
Le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Mabrouk Kourchid
C’est de très bonne heure que la rencontre avec Mabrouk Korchid, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, a eu lieu, Les thèmes à aborder étaient nombreux et d’actualité brûlante. L’évolutions de la récupération et la restructuration des terres domaniales et les difficultés rencontrées dans l’exécution de cette opération, la numérisation de l’administration, le problème des archives du RCD et surtout l’affaire épineuse de la BFT.
A toutes ces questions Korchid a été invité à répondre aux représentants de Réalités Online et Hakaek Online.
La première chose qui nous a attiré, c’est votre présence dans le bureau de l’ancien président, Ben Ali, ceci vous donne-t-il envie d’être à sa place au palais de Carthage?
Ecoutez! je ne suis pas dans le bureau de l’ancien président. Je suis dans un bureau qui appartient à l’Etat tunisien et ce bâtiment appartient au ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. Et afin de couper court à l’illusion du retour de l’ancien président, j’ai mis ce bureau au profit de l’Etat tunisien. Quand je le quitterai, il y aura quelqu’un d’autre après moi, pour prendre le relais. Ceux qui sont en colère contre le RCD, n’ont qu’à se rassurer maintenant car ce bâtiment ( le plus haut de la Tunisie d’ailleurs) appartient désormais au peuple tunisien.
Avez-vous l’ambition d’être en première ligne sur la scène politique?
Mon ambition est de servir mon pays, peu importe le statut. Troisième, quatrième ou cinquième ligne, ça m’est égal. Je n’ai pas d’autres ambitions…Et nous sommes déjà en première ligne vu que nous faisons partie du gouvernement. Avons-nous prévu qu’on allait devenir ministre? On était à l’opposition au temps de Ben Ali et Dieu nous a finalement donné la chance de servir le pays par le biais de ce poste.
Qui a proposé votre nom pour intégrer le gouvernement?
A ma connaissance, c’est la présidence de la République. Ensuite c’était le chef du gouvernement qui m’a contacté pour intégrer son gouvernement.
On vous a proposé par ce que vous représentez le courant nationaliste arabe ou par ce que vous connaissez bien les dossiers des affaires foncières?
Pour tout ce que vous citez et pour bien d’autres choses encore… surtout que je suis originaire du sud.
Avez-vous trouvé les archives du RCD dans ce bâtiment?
Les archives du RCD se trouvent actuellement à l’Institut National du Patrimoine. Elles sont mises à la disposition des chercheurs et des historiens.
L’IVD a déclaré que certaines institutions de l’Etat n’étaient pas coopératives avec elle et refusaient de lui remettre leurs archives. Votre département fait-il partie de ces institutions?
L’IVD n’a pas le droit de nous réclamer les archives du RCD. Mais, elle a le droit de les consulter comme tout le monde à l’INP. Notre département coopère avec l’IVD conformément à la loi. Je suis étonné des rumeurs permanentes relayées par certains membres de l’Instance, prétendant que le ministère des Domaines de l’Etat ou le contentieux de l’Etat ne sont pas coopératifs. Nous respectons l’Instance et nous coopérons avec elle, conformément à la loi. Nous respectons aussi son travail. Néanmoins, les déclarations de Mme Ben Sedrine nous ont étonnées. Qu’elle nous dise clairement, en quoi nous n’étions pas coopératifs. La coopération doit être horizontale selon une vision commune et non pas d’une manière unilatérale.
Vous avez longuement parlé du projet de la numérisation des titres fonciers. Quelles sont les grandes lignes de ce projet?
A l’issue de notre participation à un congrès international, tenu la semaine dernière à Dubai, sous la houlette des Nations-Unies, autour de la bonne gestion des terres domaniales et de l’immobilier, nous avons découvert que la Tunisie était sur la bonne voie, dans ce domaine, étant donné que les questions auxquelles pensent les occidentaux aujourd’hui, la Tunisie les a déjà mises en oeuvre. Autrement dit, Ce que les centres d’études spécialisés dans ce domaine relevant des Nations-Unies et ce que les groupements hydrauliques en Europe, en Australie et aux Etats-unis, souhaitent réaliser dans le monde arabe, notre pays en a déjà mis la pierre angulaire, notamment dans l’élaboration des cartes numériques des terres domaniales. A cet égard, les cartes seront rendues publiques au cours du mois courant. Notre département vise la numérisation totale de l’action administrative.
Quel est le coût de ce projet?
Le coût de la numérisation globale est très élevé. Notre ministère a tout de même acheté les appareils de base. De surcroît, nous nous sommes mis d’accord avec les Nations-unies pour trouver un partenaire international puisque le coût du projet de la numérisation des terres domaniales ( du cadastre tunisien) dépasse les 440 millions DT. Nous sommes à la recherche d’un bon partenaire et nous espérons signer un accord concernant le cadastre tunisien au cours de l’année 2018.
Quelle est la superficie globale des terres domaniales, que vous avez réussi à récupérer jusqu’à présent?
Dans l’intervalle d’une année et demi, l’Etat a récupéré 26 000 hectares de ses terres domaniales. La récupération de ces biens est une question délicate, vu que c’est le prestige de l’Etat qui est en jeu. Nous avons réussi aussi à récupérer des biens immobiliers qui auront un poids considérable dans le processus du développement.
Comment allez-vous faire pour la gestion de toutes ces terres?
La gestion revient en grande partie au ministère de l’Agriculture. Mais, nous pensons que la meilleure gestion de ces terres c’est d’abord,d’accorder l’exploitation de ces biens immobiliers de grande valeur et les grandes superficies au capital national ce qui empêcherait leur division. Et pour ce faire, il n’y a que le capital national qui pourrait bien l’exploiter. Quant aux autres terres domaniales, il faut les redistribuer au profit des agriculteurs et des chômeurs. Ces biens sont font partie de la stratégie de développement agricole et social du pays.
Dans l’une de vos déclarations vous avez dit que certains éléments terroristes ont exploité des terres domaniales. Qu’en est-il au juste?
Ceci concerne un oasis à Douz. Le gouverneur de la région à l’époque, avait contacté les autorités et en particulier le ministère des Domaines de l’Etat en 2013 pour les informer qu’il y avait des individus soupçonnés d’extrémisme qui tentaient de mettre la main sur cet oasis. Notons que cet oasis contient 7 000 palmiers…mais l’appel du gouverneur est resté sans réponses.
Vous accusez le ministre de l’époque…?
(Il nous a interrompu)…Je n’accuse personne. On a juste communiqué cette information car cet oasis n’a été récupéré qu’avec l’avènement du gouvernement d’union nationale.
Les autorités de l’époque avaient fait la sourde oreille…?
Je ne dirai pas ça, peut être n’avaient-elles pas vu la lettre du gouverneur, elles ne l’ont donc pas lue…je ne rentre pas dans ces détails.
Ces terroristes ont profité financièrement de cet oasis…?
Je n’ai pas dit terroristes, j’ai dit des individus soupçonnés d’extrémisme. La dangereuse lettre du gouverneur se trouve actuellement au ministère. Et elle n’a pas été traitée convenablement. C’est tout ce que je peux dire. Cet oasis est bien exploitée maintenant par l’homme d’affaires tunisien qui l’avait déjà exploité avant 2014. Tous les agriculteurs, là bas, sont satisfaits, outre qu’il s’est engagé auprès de l’Etat à embaucher 30 chômeurs de la région dans ses entreprises en Tunisie et à l’étranger. Voilà la différence entre le capital national et le capital » lâche » ( ironiquement). Le capital national agit pour le bien de son pays, crée des emplois et prend le risque … le capital lucratif ne partage pas les risques avec l’Etat et ne pense qu’au gain facile et à la spéculation.
Il y a des informations relayées, selon lesquelles, certains sécuritaires se sont accaparés de biens d’étrangers en 2011. Est-ce vrai?
Je nie cela, je n’ai jamais eu d’informations concernant ce sujet.
Il y a un document selon lequel les autorités israéliennes auraient appelé l’ancien chef du gouvernement, Habib Essid, à dédommager les juifs tunisiens qui se sont faits confisquer leurs biens. Le vrai du faux?
D’abord Israël ne représente pas les juifs. Les juifs tunisiens sont les bienvenus…ils sont Tunisiens. Personnellement je n’ai pas vu ce document, pourtant mon département est concerné. Il y a, c’est vrai, des demandes de dédommagement… mais moi je dis que le judaïsme est une religion qui a existé avant Israël et qui existera après Israël. Je n’ai jamais reçu une plainte d’un juif tunisien pour confiscation de ses biens. Mais comme tout citoyen tunisien qui émigre en France ou ailleurs et qui laisse sa maison vide, son voisin ou un autre de ses concitoyens s’accapare lelieu, juif ou pas juif , c’est pas une question de religion…ça n’a rien à voir. Donc ces faux débats qui visent à créer des polémiques notamment » la répression des minorités« …les Juifs n’ont jamais été opprimés en Tunisie. Je suis du sud où j’ai vécu avec les juifs…ils ont tous leurs droits comme tout autre citoyen.
Y’ a-t-il des parties étrangères qui tirent les ficelles de ce sujet?
Je crois en la théorie du complot. Il y a toujours des complots. Notre époque est celle des complots par excellence, surtout contre notre région arabe. En Tunisie il y a aussi des complots pour diviser le pays entre sud et nord. Je suis sudiste et j’appelle tous les sudistes à éviter « la Fetna » ou le régionalisme. Je suis issu d’une région qui a du pétrole et du phosphate mais j’insiste pour que toutes les ressources soient au profit de tout le pays. Je suis contre les voix qui appellent à la consécration de ces ressources uniquement pour les régions qui les produisent ou d’une partie de ces ressources…On commence avec 20% du phosphate, demain ce sera 50% et après demain 100%…Certaines parties veulent une Fetna dans le pays.
Des parties de la gauche?
Si vous suivez les déclarations à ce sujet, vous sauriez qui sont ces parties. Ce sont ces politiciens qui appellent à la consécration de 20% des richesses à des régions déterminées, et où ils se déplacent pour susciter des tensions sociales et des émeutes.
Le droit de propriété immobilière aux ressortissants libyens a été à l’origine d’une grande polémique. Vous allez revoir l’accord tuniso-libyen à ce sujet?
Les Libyens avaient depuis toujours le droit de propriété en Tunisie. On a un accord de sédentarisation avec les pays maghrébins. Les Marocains, eux aussi, ont le droit de propriété immobilière sans autorisation du gouverneur et ce par une décision politique. Les Algériens l’ont également mais partiellement, pour des raisons agricoles. Jusqu’en 1989, les Libyens avaient ce droit de propriété sans autorisation. Toutefois, elle n’a pas été appliquée à la demande de la fille de l’ancien président de la République Ben Ali, qui a refusé le voisinage d’un Libyen à proximité de sa demeure à Hammamet . En 2011, des milliers de Libyens fuyant la guerre en Libye, pour la Tunisie, ont eu recours à cet accord pour acquérir des biens immobiliers en territoire tunisien. Hormis les terres agricoles, on a établi des facilités pour les Libyens pour l’acquisition d’un bien immobilier en Tunisie. On a supprimé l’autorisation du gouverneur selon des conditions, notamment que le prix du bien immobilier doit être supérieur à 300 000 mille DT, c’est à dire, qu’ils n’ont pas le droit d’acheter des logements sociaux. Ces biens doivent être dans des zones urbaines et payés en devises. On ne perd pas notre souveraineté territoriale quand on vend un appartement à un libyen ou à un Algérien. Regardez les autres pays du monde, les Emirats, Malte, la France etc…Le Libyen ou l’Algérien ne prend pas cet appartement avec lui quand il quitte la Tunisie.
Le chef du gouvernement vient de remettre en scène, l’affaire de la BFT, alors que les carottes sont cuites et que la Tunisie est obligée de dédommager son adversaire ABCI?
Il y a deux volets dans l’affaire de la BFT. Le premier volet concerne la faillite d’une banque. Et c’est rare au monde qu’une banque fait faillite. Pourquoi elle a fait faillite? C’est la question à laquelle on doit répondre. Il y a des enquêtes en cours…c’est la raison pour laquelle le chef du gouvernement a évoqué ce dossier. Les responsables seront poursuivis.
Quels sont les éléments nouveaux qui ont poussé à une telle déclaration du chef du gouvernement?
Le gouvernement a transféré ce dossier au ministère public. Le deuxième volet c’est l’investissement dans la BFT, et l’erreur de l’Etat avec ABCI la société d’investissement anglaise qui a porté plainte contre l’Etat tunisien. Ce deuxième volet n’a pas de rapport avec la faillite de la banque. Malheureusement, on a été condamné par le centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Et contrairement aux informations qui circulent le montant des dédommagements n’a pas été fixé. Nous sommes dans la phase de discussion de ce dédommagement. Nous suivons ce dossier quotidiennement. Nous avons formé un nouveau comité de Défense pour limiter les dégâts.
Qui vise-t-il en particulier en parlant de ceux qui ont causé la faillite de la BFT?
Vous pouvez le demander au chef du gouvernement ou au ministère des Finances, pas à moi
Taire les noms de ces personnes ne serait pas une forme de complicité avec leurs méfaits?
L’Etat a une liste de noms. Moi je n’ai pas de données ni de détails sur les personnes impliquées.
Le contentieux de l’Etat relève de votre tutelle et vous êtes l’objet de critiques pour la gestion actuelle de ce dossier. Quelle serait la porte de sortie la moins pénible pour l’Etat tunisien selon vous?
Le contentieux de l’Etat fait son travail comme il se doit. Lui a-t-on demandé de publier un dossier qu’il n’a pas fait ? Le contentieux ne provoque pas des dossiers de son propre gré. Si un ministère nous demande de s’occuper d’une affaire au profit de l’Etat, on le fait.
Certaines mauvaises langues vous reprochent ou vous accusent d’offrir un parapluie à certains bénéficiaires des crédits non remboursés auprès de la BFT. Qu’en est-t-il au juste?
Je ne soutiens personne et je ne défends personne. Celui qui a commis une erreur doit payer.
Certaines parties vous accusent d’avoir protégé Chafik Jarraya notamment…
Ces parties n’ont qu’à aller se soigner…
Quelle est la responsabilité de Slim Ben Hamidane dans l’affaire de la BFT?
En tant que ministre, je n’accuse personne. Je n’ai pas accusé Ben Hamidane. Je n’ai jamais cité personne, et je n’ai de conflit avec personne. S’il m’a cité c’est son problème. Ben Hamidane est actuellement devant la justice. Il a porté plainte contre ma personne pour diffamation alors que je n’ai jamais parlé de lui.
Il y a une plainte sans fondement qui traîne depuis 2013, pour laquelle le contentieux de l’Etat prétend que l’arbitrage international porte préjudice à l’Etat et demande condamnation pénale et réparation de Abdelmajid Bouden et à ABCI. Il s’avère qu’il n’y a aucun fondement à cette plainte. Pourquoi ne pas retirer cette plainte et ouvrir la voie à une relation apaisée?
J’ai des réserves concernant ce sujet. Abdelmajid Bouden, si l’Etat lui doit quelque chose, il l’aura. Nous sommes ouverts à toute discussion logique. Et s’il présente un dossier de réconciliation, il est le bienvenu. Bouden est avant tout un citoyen tunisien.
Ces personnes qui n’ont pas payé les crédits qu’ils ont pris de la BFT sont à l’origine de sa faillite…
Je ne veux pas répondre à ce sujet. Tout est entre les mains de la justice.
Et si vous n’arrivez pas à trouver une solution et être amené à payer les dédommagement…?
Je ne peux pas réponde à cela… gardons espoir et soyons optimistes.
Propos recueillis par
Wejden Jelassi

La représentante de Réalités Online avec le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Mabrouk Kourchid