Les prisons tunisiennes surpeuplées à 150% en moyenne
D’après le rapport de l’ONU, la surpopulation carcérale reste le problème majeur des prisons tunisiennes et les conclusions du rapport sont particulièrement alarmantes. Les établissements pénitentiaires tunisiens sont en moyenne pleins à 150% et certaines prisons accueillent jusqu’à 16 fois leur capacité. Ce taux de surpopulation est évalué à 150,6% dans la prison de Kasserine, à 138,2% dans la prison de Kairouan et à 115,6% dans celle de Messaadine. «Ces taux ont été calculés sur la base du nombre de lits et de la superficie des cellules carcérales». Le rapport prend l’exemple de la prison Houareb à Kairouan. D’une superficie de 200m², la prison héberge au total 125 détenus, soit un excédent de 75 personnes au regard des normes internationales qui requièrent au minimum 16 m2 pour quatre prisonniers. Outre la superficie par détenu qui n’est pas respectée, d’autres éléments viennent noircir le tableau du traitement fait aux prisonniers tunisiens, tels que le manque de ventilation ou l’aménagement spartiate des cellules.
Conséquence directe du surpeuplement des prisons : l’hygiène. En effet, le rapport précise que le surpeuplement des prisons et leurs infrastructures «délabrées» sont la cause de « la détérioration de l’état de santé des prisonniers». «Le surpeuplement affecte l’hygiène personnelle des prisonniers. Le temps alloué à la douche n’est pas suffisant (…) et c’est pourquoi des maladies comme la gale se propagent, surtout l’été». Ce surpeuplement est majoritairement dû aux condamnations pour consommation de cannabis. Selon des chiffres officiels, plus de 50% des détenus sont incarcérés pour ce délit. Une dépénalisation sur la consommation de cannabis était au cœur du débat juridique tunisien ces dernières semaines. Mais ces discussions n’ont pas abouti à une législation plus souple sur la question. Quelles pistes pour améliorer la situation de surengorgement des prisons tunisiennes ? Des experts juridiques ont fait part de l’intérêt à proposer davantage de peines de travaux généraux et de réduire les enfermements aux grands délits.
Des conditions de vie «dégradantes et inhumaines»
En février 2011, une délégation de Human Rights Watch s’est rendue à Bourj er-Roumi, centre carcéral situé près de la ville de Bizerte, ainsi que dans la prison de Mornaguia, le principal établissement pénitentiaire de Tunisie. Cette autorisation a été interprétée par l’organisation comme un pas, non négligeable, vers la transparence. «En nous accordant cet accès, le gouvernement de transition de Tunisie a opéré une avancée importante vers la transparence concernant le fonctionnement de ses prisons et nous espérons que cette ouverture continuera et sera également proposée à des organisations locales. Le gouvernement de transition devrait également mettre fin au traitement inhumain des prisonniers pratiqué par le précédent gouvernement». Après avoir interrogé des prisonniers et des agents des centres de détentions, Human Rights Watch a accouché d’un rapport cinglant rendu public en janvier dernier et intitulé Des failles dans le système : la situation des personnes en garde à vue en Tunisie. «La Tunisie devrait rompre avec les mauvaises pratiques du passé, améliorer les conditions de détention et commencer à surveiller la situation pour s’assurer que les prévenus puissent bénéficier de leurs droits», précise Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, en parallèle de la publication dudit rapport. «La plupart des prisonniers sont détenus dans des cellules collectives très mal ventilées, d’environ 50 mètres carrés, avec chacune environ 40 prisonniers. Les pièces, qui ont de très hauts plafonds, sont organisées en rangées de lits doubles ou triples superposés, à peine espacés les uns des autres, placés contre les murs latéraux avec un passage de moins de deux mètres de large en leur milieu, menant aux toilettes, séparées de la pièce principale par un mur, mais non fermées par une porte. Il n’y a aucune place pour des tables ou des chaises», dénonce le document de l’organisation qui fait état de conditions de vie «dégradantes et inhumaines.»
Un autre rapport faisant état des conditions de traitement et de vie «désastreuses» des détenus tunisiens, rédigé par Khémais Ksila et intitulé Les prisons tunisiennes vues de l’intérieur a été publié, après la Révolution, avec le soutien de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme(FIDH), du Comité pour le respect des libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), et du Réseau euro-méditerranéen des Droits de l’Homme (REMDH). Au sujet de l’infrastructure pénitentiaire et des conditions du séjour, le rapport précise que «les bâtiments destinés à l’enfermement dans la plupart des régions sont vétustes et en situation de délabrement. Au demeurant, une grande partie des bâtiments n’était pas, à l’origine, destinée à devenir des prisons, ni conçue pour héberger des personnes condamnées à de lourdes peines. (…) Traités comme du bétail, les prisonniers vivent dans une promiscuité insupportable qui explique les tensions permanentes et la violence sourde qui caractérisent les rapports interindividuels dans ces microsociétés, sans parler des vols, des sodomisations, etc.». De même, le dossier pointe du doigt la petitesse des prisons au regard du nombre de détenus qu’elles contiennent. «Dans une prison comme celle du 9 Avril à Tunis, construite pour 900 prisonniers, il y a aujourd’hui plus de 5000 détenus qui ont chacun une surface de 60 cm2. L’établissement du Kef, d’une capacité de 300 détenus, héberge près d’un millier de prisonniers, alors qu’à la prison de Gafsa s’entasse un millier de prisonniers pour une capacité de 350 seulement. La prison de Bordj Erroumi héberge 2000 détenus, pour une capacité de 400 et celle d’Ennadhour héberge 1800 détenus pour une capacité de 600». Nous avons tenté de contacter le ministère de la Justice afin qu’il réagisse à cet état des lieux — peu glorieux — des prisons tunisiennes par l’ONU. En vain.
C.M.