Après une longue éclipse, dans la foulée du plébiscite présidentiel du 6 octobre 2024, deux indéboulonnables chefs de parti sortent du bois pour évoquer une hypothétique unité nationale. Zouhaïr Maghzaoui, Mouvement Echâab, malheureux candidat à la dernière élection présidentielle, flanqué d’à peine 1,9% des voix, à la surprise générale. Abid Briki, Mouvement Tunisie de l’Avant, soutien inconditionnel mais « critique » du processus du 25 juillet 2021. Les deux hommes politiques, qui se sont distingués par leur soutien au coup de force du 25 juillet avant que Maghzaoui ne prenne ses distances de Kaïs Saïed qu’il critiquera de manière virulente au cours de la campagne électorale de la Présidentielle, ont déserté l’espace public, les plateaux de télé et les studios radio, tout comme les autres, les anti-25 juillet et anti-Kaïs Saïed.
Le plébiscite du 6 octobre dernier a découragé plus d’un à reprendre la parole en public, les Tunisiens ayant en grande partie boudé les urnes – le taux de participation étant assez faible – ou voté en masse pour Kaïs Saïed, démontrant ainsi une lassitude de la classe politique et une préférence pour un président sans parti et sans expérience politiques.
La sortie de Maghzaoui et de Briki dans le cadre d’activités partisanes n’a rien de médiatiquement remarquable, tout comme leurs propos si ce n’est la question de l’unité nationale qui taraude tous les esprits mais qui n’arrive toujours pas à faire l’objet d’un débat public, d’un dialogue national. Le contexte de fracture entre le pouvoir politique et une bonne partie des acteurs de la scène politique inhérent au coup de force du 25 juillet 2021 a rompu tout dialogue et confisqué le débat. Pourtant, aux lendemains de la Présidentielle, une première perche avait été tendue par le frère du président appelant à la réconciliation nationale ; puis, une brèche a été entrevue dans les propos du chef de l’Etat évoquant l’unité nationale lors d’un Conseil des ministres qu’il a présidé fin décembre 2024. Quelques réactions positives ont bien été enregistrées ; puis, plus rien, jusqu’à, beaucoup plus tard, la récente relance faite par Maghzaoui et Briki.
Mais y croient-ils vraiment ? On peut en douter dès lors que Maghzaoui pose d’emblée des conditions avant d’y adhérer et avant même le moindre signe d’un hypothétique dialogue national. D’anciennes conditions ressassées encore et encore sans effort de renouvellement, de remise en cause ; des conditions basiques, telles que le rétablissement des libertés, la suppression du décret 54 et un programme national collégial. Le dirigeant du Mouvement Echâab réitère donc une ancienne revendication qui consiste à participer à la gouvernance du pays en tant que force de proposition, voire plus. Un partenariat pas du tout prisé par le chef de l’Etat qui préfère gouverner seul pour mieux diriger le gouvernail et être comptable du moindre écart ou retard. D’ailleurs, il est le premier à pointer l’inaction ou le manque de résultats de certains ministres dans certains dossiers et le premier à le leur reprocher.
Le secrétaire général de la Tunisie en Avant se contenterait, quant à lui, d’une déclaration de principes, issue également d’un travail collectif, qui tracerait les grandes orientations et les choix du gouvernement dans cette conjoncture internationale houleuse et imprévisible. Il y a peu de chances que ces suggestions, hors système, soient entendues parce qu’en appelant à l’unité nationale, le président Kaïs Saïed vise les institutions de l’Etat, les pouvoirs exécutif et législatif et les responsables nommés aux postes clés de l’administration publique pour qu’ils fassent preuve de loyauté à la patrie, d’intégrité, d’exemplarité et d’abnégation en mettant les intérêts de la nation au-devant de leurs responsabilités et de leurs préoccupations.
L’unité nationale version Maghzaoui et Briki et d’autres, ce sont l’Exécutif, le législatif, les partis politiques pro-25 juillet, les syndicats et autres relais associatifs réunis dans un projet national politique et économique qui rime avec réconciliation nationale. C’est une autre boussole. Mais une question s’impose : pourquoi la rupture empêcherait-elle le débat public ? Beaucoup accuseront le décret 54 et le recul des libertés. Il faudrait s’en assurer en sortant du silence non pas pour retourner à la case départ, celle des ego débordants, incapables de faire des concessions, mais pour échanger, dialoguer, coopérer, proposer et, si nécessaire, céder pour mieux avancer, ensuite. En d’autres termes, bouger pour tendre plus d’une perche, afin de provoquer le débat constructif, audible pour tous, même pour ceux qui ne veulent plus entendre de discours politiques creux. Ce débat est celui qui parle des problèmes quotidiens des gens, des solutions possibles et des moyens qu’il faut trouver, qui touche directement le cœur des préoccupations des citoyens et des maux de la société.
Trois ans et demi que la Tunisie a changé de cap, qu’une « guerre de libÈration » contre les comploteurs, les corrompus, les spoliateurs et certains intouchables a été lancée, qu’une fracture politique se creuse et perdure et qu’une crise financière et économique plombe le pays et l’empêche de prendre son essor.
Un mandat d’élu est vite passé qu’il importe de ne perdre aucune minute, aucune occasion pour agir, pour réaliser, pour avancer, pour assurer et rassurer. La politique n’est-elle pas l’art de l’impossible ? La politique est l’art de réaliser et d’entretenir les rêves des électeurs et des non électeurs, leurs espoirs que le changement pour le meilleur est possible. Sans cela, le désespoir tue la politique et sape la cohésion.
L’effervescence constatée au cours du mois de janvier, tel qu’indiqué dans un rapport du FTDES, montre un retour des mouvements de protestation sociale. La majorité revendique de l’emploi et la fin du chômage de longue durée. Une révolution sociale initiée par Kaïs Saïed lui-même qui s’est engagé à rétablir l’Etat social. Les demandeurs d’emploi l’ont pris au mot. Cette révolution engage toutes les forces de la nation pour pouvoir atteindre ses objectifs. C’est l’unité nationale version réconciliation qui en est le support et le moteur.