À l’heure où les cris affreux des hyènes couvrent de plus en plus les appels à la raison dans un pays ravagé par une crise politique, économique et sociale sans précédent, apparaît une goutte de lumière qui se mue en une éclatante célébration de l’espoir. C’est le «Jasmin Open», le premier tournoi WTA 250 en Tunisie. Un merveilleux événement de beauté et de joie à placer dans l’univers des flâneurs, des rêveurs et de tous ceux qui savent se délecter des instants rares et des charmes puissants de ce sport. Nous vivons, depuis le 14 janvier 2011, une situation dramatique où il y a de plus en plus de dérives radicales et une violence galopante dans laquelle les animosités sont persistantes et les politicards de la vingt-cinquième heure virtuoses dans l’«art» de se coopter et de se maintenir au pouvoir. Il n’y a plus de lieu où les choses se calment. Et brusquement, on est comme émerveillé. Ébloui. Une bulle de beauté hors du temps. Je suis féru de football, trop petit pour le basket-ball ou le volley-ball, trop nerveux pour le tennis. C’est dans les catégories jeunes de l’équipe de foot de ma ville natale, le Flambeau sportif de Sahline, que j’ai passé, dans l’adolescence, le temps imparti au divertissement. Mais assister au premier tournoi de tennis sur la terre de mes parents, la «Dkhila» de Sahline, comme je l’ai fait ces derniers jours, est un frémissement exaltant ! « Nous n’avons pas de souvenirs d’enfance, dit Freud, seulement des souvenirs qui se rapportent à notre enfance.» Des souvenirs qui affluent, comme pour se raccrocher aux racines.
Ici, sur cette terre, l’histoire et la légende se confondent, entre oralité traditionnelle et faits historiques. Qu’on croie ou non, difficile de ne pas être touché par la magie de ce coin de paradis posé au bord d’un somptueux marais salant (Sabkha) entouré de plaines verdoyantes. Un peu plus loin, le bleu de la mer se fond avec celui du ciel, s’étendant à perte de vue.
Me voilà comme un archéologue passionné qui reconstitue un squelette à partir de quelques os en croisant les arbrisseaux en fleur et les plantes maritimes aux feuilles en aiguilles. L’étendue de la mer bleue vous donne une envie irrépressible de s’y plonger, d’y perdre son esprit, d’y divaguer. Enfant, c’était mon prétexte à de belles balades, à des évasions permanentes et à des écoles buissonnières ! Il faut, souvent, quelques instants d’accoutumance pour comprendre que la « Sabkha» qui longe le sud de la «Dkhila» est unique. Le décor naturel est si particulier qu’il est difficile de se croire en Tunisie, mais plutôt en Suisse. Et, précisément devant le lac de Genève, lorsque l’oeil est attiré par ces tiges florales qui flottent à la surface de l’eau.
Tout cela n’est certes qu’une nostalgie. Mais pourquoi se priver de rêver ? Il est impossible de me voir revivre ces moments de bonheur sans céder à une vraie nostalgie. Car j’ai vécu un temps qui rodait ses espoirs, où les propriétaires de cette terre, dont mon père et ma mère, portaient avec éclat les couleurs de lendemains chantants. Mon père était, entre autres, un naturophile averti, et il connaissait tout de la nature de la «Dkhila». Dès qu’il ramassait un escargot dans l’herbe, il nous appelait pour nous le montrer. J’ai baigné dans cette atmosphère de vouloir tout savoir. Mais ma curiosité d’enfant est sans cesse manifestée. Comme une Odysée qui n’en finirait pas de ne pas commencer. Un matin d’automne, devant sa petite hutte, «Am Ammar», le gardien de notre champ, est en pleurs : les autorités ont confisqué la terre de nos voisins! Ému, j’ai interpellé mon père en cherchant à obtenir une réponse qui m’obsède: « À qui le tour «? Ma question lui a pris comme une rage de dent, un orage sous le crâne ! Et d’un ton grave, fuyant tout victimisme et tout misérabilisme, il m’a fait comprendre que la confiance totale de Bourguiba en son super ministre Ahmed ben Salah a conduit le pays dans l’impasse de l’anarchie. C’était la politique collectiviste des années soixante. Les conséquences imprévisibles de certains choix politiques personnels. Le poids des évènements qui décide d’un destin. L’infinie dissimilitude entre ce que l’on a cru vivre et ce que l’on a réellement vécu. Le rêve de toute une génération, celle de mon père, s’est cramé les ailes dans l’enfer des collectivités.
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