Loi de Finances 2020 : Le redressement des comptes va bon train !

Comme à l’accoutumée, le gouvernement est tenu à la fin de la première moitié du mois d’octobre de chaque année de soumettre le projet de loi de Finances pour l’année prochaine à l’Assemblée des représentants du peuple. Ce document de politique publique marque le débat public dans le pays.
Cette fois-ci, le processus de préparation du projet de loi de Finances 2020 n’a, cependant, pas fait beaucoup de tapage. Il est même passé sous silence sur fond de tenue des élections présidentielle et législatives ayant marqué la scène publique pendant plusieurs mois.
C’est seulement après sa soumission au Parlement que le projet de loi de Finances 2020 a commencé à animer le débat public. Analystes, observateurs, organisations nationales et partenaires sociaux, n’ont pas manqué d’émettre des critiques, réserves et jugements divers sur les orientations et choix budgétaires prévus pour l’année à venir.
Entre négativité et positivité, sont partagées les attitudes des commentateurs autour de la teneur du nouveau projet de loi de Finances. Objectivité oblige, ce projet fait montre d’efforts de l’Exécutif, mais soulève en même temps beaucoup de questions en termes d’efficacité économique.

Traits caractéristiques de la loi de Finances 2020
Le projet de loi de Finances pour 2020 a été élaboré dans le cadre de la poursuite du rétablissement des fondamentaux de l’économie et de l’appui à une politique sociale inclusive. Par ailleurs, ce projet se singularise par la traduction des dispositions, voire exigences de la nouvelle loi organique du budget. Force est de rappeler que cette dernière stipule une gestion axée sur les résultats, une programmation budgétaire pluriannuelle, une analyse budgétaire exhaustive moyennant l’élaboration de rapports annexes sur la dette publique, les entreprises publiques, les dépenses fiscales, les fonds spéciaux, les garanties de l’Etat, la répartition régionale de l’investissement et les PPP, un système de contrôle et évaluation rigoureux, l’adoption du principe de fongibilité des crédits et un nouveau cadre comptable.
En termes budgétaires, le projet de loi de Finances 2020 table sur un budget global en recettes et en dépenses de 47.227 millions de dinars, soit un accroissement de 9.5% par rapport au budget actualisé de 2019.
Les recettes propres de l’Etat augmenteraient de 9% en 2020, un rythme légèrement inférieur à la croissance du produit intérieur brut (PIB) nominal. Faut-il rappeler que le taux de croissance du PIB en termes réels serait de 2.7% en 2020 contre 1.4% en 2019. Les recettes fiscales proviendraient essentiellement de l’évolution de l’activité économique d’une part et de l’effort de recouvrement de l’administration fiscale d’autre part, dans la mesure où aucun relèvement d’impôt n’est prévu pour l’année prochaine.
Dans ce sillon, les principales mesures fiscales prévues pour 2020 portent sur la simplification des conditions du régime forfaitaire pour les personnes basées dans les zones intérieures, la rationalisation des conditions de bénéfice de l’impôt sur les sociétés de 13.5.% applicables à partir de 2021, conformément aux standards internationaux, le prolongement de 5 ans additionnels de l’avantage fiscal accordé aux sociétés qui procèdent à l’ouverture de leur capital à la bourse jusqu’à 2024, le relèvement du seuil de déduction au titre des parents pris en charge,  l’encouragement à l’utilisation des nouvelles technologies dans les échanges et opérations avec l’administration fiscale, la création d’un nouveau régime de contrôle fiscal, l’allègement de certains droits d’enregistrement sur l’acquisition de logement et du foncier, la création d’un nouveau fonds de trésor dédié à la justice, la poursuite de l’harmonisation et la rationalisation de la législation fiscale liées à l’impôt sur les sociétés et la TVA.
Ces dispositions « rectificatives » et légèrement « réformatrices » semblent ainsi être beaucoup plus incitatives et ne seraient en mesure d’alourdir la pression fiscale sur les particuliers et les entreprises. Les quelques modifications de taux s’inscrivent plutôt dans le cadre de l’harmonisation fiscale en vue de la consécration de la neutralité de l’impôt.
Côté dépenses, le projet de loi de Finances 2020 prévoit une masse salariale de 19.030 millions de dinars représentant 15.2% du PIB contre respectivement 17.165 millions de dinars et 15% du PIB attendus en 2019 et ce, sous l’effet des majorations salariales décrétées en 2018 et 2019. Ce qui est énorme !
Les dépenses de subvention seraient de 4.180 millions de dinars, en baisse de 12.7% par rapport à 2019. Une enveloppe de 1880 millions de dinars serait consacrée à la subvention du carburant sur la base d’un prix de 65 dollars le baril du Brent. La réduction prévisible de la facture énergétique suppose, entre autres, des réajustements de prix en 2020. Les dépenses consacrées au développement se limiteraient à 6900 millions de dinars, soit un effort de majoration de seulement 900 millions de dinars par rapport à l’enveloppe de 2019. Mais le gros des interventions publiques sera alloué au paiement du service de la dette publique à hauteur de 11.678 millions de dinars, soit un accroissement, au regard des estimations, de 18.3% par rapport à 2019.
Sur cette base, le déficit budgétaire net atteindrait 3782 millions de dinars en 2020, ce qui représente 3% du PIB, et seulement 2% du PIB à l’horizon 2022, contre 4071 millions de dinars et 3.5% du PIB en 2019, et 4.8% du PIB en 2018. Ce qui permettrait de réduire de 1 point de pourcentage par rapport au PIB du taux d’endettement de l’Etat pour atteindre 94068 millions de dinars, soit 74% du PIB contre 75% en 2019 et 77% du PIB en 2018.
La couverture de ce déficit aurait essentiellement lieu grâce à la mobilisation de 11248 millions de dinars sous forme d’emprunt, dont 8848 millions de dinars  de l’extérieur.  La sortie sur le marché financier international paraît nécessaire pour drainer 3438 millions de dinars afin de boucler le schéma de financement du budget 2020. Ce qui est énorme aussi !
Entre l’ambition, la prudence et le réalisme qui caractérisent à la fois le projet de loi de Finances 2020 tel que présenté, se pose la question d’efficacité de tels engagements et choix publics en cette phase délicate du processus de transition que traverse le pays.

De l’efficacité de l’orientation budgétaire
Au-delà des contraintes sous lesquelles les lois de Finances se sont placées durant toutes les années post révolution, l’analyse du profil de la politique budgétaire à l’œuvre débouche sur trois points faibles majeurs caractérisant le nouveau projet de loi de Finances.

Une structure inappropriée des dépenses publiques
Si le déficit du budget de l’Etat s’est, depuis 2018, inscrit une tendance baissière susceptible d’endiguer graduellement le taux d’endettement, rétablir les marges de manœuvre budgétaire et consacrer par-là la soutenabilité des finances publiques, la structure des dépenses publiques demeure inapproprieé, voire contre-productive. Bien plus, L’accroissement important en niveau des dépenses publiques s’est en fait accompagné d’une déformation plus manifeste de la structure.
Les dépenses d’investissements ont de forts effets à court terme sur la demande et à long terme sur l’offre, donc sur la croissance économique en sus de ses effets stabilisateurs en termes sociaux, notamment dans les régions défavorisées du pays. En revanche, l’augmentation de certaines dépenses courantes, en particulier les transferts sociaux et les salaires, a certes encourager la consommation et maintenir le pouvoir d’achat des ménages sur le court terme, mais a des effets négatifs en termes d’inflation, d’incitation à l’épargne et de baisse de l’incitation au travail si ces mesures ne sont pas bien ciblées et perçues comme durables donc difficilement réversibles.
La masse salariale, le service de la dette et les subventions accapareraient 74% du budget en 2020 contre respectivement 68,2% en 2011. Les dépenses de développement ne représenteraient que 14% du budget total de l’Etat. Ce paysage n’est que l’expression d’une structure contre-productive, où prédominent les dépenses non discrétionnaires aux dépens des dépenses de développement, si l’on songe aux gros besoins d’investissement public pour stabiliser l’économie et promouvoir le bien-être social.

Un ajustement régi par le retour à l’équilibre
La tendance vers la maîtrise graduelle du déficit budgétaire pour passer de 6.1% en 2017 à 3% du PIB en 2020 et 2% en 2022 laisse s’interroger sur l’effet d’une telle orientation contractive sur l’activité économique.
La réalité est que le pays est plongé depuis des années dans un marasme économique et peine à sortir de l’ornière. Sur les court et moyen termes, la thérapeutique doit normalement venir des politiques macroéconomiques, en l’occurrence la politique budgétaire et monétaire. Or, la dégradation des grands équilibres de l’économie, perceptible à travers la hausse de l’inflation, l’augmentation du taux d’endettement, l’élargissement du déficit courant et la dépréciation du dinar, a imposé depuis quelque temps un profil restrictif de l’action monétaire et de l’orientation budgétaire.
La réduction explicite du déficit budgétaire associée à un resserrement prononcé des conditions d’octroi de crédit à l’économie ne pourraient guère booster la demande globale de l’économie, surtout la consommation et l’investissement et retarder par ricochet une reprise vigoureuse de l’économie nationale.
Bien qu’étant essentielle, la priorisation de la stabilité macroéconomique risque d’inscrire l’économie nationale dans un cercle de croissance faible au grand dam de l’emploi et du bien-être social. La question fondamentale consiste à débattre le rythme de l’ajustement macroéconomique à mener pour ne pas anéantir la dynamique de croissance.

De gros besoins de financement à combler
Le financement du budget 2020 est un enjeu de taille. Il appelle un effort colossal pour la mobilisation surtout des ressources extérieures représentant 78% du « pactole », au vu des difficultés du contexte économique mondial. La mobilisation d’une enveloppe financière de cette envergure consiste à doubler la mise. Il va falloir bien convaincre les institutions financières internationales, en premier lieu le Fonds monétaire international, sur la manière de résorber la nébuleuse masse budgétaire et le rythme des grandes réformes qui tourne avec des à-coups.

A cet égard, la réforme fiscale est en butte aux tergiversations et tractations politiques et corporatistes. La fraude fiscale sévit malgré tous les efforts déployés par l’administration fiscale. Pis encore, la réforme du régime forfaitaire, qui a fait l’objet d’un projet de résolution « de fond » proposé par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de Finances 2018, a été avortée au Parlement pour des raisons inconnues et ne trouve pas encore la sortie du tunnel.
Comment faire ? La question est véritablement taraudante ! Notamment concernant le projet de loi de Finances qui n’a pas mentionné le recours à des solutions alternatives pour « lisser » et équilibrer la structure des ressources de financement, particulièrement l’émission de Sukuk et l’usage des PPP.
En guise de conclusion, le projet de loi de Finances 2020 renferme un nombre de points positifs. On cite entre autres la bonne marche de la maîtrise des équilibres budgétaires, la considération des aspects sociaux malgré toutes les contraintes budgétaires et le non relèvement des taxes et impôts.
Néanmoins, le nouveau projet de loi de Finances semble donner la priorité au redressement des comptes budgétaires. Il bute encore sur des difficultés « structurelles » liées aux dépenses improductives, aux effets préjudiciables potentiels sur la croissance et les contraintes de mobilisation des financements.
Maintenant, c’est au nouveau gouvernement de plancher sur la mise en œuvre, mais surtout de réfléchir, en concertation avec toutes les parties prenantes, à la manière de remodeler à moyen terme la structure du budget pour la rendre au service de la croissance et du bien-être social. L’entreprise ne sera guère facile !

Aleya Becheikh

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