L’UGTT entre syndicalisme et politique

La fête internationale, telle qu’elle est célébrée de nos jours, tire son origine des combats du mouvement ouvrier pour obtenir la journée de huit heures à la fin du XIXe siècle.

Fameusement connus, les syndicats américains réunis lors de leurs congrès en 1884 se sont donnés deux ans afin d’instaurer la journée de travail de 8 heures. Ainsi, ils ont pensé entamer leurs actions le 1er mai, date dudit « moving day ». Le 1er mai 1886, une grève générale fut déclenchée et plus de 340.000 ouvriers y participèrent. Dans la ville de Chicago la grève s’est prolongé jusqu’au 3 mai 1886 et fut suivie d’une manifestation qui a fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester.

En France, en 1889, la IIe Internationale socialiste se réunit à Paris à l’occasion du centenaire de la Révolution française et de l’exposition universelle. Jules Guesde, qui dirigeait le Parti ouvrier français, fut à l’origine de l’invention du terme de «fête du travail» en 1890. Sur une proposition de Raymond Lavigne, cette Internationale décide le 20 juillet 1889 de faire de chaque 1er mai une journée de manifestation avec pour objectif la réduction de la journée de travail à huit heures (soit 48 heures hebdomadaires, le dimanche seul étant chômé.)

Désormais et à des dates différentes pour chaque pays, le 1er mai symbolisera la fête de tous les ouvriers du monde dans leurs lutte contre l’exploitation et leur droit à des conditions de travail descentes et à développer un bien-être moral et matériel.

Contre pouvoir ou acteur politique

Il est devenu, coutumier après 2011, pour des partis politiques et d’autres détracteurs de dénigrer d’une façon systématique le rôle historique de l’UGTT et de souhaiter la cantonner aux strictes limites des revendications matérielles et sociales de la classe ouvrière. Cette tentative désespérée de séparer l’UGTT de la lutte politique est sous-tendue de mauvaise foi. Car en effet si l’UGTT, à travers son histoire unique dans le monde arabe, fut un exemple pour de nombreux pays arabes, elle n’a jamais séparé le social du politique. Cette bipolarité tenait tout d’abord au moment de sa fondation, en 1946 et jusqu’en 1956 de l’étroite imbrication entre les revendications sociales et le face-à-face avec les autorités coloniales. Le blocage et des atermoiements de la classe politique française à répondre aux revendications légitimes de la classe ouvrière tunisienne, avait propulsé le syndicalisme à jouer un rôle politique de premier plan. Farhat Hached avait brandit la lutte syndicale sans merci afin d’obtenir des concessions politiques. Mieux encore, il n’a pas hésité à aider la rébellion armée tunisienne à travers un tissu ouvrier étendu et à lui fournir armes, subsides, refuges et surtout une couverture sous la bannière de la lutte syndicale. La vision politique de l’homme qui consiste à mettre la pression sur les autorités coloniales — et il était visionnaire — fut de contrecarrer la politique d’isolement menée par la France en s’ouvrant au syndicalisme américain. Son adhésion à la CISL fut au fond une réaction politique contre la centrale syndicale la CGT française qui n’était pas exempte d’une certaine influence colonialiste. Aussi, Hached est-il rehaussé au rang du plus proche conseiller du Bey de Tunisie de l’époque. Le rejet connu de Robert Schuman, le 15 décembre 1951, des revendications tunisiennes, donnèrent maintes raisons à l’UGTT de s’impliquer pleinement dans les questions politiques de la Tunisie. 

Autant dire qu’au sein même de la lutte syndicale transparaît clairement une lutte politique. Farhat Hached et l’UGTT dérangeaient au plus haut point les autorités politiques françaises au point de décider sa liquidation physique le 5 décembre 1952.

L’UGTT et la construction nationale dans la Tunisie indépendante

Immédiatement après la signature du protocole de l’Indépendance et sans coup férir, l’UGTT fit bloc avec le Néo-Destour et l’UTICA en se présentant comme «le Front national» dans les élections de la Constituante le 25 mars 1956. En raflant 80% des voix, l’UGTT est devenu un partenaire politique de taille. Le premier gouvernement de l’indépendance, formé ce 15 avril, dit aussi gouvernement Bourguiba, fit entrer pour la première fois des figures syndicalistes à l’exemple de Mustapha Filali, Ahmed ben Salah et bien d’autres. Personne ne voyait à l’époque d’inconvénients à associer l’UGTT et les syndicalistes à l’œuvre de la construction nationale de la Tunisie. En effet, le pays était dépourvu de ressources financières et de compétences pour gérer le dossier social, ô combien important. Cette haute conscience de l’intérêt national offrit à la Tunisie non seulement une trêve syndicale, mais et surtout avait associé la classe laborieuse à la vie politique et à l’effort nécessaire de la construction nationale.

Avec les crises successives, survenues vers le milieu des années 60, entre la centrale syndicale et la classe politique dirigeante, la lutte syndicale prenait le relais face à une classe politique prépondérante et qui, pendant dix ans, avait négligé la classe ouvrière. La politique répressive des gouvernements successifs de Bourguiba envers les militants de gauche ont aussi fait beaucoup pour que de nombreux syndicalistes désavouent cette politique. Le bras de fer entre le politique et le syndical allait crescendo, jusqu’à parvenir à la première grève générale dans l’histoire de la Tunisie en 1978.

La révolte dite «du pain», les tentatives de Ben Ali de maintenir l’UGTT sous sa coupe en employant la politique du bâton et de la carotte, ont beaucoup fait pour que ce le travail syndical s’écarte peu à peu de la vie politique.

 

Aujourd’hui l’UGTT peut-elle reprendreson rôle politique ?

C’est un fait, après 2011 l’UGTT s’est propulsée sur les devants la scène politique, elle est le modérateur entre les partis politiques et la classe gouvernante. Depuis l’engagement du quartet dans les négociations du départ du gouvernement Ali Larayedh jusqu’à son plaidoyer pour former un gouvernement de technocrates, effort louable aboutissant à un succès applaudit par la communauté internationale.

L’UGTT a certes repris son rôle en s’impliquant pleinement dans la vie politique tunisienne, conciliateur entre les divers intérêts des partis politiques, la centrale syndicale avait démontré une patience et une sagesse qui lui valurent le respect. L’UGTT se devait mettre en avant son statut d’acteur de compromis et sa position visant à rechercher l’intérêt national. Faut-il insister aussi sur l’implication de l’UGTT dans le paysage politique tunisien comme une garantie — qui n’existe d’ailleurs pas dans les autres pays arabes — d’être une alternative efficace au moment des crises et non une force de coercition comme certains essaient de le faire croire ?

Quel rôle pour l’UGTT dans l’urgence

Une autre demande pressante se lève aujourd’hui face à la crise économique et financière aigüe à laquelle la Tunisie fait face. L’UGTT doit annoncer au plus vite une trêve sociale et la nécessité de consentir à des sacrifices douloureux afin que la Tunisie retrouve sa santé.

Pouvons-nous voir aussi et au plus vite un appel de l’UGTT à une forte mobilisation de la classe ouvrière pour reconstruire la Tunisie et stopper les grèves anarchiques et les revendications interminables afin que la valeur travail reprenne son sens qui, malheureusement, s’est perdu depuis 3 ans ? Là aussi, j’appelle l’UGTT à remplir son rôle historique et là aussi c’est un rôle politique que de mobiliser la classe ouvrière pour l’intérêt national, dont tout le monde parle, mais dont personne ne montre l’exemple concret de sa mise en œuvre.

F.C.

 

 

 

Related posts

Exportations françaises vers l’Algérie : quelle sera l’addition de cette crise ?

La Tunisie prépare ses candidatures à l’UNESCO

Tunis accueillera la 8e édition de la conférence FITA 2025 sur les investissements en Afrique