«Ma relation avec Dieu ne regarde que moi et les gens qui me critiquent n’ont rien compris »

Dès l’âge de six ans, la petite Habiba courait dans les rues de Kairouan pour aller à l’école. Comme tous les champions, l’amour de la course elle l’a dans le sang, mais c’est aussi une volonté de fer et un sens de l’autonomie qui l’ont menée au podium olympique. A quelques jours d’une prochaine course à Zurich, Réalités s’est entretenue avec la médaillée d’argent au 3000 m steeple aux derniers Jeux Olympiques.

 

Comment avez-vous commencé à courir ?

Dès mon plus jeune âge c’était une habitude de courir pour aller à l’école, car celle-ci se situait à 4 km de chez moi. A l’âge de neuf ans, mes parents et moi avons déménagé à Sfax et même si l’école était plus proche, je continuais cette course chaque matin, c’était un peu comme un défi : arriver la première chez moi. Ensuite, au  lycée, j’ai commencé à prendre les transports en commun, mais je m’amusais avec une amie à courir. Je faisais du basket le vendredi après-midi et un jour j’ai eu envie de courir dans le stade à côté des autres. C’était un peu une plaisanterie avec ma camarade de classe, elle m’a prêté des chaussures et m’a dit «vas-y». L’entraîneur m’a repérée et j’ai commencé à participer à des championnats scolaires. C’est un entraîneur sfaxien qui a remarqué mon potentiel et qui m’a proposé de passer à un entraînement plus sérieux. Cela n’a pas été facile, j’avais tout juste 15 ans et j’ai dû convaincre mon père. Passionné de sport, il m’a poussé à continuer et à partir au Lycée sportif de Tunis. A 16 ans, j’ai rejoint l’équipe nationale et de fil en aiguille j’ai gravi les échelons. Pour le «steeple», ça ne se s’est pas fait tout seul, car j’étais assez maladroite, personne ne croyait que j’arriverais à faire une course d’obstacles, les gens disaient «mais Habiba elle tombe tout le temps» (rires), je courais donc surtout les 1500 m. Pourtant, une fois j’ai essayé et le «steeple» est devenu mon moteur après 2005. J’avais 20 ans et je n’ai plus lâché la course d’obstacles.

 

Le jour de votre victoire aux Jeux Olympiques de Londres, vous avez lancé une phrase assez forte à propos de l’infrastructure sportive en Tunisie, comme quoi celle-ci n’aidait pas vraiment les sportifs à devenir des champions olympiques, pourquoi ?

C’est un problème qui date de l’ère Ben Ali. J’ai été souvent marginalisée par la Fédération sportive tunisienne qui ne donnait pas beaucoup d’importance aux sportifs concourant dans des disciplines individuelles. Il y avait peu d’encouragements et surtout beaucoup de concurrence entre les athlètes. Et puis, je n’ai jamais pu correctement m’entraîner en Tunisie. Lorsque j’ai eu une période difficile en 2006 et que l’on a renvoyé mon entraîneur roumain pour manque de performances, je me suis rendu compte que j’aurais du mal à me relever si je ne partais pas m’entraîner à l’étranger. J’ai subi une opération au pied avec une mise au repos pendant cinq mois qui m’a poussée aussi à me remettre en question. Est-ce que j’avais l’étoffe d’une championne ? Est-ce que j’allais évoluer dans ma discipline ? J’avais quelques contacts en France et je suis partie m’entraîner là-bas. C’est ma victoire aux Championnats d’Afrique en 2006 avec une médaille d’argent qui m’a donnée le premier coup de pouce et c’est là que j’ai commencé à espérer arriver au niveau des Jeux Olympiques. En Tunisie, on m’a aussi donné les moyens après ma médaille aux championnats d’Afrique, mais je ne m’entendais pas avec le nouvel entraîneur. Je continuais à suivre à la lettre l’entraînement de mon coach roumain qui me guidait par internet et je faisais tout pratiquement toute seule. Je suis donc partie m’entraîner au club français de Franconville en 2007 dès que j’en ai eu l’opportunité.

 

Qu’avez-vous ressenti pendant la course qui vous a fait gagner la médaille d’argent aux JO de Londres en 2012 ? A quel moment avez-vous su que vous auriez une place sur le podium ?

Je pense que c’est avant tout de la fierté, d’être arrivée jusque-là, surtout en tant que femme et plus encore en tant que femme tunisienne. Pour moi, c’est la participation aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008 qui a été la plus décisive dans ma carrière sportive, car même si j’étais classée 13e en finale, je voulais à tout prix concourir de nouveau en 2012. Quand je suis rentrée en Tunisie à l’époque, j’avais l’envie de gagner. C’est une sensation forte qui m’a donné confiance en moi et qui a fait la différence. La course de Londres, je l’ai donc préparée à fond, et la seule chose dans ma tête jusqu’à la victoire, c’était d’avoir une place en finale et de monter enfin sur le podium.

 

Aujourd’hui vous continuez de courir, vous avez aussi obtenu une médaille d’argent dans la course de la Ligue de diamant d’athlétisme à Stockholm et vous poursuivez encore avec une autre épreuve à Zurich, pensez-vous déjà aux prochains Jeux Olympiques ?

C’est vrai que je n’arrive pas à m’arrêter (rires). J’ai à peine eu le temps de faire une visite éclair en Tunisie que c’était reparti. Bien sûr que je pense à d’autres Jeux Olympiques, les prochains et ceux d’après j’espère. Mes performances dépendent des conditions d’entraînement et de mon hygiène de vie. Par exemple pour Stockholm j’avais enchaîné les voyages et je n’avais pas beaucoup récupéré après Londres. Du coup, le score était pas mal, mais peut-être pas aussi bon que je l’aurais voulu. Actuellement, j’ai en tête les prochains championnats du monde d’athlétisme à Moscou.

 

Beaucoup ont vu dans votre victoire un symbole aussi pour la réussite de la femme tunisienne, qu’est-ce que ça fait d’être la première tunisienne médaillée olympique ?

C’est une responsabilité un peu lourde à porter et en même temps une très grande fierté. J’ai dédié ma médaille à toutes les femmes tunisiennes et je le refais aujourd’hui. Je pense que c’est très important dans le contexte actuel.

 

Justement, que pensez-vous de la situation actuelle pour les femmes en Tunisie ? Certains disent que leurs droits sont menacés, d’autres ont confiance dans leurs acquis et leur combat, quel est votre regard ?

Pour moi, la femme tunisienne est une battante et le restera. Cela n’a certes pas été facile avec la révolution, mais la liberté qu’elle a acquise doit être conservée. J’en suis l’exemple. On m’a laissé faire du sport en tant que femme issue d’une famille conservatrice à 15 ans, cela veut bien dire qu’il faut encourager la liberté de la femme, dans tous les domaines.

 

Vous avez été critiqué sur les réseaux sociaux par certains qui n’ont pas aimé la tenue que vous portiez lors des Jeux Olympiques. Le maillot de sport que vous portiez était jugé inapproprié, surtout au mois du Ramadan. Comment avez-vous réagi ?

Franchement, je m’en fiche éperdument. Ma relation avec Dieu ne regarde que moi et les gens qui critiquent ma tenue alors que c’est l’uniforme réglementaire pour la course, n’ont rien compris. Ce sont des gens qui sont contre la Tunisie et contre le drapeau tunisien qui a été érigé partout après la victoire d’Oussama Malloulli et la mienne. S’ils préfèrent s’éterniser sur une tenue ou le fait qu’Oussama boive après sa performance, c’est qu’ils n’ont pas envie d’être fiers de leur pays via leurs athlètes.

 

Quel conseil auriez-vous à donner à un athlète tunisien pour accéder au clan très sélect des médaillés olympiques ?

Je pense qu’en Tunisie, il faut avoir les moyens de ses rêves et cela n’est pas une chose aisée. C’est une question de mentalité. Il faut se dire dès le début, même si les conditions ne sont pas les meilleures, qu’on y arrivera. Il faut s’approprier le mental d’un champion et ne penser que de cette façon. C’est ainsi qu’on se motive et surtout, que l’on va au-delà de nos capacités. Je pense que la Tunisie ne manque pas de champions potentiels, mais plus d’un encadrement adéquat, c’est pourquoi il faut savoir aussi compter sur soi-même et saisir les opportunités.

Propos recueillis par Lilia Blaise

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