Lutte contre l’inflation: Bras de fer gouvernement-Barons de la spéculation !

Le pouvoir d’achat du Tunisien a perdu entre 40 et 50% de sa valeur en moins de cinq ans, selon les catégories sociales de la population.

Cette réalité nourrit des revendications salariales à répétition qui entretiennent une tension sociale préjudiciable au climat des affaires, aux intentions d’investissement et finalement au processus de croissance économique.

Que fait le gouvernement Essid qui a pris des engagements devant l’ARP, pour faire baisser les prix au cours des 100 premiers jours qui touchent à leur fin ? Quel bilan et quelles perspectives ?

Nous vivons dans un régime libéral qui fait que 90% des produits jouissent de la liberté des prix d’où la difficulté de maîtriser les prix des articles de consommation courante tels que les fruits et légumes, les vêtements et chaussures, le logement (propriété et loyer), les services … Il faut dire que depuis le 14 janvier 2011 la perte d’autorité de l’Etat a offert une certaine impunité pour les fraudeurs sur les poids et mesures, le non-respect des circuits commerciaux et des marges bénéficiaires, surtout que les contrôleurs de prix, les douaniers et les policiers n’étaient plus en mesure de faire respecter la loi.

D’ailleurs, la réglementation relative au contrôle des prix est tout à fait light et soft dans la mesure où les sanctions sont légères par rapport à la gravité des infractions commises.

Il faut dire que le dispositif de contrôle n’a jamais été très vigilant ni très efficace pour plusieurs raisons : effectifs de contrôleurs en nombre très réduit, moyens de transport très limités, alors qu’il y a près de 500.000 commerçants de détail, plusieurs milliers de grossistes, plusieurs centaines de dépôts et gestionnaires de chambres froides qui, parfois même, ne sont ni déclarés, ni recensés ni détenteurs de patentes ou titulaires d’agrément.

Tout cela fait que la tâche de ministère de Commerce, qui n’est pas le seul responsable, est difficile et complexe à la fois.

Une inflation galopanteet rebelle

Même s’il s’agit d’un travail scientifique et fiable, les chiffres relatifs à l’inflation révélés par l’INS n’arrivent pas à traduire le perçu de la flambée des prix et du coût de la vie ressentis par les consommateurs tunisiens.

L’INS a avancé pour le mois de janvier 2015 une inflation de 5,5% par rapport au même mois en 2014. Ce taux a grimpé à 5,7% en février 2015.

Cette augmentation est due, surtout, à l’augmentation des prix du groupe fruits et légumes qui a atteint 7,7% par rapport à 2013. Il faut dire que les inflations des années antérieures étaient plus modestes pour les mêmes mois de janvier : 4,6% en 2014 par rapport à 2013, 4,5% en 2012 par rapport à 2011 et 7% en 2013 par rapport à 2012.

Par ailleurs, le commerce parallèle a enregistré une expansion exceptionnelle depuis 2011 avec la multiplication des étalages anarchiques partout, hors des marchés, pour échapper aux structures de contrôle, ce qui a donné libre cours à l’exercice de la profession commerciale et à la libre pratique des prix.

A titre d’exemple voici certains prix prohibitifs pratiqués sur le marché : oignons à 1,400 D le kg, piment 3 D le kg, tomates à 1,400 D le kg et pomme de terre à 1,3 D. Au mois de février 2015 le groupe alimentation a grimpé de 8%, les légumes de 29%, le café plus thé 15,6%.

Des initiatives multiples et anarchiques

L’impression qui prévaut dans l’opinion publique en ce qui concerne les actions entreprises par les pouvoirs publics pour calmer les prix, c’est que l’intention y est, d’où de multiples tests et essais, des tentatives éparses, une sorte de saupoudrage de mesurettes

Le ministère du Commerce donne l’impression de tâtonner au point de faire croire “qu’il ne sait pas par quel bout attaquer le problème”. Il s’agit en fait d’un étalage sans qu’il y ait, à proprement parler, une stratégie cohérente, intégrée et efficace.

Certes, les objectifs sont clairs mais ce sont les moyens et les méthodes les plus efficaces qui font défaut.

Les objectifs consistent à engendrer une baisse durable et volontaire des prix portant sur le “bouquet alimentaire” des produits de consommation courante ainsi qu’une disponibilité permanente sur les marchés pour éviter toutes tensions et appréhensions de la part de la population susceptible de créer des perturbations. Il s’agit également de veiller à limiter les fraudes et autres arnaques de la part des commerçants qui engendrent chez la population des frustrations diverses : ventes conditionnées, poids et mesures faussées,…

La bonne volonté ne manque pas, ce sont les résultats qui ne sont pas au rendez-vous or lorsqu’on est au pouvoir, on est redevable de résultats tangibles, ce qui n’est pas le cas.

Le ministre du Commerce s’est déplacé trois fois en deux mois au marché de Gros de Bir Kassaa pour étudier sur le terrain la situation et dialoguer avec les professionnels sans que des décisions positives soient prises.

Il y a eu également des visites à des marchés de détail comme le marché central de Tunis, de l’Ariana ou des marchés de quartiers ou encore des marchés dans certaines villes de l’intérieur. Sans résultats concrets et sensibles.

Après concertation avec la profession des aviculteurs, le ministère a réussi à faire baisser de 0,600 D le kg de poulet prêt à la consommation pour le faire vendre à 5,500 D le kg au lieu de 6,100 D. Il y a lieu de remarquer, quand même, que cette baisse volontaire coïncide avec une période de surproduction et de difficultés d’exportation sur le marché libyen pour cause de guerre civile en Libye.

L’Administration, dans un esprit préventif, a publié un communiqué qui fait obligation aux gestionnaires de dépôts et de chambres froides de déclarer au ministère leurs stocks, à des fins de contrôle car c’est là que réside le “fonds de commerce des barons de la spéculation”.

Le ministère du Commerce a réussi, quand même, certaines opérations à portée partielle comme l’importation par la société Ellouhoum de viandes rouges à raison de 20 tonnes par semaine, commercialisées par certains bouchers à prix bonifié de 16 D le kg, ce qui constitue un écart important par rapport au prix pratiqué sur le marché soit 20 à 26 D le kg.

Avec les Grandes surfaces il y a eu un accord pour pratiquer durant 6 mois et sur 19 articles une baisse de 5 à 10%. Cependant cette remise porte sur des produits à usage peu fréquent, donc elle revêt un aspect symbolique.

Résistance farouche des commerçants

Aussi bien l’opinion publique que le gouvernement ont été choqués par les comportements, les attitudes, le mode de pensée et les déclarations faites par les commerçants à propos des intentions du ministère du Commerce en matière de régulation des prix, de lutte contre la spéculation et la limitation de l’inflation.

En effet, les professionnels du commerce ont fait preuve d’une détermination, voire d’un acharnement à ne pas respecter la réglementation actuelle des prix. Que dire alors lorsqu’il s’agira de la rendre encore plus sévère. En effet,…on peut dire qu’il y a eu des actions du type “mutinerie” lorsqu’il y a eu des contrôles intensifs par des brigades mixtes qui se sont traduites par des grèves avec des fermetures d’étalages, de refus de vente et de présentation de justificatifs de leurs documents d’achat. Il y a aussi, un non-respect des prix plafonnés par le ministère : oignons, pomme de terre, viandes rouges. Les commerçants de détail dans les marchés ont accueilli le ministre du Commerce venu leur rendre visite par un boycott. Ils ont fermé boutique tout simplement. Impensable, un manque de loyauté et un comportement non-citoyen. Donc un refus de dialogue et un attachement viscéral à la fraude.

Le ministère du Commerce dans ses tentatives de contribuer à un équilibre entre offre et demande de produits périssables sur le marché, a soumis à autorisation les exportations de produits agricoles vers l’étranger, notamment la Libye, ce qui a soulevé un tollé de la part de l’UTAP, dont les adhérents, escomptent des bénéfices conséquents à travers les exportations non soumises à plafond de prix.

Vive polémique : amendement de la loi sur les prix

Il faut dire que le différend entre pouvoirs publics et commerçants a éclaté également à propos du projet d’amendement, déposé sur le bureau du Président de l’ARP, de la loi n°94 du 29/7/91 relative à la concurrence et aux prix qui a, certes, subi 5 amendements mais le dernier date de 2005. Cette loi jugée, très permissive par l’ODC à laquelle il faudrait rendre hommage car elle lutte “mordicus” contre les spéculateurs et les fraudeurs, mérite d’être actualisée et de devenir plus efficace pour mettre un frein aux abus.

Or les commerçants la jugent comme répressive. De quoi s’agit-il ?

Le gouvernement a proposé de réajuster le niveau des pénalités jugées trop anodines : passer d’un palier d’amende de 50 à 200 D par infraction à un palier plus dissuasif de 200D à 10.000 D. Lorsqu’il s’agit d’infractions graves, le contrevenant serait passible même de peines de prison car il s’agit bien de crimes lorsqu’il y a délibérément fraude sur le poids, prix prohibitif refus de vente, hausse illicite ou encore contrebande et vente conditionnée. Est-ce excessif ? Non, passons sur la non-présentation de factures pour pratique de circuit court qui implique quand même le non paiement d’impôts et taxes.

Notre pays ne doit pas passer pour un pays de non-droit, ce qui serait le cas si on tolère la contrebande.

La loi prévoit également un ensemble de dispositions destinées à protéger les contrôleurs contre les réactions violentes et les agissements des commerçants mécontents lors des opérations de contrôle. Il y a aussi des réformes qui portent sur le contrôle des marchés, destinées à promouvoir une concurrence loyale.

Il y a lieu de remarquer que l’ODC a trouvé que sur 60 articles, 28 sont sujets à contestation : l’ODC réclame le retour actif de l’Etat comme régulateur du marché et facilitateur de la transparence des transactions.

Pour une stratégie cohérente et un plan d’action efficace

A notre sens, seules deux grandes mesures sont susceptibles de calmer les prix de façon durable et opérationnelle à la fois : accroître de façon significative la production et donc l’offre de produits sur les marchés tout en veillant au respect des circuits de distribution officiels d’une part.

D’autre part mettre en place une réglementation dissuasive vis-à-vis des spéculations et des fraudes jumelées avec un dispositif de contrôle efficace et transparent.

Cependant le gouvernement devrait présenter une stratégie globale et intégrée de lutte contre tous les abus sur le marché impliquant plusieurs ministères notamment le ministère de l’Intérieur à travers ses forces de l’ordre et celui des Finances à travers les services de la douane.

Les ministères de l’Agriculture, de l’Equipement et de l’Industrie ont également un rôle à assumer : assurer qualité et volume de production mais, aussi, veiller sur le bon état des infrastructures  de transport et d’hydraulique agricole.

Certes, une réglementation stricte est nécessaire pour dissuader les parties prenantes de pratiques hors-la loi et de respect de la légalité mais il faut également privilégier le dialogue.

Il est indispensable pour les organisations nationales comme l’UTICA, l’UTAP, la CONECT, le SYNAGRI… de diffuser une culture de la loyauté et de la transparence dans les transactions.

Le Tunisien, par définition, n’est pas voué à la pratique de l’escroquerie ou de la malhonnêteté mais il pourrait être tenté par certains procédés illégaux, faute de menace de sanction ou d’un risque réel vis-à-vis de son statut ou de ses intérêts réels et immédiats, dont acte. La loi dissuasive mérite de passer sans risque de faillite pour les petits commerçants, un tissu social irremplaçable.

Ridha Lahmar             

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