“Nous n’avons pas encore baissé les bras pour traquer les avoirs spoliés”

Comment évaluez-vous le rendement du comité de recouvrement des avoirs, tant critiqué depuis sa création ? 

Plus d’un an et demi après la Révolution, le gouvernement n’arrive pas à recouvrer les avoirs spoliés par l’ancien régime à l’étranger, les Tunisiens et certains politiciens ont beaucoup de peine à en comprendre les raisons.  La traque des avoirs n’est pas aussi simple qu’elle peut paraître. Un programme très vaste concerne des centaines de personnes qui ont éparpillé l’argent spolié dans plusieurs pays, notamment en Suisse, en France, au Canada, en Belgique, en Espagne, en Italie, au Liban, au Maroc et dans les pays du Golfe, notamment les EAU. Le comité national de recouvrement des avoirs à l’étranger assure la coordination entre toutes les parties prenantes sur ce sujet, à savoir le ministère de la Justice, le ministère des Finances, la Commission de confiscation, l’Instance nationale de lutte contre la corruption, le Comité national de gestion des avoirs confisqués ou restitués, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Gouvernance et de la lutte contre la corruption. Il s’agit d’une approche de concertation intégrée. Le Comité a pour rôle de collecter toutes les informations et tous les documents concernant les affaires en cours et en même temps d’assurer la coordination entre les parties prenantes et le cabinet de l’avocat mandaté. Compte tenu des difficultés, le processus est très long.

 

Quelles sont ces difficultés qui ralentissent la restitution des avoirs spoliés ?

La première difficulté à laquelle nous sommes confrontés est le manque de volonté des pays requis à nous aider. Si nous obtenons une assistance politique et judiciaire réelle de la part de ces pays, nous pouvons récupérer rapidement les avoirs spoliés. La seconde difficulté est constituée par les recours excessifs de la partie adverse, à savoir les personnes appartenant au clan Ben Ali qui, à la faveur des Droits de l’Homme, bénéficient d’un droit de recours. Tous les axes sont susceptibles de recours et cela mène à la suspension de la récupération des avoirs. Par ailleurs, bien que les pays requis aient ratifié comme la Tunisie la Convention internationale sur la restitution des avoirs issus de la corruption, ceux-ci refusent de coopérer. Cette Convention considère la restitution des avoirs mal acquis comme un principe fondamental. Tout un chapitre contient des dispositions incitant les pays à prendre les mesures juridiques, judiciaires et administratives pour aider le pays requérant. Cependant, ces dispositions ne sont pas contraignantes et restent soumises à la volonté des Etats de les appliquer. Il faut quand même noter que certains pays requis, en Amérique du Sud, ont répondu négativement à la demande de la Tunisie et ont complètement nié l’existence de comptes, de sociétés ou de biens immobiliers appartenant au clan Ben Ali. Malgré cela, la Tunisie a réitéré sa demande de coopération à ces pays à plusieurs reprises et continuera de le faire jusqu’à ce que ces pays répondent favorablement.

 

Qu’a fait la Tunisie jusque-là pour restituer l’argent spolié ?

Malgré la complexité des procédures dans les pays requis, la Tunisie n’a pas baissé les bras et continue à déployer tous ses efforts pour restituer les fonds mal acquis. Pour y arriver, la Tunisie a commencé par se constituer partie civile dans ces pays par l’intermédiaire d’un avocat mandaté en France et en Suisse. A travers un appel d’offres, nous avons obtenu l’offre la plus satisfaisante techniquement et financièrement. Il s’agit du célèbre avocat Maitre Enrico Monfrini, spécialiste de la question. A son palmarès, il comptabilise la récupération des avoirs spoliés par des dictatures, notamment en Afrique, au Nigéria par exemple. Ainsi, la Tunisie a le droit d’accéder aux dossiers et de recueillir des informations de nature à identifier les transactions corruptives. Nous avons organisé, du 10 au 12 juin, une rencontre à Bruxelles pour faire le point sur la situation. Bien que nous les ayons invités, les avocats des pays requis étaient absents. Cela veut dire qu’ils ne prennent pas au sérieux notre demande. Suite à cela nous avons opté pour les rencontres et réunions bilatérales. La première rencontre s’est tenue avec les autorités judiciaires et juridiques de Berne et de Lausanne les 25 et 26 juin. Nous avons débattu des possibilités d’accélérer les procédures et finalement les Suisses ont montré une sincère volonté à coopérer.

 

Qu’en est-il des 28 millions de dinars au Liban ?

Au Liban, les procédures sont complexes et longues. Nous avons transmis le dossier juridique avec une décision de confiscation, mais les autorités libanaises ont exigé le recours à un avocat pour intenter une demande tendant à revêtir le jugement pénal tunisien en confiscation par l’exacture (je ne sais pas s’il s’agit d’un terme technique, mais ce mot m’est inconnu) selon les règles de procédures civiles. C’est-à-dire un procès civil pour appliquer un processus pénal. Nous l’avons fait et nous attendons la réponse des autorités libanaises.

 

Comment la traque aux avoirs spoliés s’effectue-t-elle ?

Tout d’abord il y a l’entraide judiciaire internationale avec les pays requis par le biais d’une commission rogatoire internationale émanant du juge d’instruction tunisien. La saisie des affaires de corruption à portée internationale qui seront destinées aux autorités compétentes, et ce via les canaux diplomatiques, à savoir le ministère des Affaires étrangères. Des enquêtes à l’étranger qui nous ont permis de découvrir de nouveaux comptes, des actifs acquis de manière illicite.

D’ailleurs pour ce qui est de la Suisse, qui a annoncé 60 millions de francs, ce chiffre n’est plus d’actualité et grâce à nos investigations, il y a plus d’argent caché en Suisse.

 

Lors du Task Force, organisé entre la Tunisie et l’Union européenne, la présidente de la Confédération suisse, Mme Micheline Calmy-Rey a conseillé à la Tunisie de solliciter l’aide des Nations Unies pour restituer l’argent spolié, la Tunisie a-t-elle pris conseil ?

Effectivement, la Tunisie a déjà déposé une demande auprès de l’ONU.

En effet, celle-ci pourrait nous donner un coup de pouce et inciter les pays requis à accélérer leurs procédures, mais l’ONU n’a pas encore répondu favorablement.

 

Pourquoi avoir organisé cette journée nationale sur la récupération des avoirs mal acquis à l’étranger ?

Ce sont les difficultés juridiques, judiciaires et politiques qui ralentissent la restitution des avoirs spoliés qui nous ont incités à organiser cette journée. Il s’agit d’un concours de toutes les forces vives pour renforcer et soutenir les efforts déployés par les autorités tunisiennes à récupérer les avoirs mal acquis. Une manifestation qui vise à réaliser les objectifs de la Révolution et à répondre aux exigences de la justice transitionnelle, soit l’engagement des procédures judiciaires contre toux ceux qui ont spolié le pays et dédommager le peuple.

Le meilleur moyen d’arriver à cela est le renforcement de la coopération internationale en accélérant les procédures d’entraide internationale entre la Tunisie et les pays concernés.

Nous demandons aussi l’aide de la société civile qui pourrait avoir un rôle crucial à jouer dans la sensibilisation à ces questions. Cette journée sera suivie par une autre journée à l’échelle internationale et qui sera probablement organisée en Suisse.

 

Propos recueillis par Najeh Jaoudi

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