Lorsque les économistes se trompent ! (I)

Par Hakim Ben Hammouda

Les économistes sont encore embourbés dans les conséquences de la grande crise financière globale du printemps 2008 qu’une nouvelle crise vient d’éclater. Rappelez-vous quelques jours seulement après l’éclatement de cet important tsunami financier qui a failli emporter avec lui l’économie globale, la Reine d’Angleterre avait posé, lors de sa visite à la fameuse London School of Economics en novembre 2008, une question sur les raisons qui avaient empêché les économistes de prévoir une crise d’une telle ampleur. Cette question en apparence anodine a engendré un débat houleux dans le village d’habitude paisible des économistes. Ce débat a suscité d’importantes contributions et une controverse qui n’est toujours pas terminée. Nous avons contribué à ce débat par un essai dans lequel nous avons expliqué que l’autisme des économistes s’explique par les mutations profondes qui ont touché le champ économique depuis le début des années 1990 avec la convergence des héritiers des deux frères ennemis de la pensée économique, Keynes et Friedman, et l’avènement d’une nouvelle synthèse qui a imposé une croyance forte dans la capacité du marché à gérer tous les déséquilibres (Voir Hakim Ben Hammouda, Nassim Oulmane et Mustapha Sadni Jallab, Crise… Naufrage des économistes ? Enquête sur une discipline en plein questionnement, de boeck éditions, 2010). 

D’autres analystes ont été plus virulents et ont expliqué l’incapacité des économistes à prévoir les excès des années de finance folle par leur accointance avec les milieux financiers. 

La présence de nos brillants économistes dans différents conseils d’administration des banques et des organismes financiers rémunérés largement par de la monnaie sonnante et trébuchante sont, pour certains, à l’origine de ce silence complice !   

Le village des économistes ne s’est pas encore remis de ses émotions que la marche du fleuve tranquille a été de nouveau fortement perturbée par une nouvelle crise qui a  touché deux éminents représentants de cette communauté. De quoi s’agit-il au juste ? Un jeune étudiant du nom de Thomas Herndon de l’Université de Massachusetts Amherst essayait de répliquer avec une feuille de calcul Excel les résultats d’un article d’économistes réputés sous la direction de son Professeur Robert Pollin (voir Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin, Does high public debt consistently stifle economic growth ? A critique of Reinhart and Rogoff publié le 15 avril 2013). Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils constatèrent qu’il y avait une erreur importante dans le calcul. En effet, les auteurs avaient omis de rajouter 5 pays dans le calcul d’une variable et le fait de les rajouter avait eu un effet important sur le résultat en question. 

Certes, en soi cette erreur de base dans un article économique de haut de niveau est déjà préoccupante. Mais, elle est d’autant plus grande que cet article a été écrit par deux prestigieux économistes de l’Université Harvard : Ken Rogoff, l’ancien économiste en Chef du FMI et Carmen Reinhart qui ont écrit récemment un ouvrage devenu la bible dans l’analyse des crises globales (« This time is different. Eight centuries of financial folly », Princeton University Press, 2009). Par ailleurs, cet article a été publié dans le nec plus ultra des revues de la recherche économique, l’American economic review où la sélection et la revue des articles pour publication sont des plus dures (l’article est intitulé Growth in a time of debt, American economic review, vol 100, n°2, mai 2010).  

Mais, plus que les considérations techniques, ce sont surtout l’impact politique de cet article qui est à l’origine de cette polémique qui est allée bien au-delà du cercle restreint des économistes. Car que mentionne exactement cet article ? Il explique tout simplement que le rythme de croissance des pays ayant une dette importante est moins soutenu que celui des pays ayant une faible dette. 

Plus particulièrement, Reinhart et Rogoff ont établi le seuil d’une dette par rapport au PIB de 90% au-dessus duquel la croissance moyenne d’un pays est inférieure de 1% par rapport aux autres. Ce résultat a eu une influence considérable non seulement dans le monde des économistes mais surtout dans le domaine des politiques économiques. 

En effet, il justifiait clairement que la croissance en temps de dette est faible et qu’il fallait par conséquent réduire les dettes publiques afin de relancer la croissance économique.

Related posts

Nouvelles règles d’origine : une révolution silencieuse pour le commerce extérieur ?

Sarra Zaafrani Zenzri insiste sur l’implication des banques dans la relance économique

Lancement officiel de la plateforme “Eco Tous”