Deux ans après le déclenchement de la Révolution du 14 janvier, la question qui demeure récurrente est la suivante : quel enseignement peut-on tirer de cette Révolution ? Un bilan, certes mitigé, auquel on peut ajouter que la Tunisie est plus que jamais divisée, voire désunie.
Première pomme de discorde : la date du début de la Révolution qui reste toujours un sujet polémique. Les habitants de Sidi Bouzid, de Kasserine et de Thala considèrent que cette date est celle du 17 décembre 2010, date de l’immolation de Mohamed Bouazizi. D’ailleurs, ils ont totalement boycotté les festivités du 14 janvier 2011 et 2013 considérant que leur vraie Révolution leur a été confisquée. Par la même, les habitants du bassin minier considèrent que les émeutes ayant eu lieu en 2008 sont la première étincelle de la Révolution tunisienne. C’est d’ailleurs pourquoi ils “quémandent” une reconnaissance officielle de la révolte du bassin minier comme événement marquant de la Révolution tunisienne, en la considérant même comme “premier défi concret et sérieux à l’ancien régime”, affirmant qu’il a contribué directement ou indirectement à sa chute.
En revanche, un bon nombre de Tunisiens pensent que le 14 janvier est la date la plus symbolique de notre Révolution. La fuite de Ben Ali a couronné des années et des années de résistance contre la dictature et le despotisme d’un régime qui a gouverné par le fer et par le feu. Le 14 janvier est le fruit de plusieurs années de sacrifice et de combat, dans le bassin minier, à Thala, à Kasserine, à Siliana et dans toutes les régions marginalisées et défavorisées.
Cette division s’est accentuée davantage sur le plan sociopolitique.
En effet, désormais c’est la loi des idéologies qui règne. La chute de Ben Ali a révélé plusieurs anomalies, révélant de mauvais traits de caractère présents chez les Tunisiens. L’égoïsme, l’intolérance et l'opiniâtreté sont les “qualités” à découvrir. La volonté de négliger autrui est devenue un sport national. “Soit tu es avec moi, soit tu es contre moi”. Avec un gouvernement négligent, les agressions à caractère idéologique se sont multipliées de façon comminatoire. La Tunisie postrévolutionnaire est fractionnée entre musulmans et “laïcs”, croyants et mécréants, conservateurs et modernistes… Ce nouveau sentiment d’“animosité” est alimenté par le comportement irresponsable d’une classe politique qui ne cesse de compliquer la situation à travers des discours brûlants, provocateurs et haineux.
Ironie du sort, les Tunisiens unis, solidaires et rassemblés, toutes tendances politiques et idéologiques confondues, un certains 14 janvier 2011 pour briser le mur du silence et faire disparaître à jamais la dictature en défiant un appareil policier hors pair, ont fêté en ordre dispersé cette date mémorable dans une ambiance tendue où chaque parti a occupé un coin pour célébrer seul une fête nationale commune. Mieux encore et pour éviter le risque d’affrontements, les mêmes forces de l’ordre, dont un bon nombre ont participé à la répression des manifestants lors des évènements de la Révolution sur la même Avenue, ont tout fait pour séparer les partisans de chaque parti et éviter le pire.
Aujourd’hui, les sujets de discorde et de division ne manquent pas dans notre pays. Avec l’intervention militaire française au Mali, la société tunisienne s’est divisée entre pros et antis. Les uns estiment qu’il s’agit d’une intervention pour éradiquer le terrorisme et anéantir le risque que ce fléau se propage dans ce pays africain très proche géographiquement de notre pays, et les autres dénoncent ces attaques contre les combattants de l’AQMI et les mouvements islamistes considérant que cette intervention s’inscrit dans le cadre d’une “nouvelle croisade” menée par les pays de l’Occident, notamment la France, première ex-puissance coloniale en Afrique, afin de spolier les richesses de la région. Cette intervention au Mali vient compliquer les choses chez nous puisque certains adeptes du même bord appellent eux aussi au djihad.
La “bataille” aujourd’hui est idéologique par excellence. Même l’avant-projet de la Constitution est devenu un sujet de brouille entre ceux qui considèrent que la nouvelle Constitution proposée est “minée” par des articles à vocation religieuse et ceux qui appellent à rejeter ce projet qui est “en deçà” des attentes de notre peuple musulman. Certains vont même jusqu’à se référer à la charia pour en faire une Constitution de tous les Tunisiens. Affaire à suivre.
Mohamed Ali Ben Sghaïer