Le 7e Sommet du Forum des pays exportateurs de gaz, qui s’est tenu à Alger les 2 et 3 mars courant, dont la Tunisie était l’invitée d’honneur, a donné lieu, en aparté des travaux du forum, à un mini-sommet maghrébin tripartite entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye.
Les trois présidents, Abdelmajid Tebboune, Kaïs Saïed et Mohamed Younes El-Menfi (Conseil présidentiel libyen), sont convenus de passer à la vitesse supérieure en matière de coopération, de concertations et d’échanges en planifiant de se réunir une fois tous les trois mois. La première réunion se tiendra en Tunisie après le mois de Ramadan 2024. Objectif : unifier et intensifier les efforts pour relever les défis économiques et sécuritaires dans l’intérêt des peuples des trois pays. L’occasion, sans doute, d’œuvrer notamment pour la mise en place de zones de libre-échange entre les trois pays, comme l’avait récemment annoncé le président algérien Tebboune, en plus d’une zone de libre-échange entre l’Algérie et la Mauritanie. Cette initiative pourra aboutir à un Maghreb économique, sans le Maroc, si elle est menée à terme.
L’on est tenté de lâcher un ouf de soulagement tant ce rapprochement a été longtemps attendu par les peuples maghrébins, convaincus qu’il est la panacée contre toutes sortes de crises et l’immunité contre les tentatives d’ingérence extérieures.
Attendu par les peuples maghrébins depuis fort longtemps, ce rapprochement, qui devra être basé sur des politiques de voisinage économiques, sécuritaires, sociales et culturelles, aura un impact positif sur l’économie de chaque pays, sur leur sécurité nationale respective, sur la mobilité des personnes, sur les échanges, sur les investissements et sur la coordination autour des questions régionales, internationales et d’intérêt commun.
Depuis la fondation de l’Union du Maghreb arabe en 1989, aucune réalisation d’importance notoire n’a pu être enregistrée ; les relations sont restées réduites à des accords bilatéraux, très en deçà du potentiel de chaque pays et des échanges qu’ils sont capables d’institutionnaliser dans tous les domaines sans exception. Ce, en dépit d’un grand nombre d’atouts communs comme la langue, la religion, les us et coutumes, les forts liens familiaux et d’alliance et le flux informel et incessant des marchandises à travers les frontières.
Experts et politiques n’ont eu de cesse de répéter que le non-Maghreb a un coût et il n’est pas seulement économique. La question du Sahara occidental est au cœur des tensions qui paralysent la région et la raison essentielle de la rupture des relations entre les deux voisins de l’Ouest. Le roi du Maroc Mohammed 6 a mis « l’amitié » de son royaume sous condition : la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental, tentant ainsi de régler un très ancien litige territorial avec les indépendantistes sahraouis hors de l’instance onusienne où le dossier est en suspens.
La Tunisie, dont la politique étrangère n’a jamais changé de cap, à savoir la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays, a été mêlée, inopinément, au problème sahraoui, poussée à choisir entre l’un et l’autre de ses proches voisins, l’Algérie ou le Maroc. La Tunisie a choisi la neutralité et préservé ses relations historiques et stratégiques avec son plus proche voisin, l’Algérie.
Il n’en demeure pas moins que l’initiative tripartite annoncée à Alger est de bon augure et peut réussir à faire, enfin, bouger les choses dans le bon sens – une communauté économique maghrébine -, à condition que des imprévus ou des pressions externes ne viennent pas lui mettre les bâtons dans les roues. Les peuples du Maghreb souhaitent une liberté de circulation, de commerce, d’installation, sinon ce rapprochement ne rime à rien. Il faudra aussi rattraper le temps perdu en matière de concrétisation des anciennes promesses de développement des zones frontalières entre la Tunisie et l’Algérie, où le chômage et la pauvreté sont élevés. L’émergence de projets économiques frontaliers bénéficieront aux deux pays et serviront de ponts de développement. C’est ce rapprochement basé sur des réalisations communes concrètes, répondant aux intérêts des deux pays qui consolidera l’alliance stratégique tuniso-algérienne face aux tentatives de sape et de mise en échec. Avec la Libye, également, les potentialités sont importantes, les frontières représentent un espace de complémentarité historique. Mais de ce côté de la frontière, la situation n’est pas encore stable, la Libye étant partagée entre deux parlements et deux gouvernements et la décision prise à l’Est n’est pas prise en compte à l’Ouest. Il faut croiser les doigts et prier pour voir émerger la zone de libre-échange qui sera un poumon économique pour les trois voisins.
Kaïs Saïed et Abdelmajid Tebboune sont animés d’une réelle volonté politique pour aller de l’avant et il faut espérer que les frères libyens prennent leur sort en main et placent les intérêts de la Libye au-devant de tout et de tous. La géopolitique mondiale et les événements qui se déroulent sous nos yeux – Gaza, Ukraine – ont montré que pour être forts, influents et agissants, il faut agir en groupes, en Union, en Alliance.
Le Maghreb est une région vulnérable parce qu’elle est en rupture, éclatée, sous tensions. C’est une région en danger imminent si les gouvernants continuent de prioriser l’intérêt individuel (à l’échelle d’un pays) au détriment de l’intérêt collectif (de la région) qui est en soi une immunité contre les crises.
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