Mustis l’orgueilleuse

Mustis, voyons, où se trouve-t-elle ? Depuis l’Antiquité, elle est sur la grande voie qui reliait la ville principale, jadis Carthage, aujourd’hui Tunis, à la capitale de la Numidie : Le Kef. Un superbe arc de triomphe, qui enjambait cette voie, l’annonce à tous les voyageurs.

 

Le long de la route

Nous rappellerons, très brièvement, tout l’intérêt de cette route qui pourrait s’appeler la «voie romaine» : Medjez El Bab, porte de la Numidie, avec son majestueux pont andalou et son grand tumulus berbère, Sloughia au minaret de sa mosquée très original, Testour à l’héritage andalou, Aïn Tounga/Thignica, un très beau nymphée vient d’y être découvert. La pépinière d’Aïn Jemala aux sous-bois parsemés d’orchidées sauvages, Téboursouk qui recèle les vestiges d’une belle citadelle byzantine, puis Dougga et enfin la Nouvelle Dougga.

À partir de là, on connaît beaucoup moins la région : à la sortie de la Nouvelle Dougga, une très belle citadelle byzantine et la cité d’Agbia agonisent : détruites peu à peu par une énorme carrière !

Pourtant, la citadelle d’Agbia illustre parfaitement la politique byzantine aux VIe et VIIe siècles, en Afrique du Nord. Elle fait partie d’une véritable «chaîne» de forts depuis Aïn Tounga/Thignica jusqu’au Kef/Cirta-Sicca  bâtis à une vingtaine de kilomètres l’un de l’autre qui prouvent la puissance et l’ampleur des révoltes berbères : les ancêtres autochtones des Tunisiens !

Pour tous ceux qui nous demanderaient où manger et se reposer, nous proposons soit de revenir à Téboursouk soit de s’arrêter dans un superbe petit établissement dissimulé dans un verger que les haies de clôtures «dénoncent» à gauche de la route, après le pont sur l’Oued R’mel. Il est possible aussi d’aller se restaurer dans l’une des rôtisseries du Krib : les grillades y sont succulentes. On peut encore, pour aller pique-niquer, après le lycée du Krib, gravir les premières pentes du Jebel Bou Khelil couvertes d’une belle forêt de pins qui dissimule les vestiges d’une chapelle chrétienne du XXe siècle et qui recèle au printemps, sur les pelouses des clairières, de nombreuses espèces d’orchidées sauvages.

 

Mustis l’orgueilleuse

Mustis romaine est construite sur un site tout à fait privilégié situé au carrefour de voies antiques très importantes : celle joignant Carthage à Cirta/Constantine, celle menant de Carthage à Theveste/Tebessa et celle reliant Mustis à Sbeïtla/Sufetula. Elle est bâtie à proximité de sources abondantes et au contact de plaines fertiles ainsi que de collines boisées et giboyeuses qui lui fournissaient de la bonne pierre à bâtir et du bois.

Nous n’avons, encore, aucun document traitant de la préhistoire dans la région, mais les nombreux monuments mégalithiques des alentours permettent d’affirmer qu’elle a été densément peuplée à l’aube de l’histoire. Une cité a dû naître vers les IVe et IIIe siècles av. J.-C. puis faire partie du royaume Massyle du roi Massinissa. On sait, grâce à un sondage réalisé par Melle Naïdé Ferchiou, historienne et archéologue, juste devant une «porte» de la cité située à droite du temple de Cérès, que la ville romaine recouvre une bourgade numide du IIIe siècle av. J.-C. qui a livré les débris émouvants d’un four «tabouna.»

Avec ceux trouvés à Kerkouane, on est en droit d’affirmer que la «tabouna» fait partie du patrimoine tunisien.

La cité romaine semble naître, après la défaite de Jugurtha, d’une implantation de vétérans de l’armée romaine commandée par le Consul Marius, son vainqueur. Certains de ces vieux soldats sont inscrits dans la tribu «Cornelia» : la tribu de Marius, comme l’attestent des épigraphies locales. Il est d’ailleurs curieux que les vétérans de Marius, vieux soldats certainement installés là pour «pacifier» une région rebelle, s’établissent à la fin de la guerre contre Jugurtha à Thuburnica, Chemtou, Ucchi majus, Musti, et Assuras/Zanfour en demi-cercle autour du Kef, en Tunisie et non autour de Constantine, présentée comme la capitale de la Numidie de Jugurtha par l’Histoire officielle. Le Kef serait-il Cirta, Capitale de la Numidie ?

Mustis serait devenu le Municipium Iulium Aurelium Mustinarum très probablement par une décision de César. Il est presque certain que Mustis, cité «mariane» : créée par Marius et devenue Municipe par les bienfaits de Jules César dédaigne de devenir Colonie ! Jusque sous le règne de Théodose — durant quatre cents ans ! —, elle s’intitule, en toute modestie… apparente : Municipium Iulium.

La ville semble être à son apogée durant les IIe et IIIe siècles et a dû être christianisée, comme ses voisines Dougga et Le Kef, durant le IIIe siècle. Mustis semble avoir été abandonnée par les conquérants musulmans.

 

Les monuments

La ville romaine a été coupée en deux par la route moderne, comme elle l’était par la voie antique qui passait sous le premier arc de triomphe qui a été restauré au XXe siècle et sortait de la cité sous le second, dont il ne subsiste que les soubassements à l’extrémité ouest du site.

Construite certainement sur une partie du site, la belle zaouïa dédiée à Sidi Abd Rebbah prouve, ainsi que les grands marabouts proches consacrés à Sidi Bou Araba et à Sidi Bou Baker, que l’Islam a remplacé les cultes précédents.

Dès le bord de la route, une petite esplanade dallée conduit à une «porte», en partie restaurée, qui donne sur une rue aux pavés marqués d’ornières et bordée par une succession de… «boutiques» appuyées contre le podium d’un beau temple qui aurait pu être consacré à Cérès. Dans une région agricole riche, un temple consacré à Cérès et un autre dédié à Pluton, un peu plus loin, dieux propices aux récoltes abondantes semblent «naturels.»

À l’extrémité ouest de l’esplanade s’ouvre un temple consacré à Apollon. L’absence de podium et une orientation légèrement différente de celle du temple de Cérès, presque mitoyen, sont curieuses. Derrière le temple de Pluton subsiste une huilerie. L’étage souterrain d’une demeure voisine est une réponse architecturale rationnelle aux ardeurs de certains étés torrides, comme à Dougga et à Bulla Regia. Dans certaines pierres taillées sont gravés des sexes masculins en érection, comme à Makthar et à Bulla Regia : ce sont peut être des réminiscences d’un culte très ancien de la déesse de la fécondité et, sans doute, à l’époque romaine, un signe chargé d’écarter le «mauvais œil». Un peu plus loin, une basilique chrétienne, à trois nefs, dont le chœur est fermé par une abside, abrite un grand baptistère.

Les pierres des murs de la petite citadelle trahissent la décadence de la cité : elles ont presque toutes été «empruntées» aux monuments construits antérieurement. L’une d’elles présente un beau relief : une tête, manifestement libyco-punique, encadrée par une palme de chaque côté.

L’intérieur de la citadelle ne devait «contenir» que peu de personnes. À droite de l’entrée, un groupe de grandes citernes donne à penser que le fort pouvait soutenir un long siège bien que la faible épaisseur et la solidité relative des «remparts» ne se prêtent guère à une résistance acharnée. À gauche de l’entrée, devait se tenir un «quartier de commandement». Entre les citernes et les remparts, dans le coin nord-est, il devait y avoir une «habitation» dotée d’une citerne domestique. Un mur porte des encoches qui font penser qu’on y avait installé des étagères supportant… des bibelots, du linge, de la vaisselle, on ne saura jamais. D’autres murs ont manifestement été rougis par un violent incendie.

La promotion du site de Mustis serait un atout de plus pour cette région qui n’en manque pas. Les collines tout autour du Krib abritent beaucoup de gibier : perdrix, lièvres, sangliers et même des bécasses. Elles sont couvertes d’une flore intéressante : nous y avons trouvé de très belles orchidées sauvages, dont une que nous avons appelée : l’Ophrys Jugurtha. Il suffit maintenant de les faire connaître.

Alix Martin

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