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Lundi 22 mars, l’Union européenne, les États-Unis et le Canada ont sanctionné la Chine pour la persécution des musulmans Ouïghours dans la région du Xinjiang. Face à ces décisions, Pékin ne cède pas et se rebiffe.
La pression internationale se durcit à l’encontre de la Chine. Lundi, l’Europe, les États-Unis et le Canada ont sanctionné la Chine pour la persécution des Ouïghours dans la région du Xinjiang. Surveillance extrême, emprisonnement dans des camps, contrôle des naissances : cette minorité musulmane chinoise est ciblée par Pékin depuis les années 2010.
Après la multiplication de témoignages de rescapés, et la révélation, en 2019, de plus de 400 documents officiels chinois par le New York Times (en anglais) attestant de l’existence de camps de concentration modernes, cette nouvelle atteinte aux droits de l’homme a conduit plusieurs militants ouïghours et responsables politiques à dénoncer un « génocide culturel ».
*Pourquoi cette répression existe-t-elle ?
Les Ouïghours font partie des 55 minorités ethniques qui peuplent l’immense territoire de la Chine. Dans l’ancien Empire du milieu, 56 groupes ethniques différents coexistent, et les Hans constituent l’ethnie majoritaire et « historique » de la Chine. Les Ouïghours sont turcophones, comme les Kazakhs, et majoritairement musulmans sunnites.
La répression a été attisée par la volonté d’indépendance des uns face à la domination des autres. Au-delà des velléités nationalistes se développe l’extrémisme religieux : une minorité de Ouïghours intègre les rangs du Parti islamique du Turkestan, affilié à Al-Qaïda. Et dans les années 2010, une vague d’attentats secoue le pays. Ces événements terroristes traumatisent la société chinoise et particulièrement Xi Jinping.
En 2020, entre 1,5 et 3 millions de Ouïghours seraient détenus dans des camps, estiment plusieurs associations. La liste des exactions commises par Pékin est longue : contrôle des naissances, actes de stérilisation forcés, internement arbitraire dans des camps de travail, mariages contraints entre femmes ouïghoures et hommes hans, surveillance continue, contrôle des déplacements…
Les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont approuvé l’inscription de quatre dirigeants et d’une entité de la région chinoise du Xinjiang. Le Royaume-Uni et le Canada ont adopté les mêmes mesures que l’UE. Les sanctions de l’UE et du Royaume-Uni contre des violations des droits de l’homme par Pékin sont les premières depuis 1989.
*Interdiction de se rendre dans l’UE et gel des avoirs
Les États-Unis ont sanctionné deux des quatre responsables chinois identifiés par les Européens. Les sanctions européennes consistent en une interdiction de se rendre dans l’UE et un gel des avoirs détenus dans l’Union européenne. Les sanctions américaines « complètent » celles de l’UE et du Canada, selon Washington.
Mais face à la pression internationale, Pékin riposte et sanctionne à son tour une dizaine de personnalités européennes, dont plusieurs élus du Parlement européen, accusés « de porter gravement atteinte à la souveraineté et aux intérêts de la Chine et de propager des mensonges et de la désinformation ».
Quatre fondations européennes sont également concernées, dont l’Alliance des démocraties, une institution danoise dirigée par l’ancien secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen.
Les Européens et leurs familles seront interdits de séjour en Chine, à Hong Kong et Macao.
*Mesures « inacceptables »
Pékin a également visé le Comité Politique et de sécurité (COPS), une instance réunissant les ambassadeurs des États membres à Bruxelles qui a préparé les sanctions. « Ces sanctions sont inacceptables », a déclaré le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
« La Chine ne répond à aucune des préoccupations de l’UE et se voile la face », a-t-il ajouté. « Ces sanctions n’auront aucune influence sur la détermination de l’UE à réagir à toutes les violations des droits humains », a-t-il assuré.
Paris a aussi qualifié ces mesures d’« inacceptables », dénonçant des « insultes » contre des chercheurs français et une polémique avec des parlementaires émanant de l’ambassade de Chine. Le ministère des Affaires étrangères a indiqué que ce serait le « message » signifié à l’ambassadeur Lu Shaye, qui a été convoqué.
*« Ces menaces, ne nous arrêteront pas »
Alors qu’un député néerlandais a été sanctionné, le Premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte a condamné les sanctions chinoises dans les mêmes termes, et La Haye a convoqué l’ambassadeur de Chine pour protester.
« Ces intimidations, ces menaces, ne nous arrêteront pas, bien au contraire ! Elles renforcent notre détermination à lutter pour la démocratie à Hong Kong, au Tibet ou au Xinjiang où on voit que les camps de concentration se développent pour enfermer les Ouïghours », a déclaré à l’AFP l’une des personnalités sanctionnées, le député belge Samuel Cogolati.
« Il est temps de briser un silence européen qui a trop duré, un silence qui est devenu complice avec le temps », a-t-il ajouté.
*« Ma légion d’honneur »
L’eurodéputé français Raphaël Glucksmann (groupe Socialistes & Démocrates), qui s’est engagé dans la défense des Ouïghours, s’est pour sa part dit flatté par la décision des autorités chinoises.
« J’apprends que je suis visé par les sanctions chinoises, banni du territoire chinois (ainsi que toute ma famille !) et interdit de tout contact avec les institutions officielles et entreprises chinoises pour ma défense du peuple Ouïghour : c’est ma légion d’honneur », a-t-il affirmé sur Twitter.
« L’escalade de la réponse de la Chine aux sanctions en matière de droits de l’homme imposées par l’UE est ridicule. La Chine parvient à monter les quatre principaux groupes politiques du Parlement européen contre elle en une seule action », a commenté un autre élu sanctionné, l’eurodéputé allemand (Vert) Reinhard Butikofer.
« Comme le dit le proverbe chinois : la pierre qu’ils ont soulevée leur retombera sur les pieds », a-t-il averti.
*Mise en garde des Européens
« Cela rend naturellement le dialogue avec les représentants de la République populaire plus difficile et plus lourd », a regretté son compatriote, Michael Gahler, élu européen de la CDU, le parti de la chancelière Angela Merkel.
Également visé par les sanctions, le « Mercator Institute for Chinese Studies », basé en Allemagne, a rejeté les accusations chinoises, affirmant vouloir, « en tant qu’institut de recherche indépendant […] contribuer à une compréhension fine et meilleure de la Chine ».
Pékin avait mis en garde les Européens. « Je tiens à souligner que les sanctions sont une confrontation. Des sanctions fondées sur des mensonges pourraient être interprétées comme une atteinte délibérée à la sécurité et au développement de la Chine », avait averti la semaine dernière l’ambassadeur de la Chine après de l’UE, Zhang Ming.
« Nous voulons le dialogue et non la confrontation », avait-il assuré.
(Ouest-France)