dans la société en l’absence de preuves ?
Les moyens pour trouver des preuves sont nombreux, entre autres, les témoignages et les aveux, mais en plus de la sanction pénale, il faut un programme de réinsertion. Le problème est qu’ils sont imprégnés par la conviction terroriste et il ne faut surtout pas les lâcher dans la société, car ils vont continuer sur la même voie. L’idéal est une assistance éducative et une psychothérapie, avec ensuite une surveillance sécuritaire, il nous faut fournir un effort supplémentaire pour les ramener à la citoyenneté.