Profanation du mausolée de Sidi Bou Saïd , Encore une !

Jusque-là, l’identité des incendiaires du mausolée de Sidi Bou Saïd n’a pas été révélée. Entre-temps, les travaux ont été engagés pour sa remise en état. La fête du Mouled y sera cependant célébrée en grande pompe, pour laver l’affront.

 

Une semaine après les faits, les habitants de Sidi Bou Saïd et les visiteurs du mausolée restent en état de choc, ne voulant toujours pas croire à ce qui s’est passé. En témoigne cette dame victime d’une crise d’hystérie en voyant le lieu brulé, les murs noircis, les carreaux de faïence enlevés et les débris de bois réunis dans un coin. «Je ne peux pas supporter ce spectacle, c’est terrible ! Voir cela est au-dessus de mes capacités», crie-t-elle, avant de s’effondrer par terre. Il a fallu l’intervention ferme de la responsable du mausolée pour que la dame reprenne progressivement son calme.

Des personnes se rendent à longueur de journée au mausolée, Tunisiens ou étrangers, venant du village ou d’ailleurs, afin de constater les dégâts, avec toujours la même expression sur le visage : la désolation, l’incompréhension et même la colère envers ceux qui ont osé profaner le mausolée.

«Comment se sont-ils permis, eux qui se disent musulmans, de brûler le Coran ?», s’indigne un homme, la cinquantaine. Un autre lui répond : «Chacun a le droit d’avoir ses idées de la religion, mais pourquoi détruire un monument religieux, historique, dont la visite fait partie de nos traditions ?»

Les visiteurs s’arrêtent, contemplent les dégâts, demandent aux responsables des lieux s’ils ont des informations sur l’identité des malfaiteurs, puis se retirent en silence, accablés par la tristesse.

 

Un court-circuit ?

Même la police n’arrive toujours pas à mettre la main sur les coupables. C’est ce que nous explique Imed, un policier en civil qui fréquente lui aussi l’espace quotidiennement pour essayer de trouver une piste susceptible de le mener aux coupables. «Nous avons interpelé des suspects parmi les habitants du village, puis nous les avons relâchés par manque de preuves».

Une chose est sûre, c’est que l’incendie a été déclenché par un cocktail Molotov lancé dans la salle où se trouve la tombe, laquelle, pleine de tissus synthétiques, de papiers (les manuscrits) et d’objets en bois a flambé. L’incendie a eu lieu vers 18h, le samedi 12 janvier, après la prière du «moghreb» (coucher du soleil). Les habitants du mausolée s’en sont rendu compte grâce à une coupure d’électricité. Ils ont alors appelé les pompiers et avisé la police. Le maire de Sidi Bou Saïd, Raouf Dhaklaoui, qui est arrivé une heure plus tard, raconte que d’après les premières informations recueillies sur place on aurait vu quatre jeunes gens sortir en courant du mausolée, peu après la prière. Une version des faits qui a complètement changé le lendemain, d’après lui. «On parlait désormais d’un court-circuit qui était à l’origine de l’incendie. Dans ce cas, comment expliquer les incidents similaires qui ont eu lieu dans les 15 autres mausolées sur tout le territoire tunisien ?» s’indigne-t-il.

Cette version a été aussi confirmée par la responsable des lieux, Chedlia, a affirmé qu’elle ne soupçonne personne et que «c’était juste un court-circuit». Concernant son absence au moment des faits, alors qu’elle était supposée veiller sur l’espace ou au moins s’assurer de la présence d’un remplaçant, elle a répondu : «Je ne peux pas être là-bas tout le temps. Il m’arrive d’aller chez moi, car ce n’est pas très loin.»

Mais personne ne semble croire à cette version du court-circuit, notamment les fidèles du mausolée qui s’y rendent régulièrement, avant et après l’incendie. «Si, c’était un court-circuit pourquoi n’a-t-il atteint que la salle où se trouve la tombe ? Il aurait dû être général et toucher toutes les autres salles, puisqu’il n’y a qu’un seul compteur d’électricité», s’interroge Alya, une des visiteuses assidues de Sidi Bou Saïd.

La piste criminelle est confirmée, mais qui est derrière cet acte ?

Les salafistes ? Comme c’était le cas dans la plupart des autres attaques contre des mausolées ? On sait très bien que ces derniers considèrent les croyances dans les saints, comme une forme de «polythéisme», tel que le stipule le «wahhabisme», l’idéologie à laquelle ils se réfèrent. La thèse est plausible.

 

Et si les fidèles de l’ancien régime se cachaient derrière ces actions ?

Néanmoins, elle n’est pas la seule qui existe. Car il y en une autre selon laquelle les responsables du mausolée seraient impliqués. En effet, beaucoup des fidèles que nous avons interrogés confirment qu’ils n’ont pas vu de personnes étrangères se rendre sur les lieux ces derniers temps. Ils sont unanimes pour dire que le coupable ne pourrait être que quelqu’un qui fréquente régulièrement la zaouia. Ils vont jusqu’à évoquer la possibilité d’implication des anciens amis et complices des Trabelsi. Car ils rappellent que le mausolée de Sidi Bou Saïd était très fréquenté par Leila Ben Ali et ses proches qui inondaient l’espace de dons.

«Ils (eux ou leurs anciens serviteurs) accepteraient mal de ne plus avoir la mainmise sur cette zaouia comme auparavant. Ils chercheraient donc à la récupérer ou à la détruire», conclut Aicha, une femme âgée. On soupçonne aussi des relations de complicité avec les responsables du mausolée qui auraient profité de l’ancien régime.

Les habitants du village ont peur de dire ce qu’ils savent ou de parler à haute voix de leurs soupçons. Ils redoutent des représailles. Mais de qui ? «De tous ! De ceux qui ont le pouvoir et de ceux qui ont l’argent », note Alya.

En attendant les résultats de l’enquête judiciaire, l’incertitude continue à régner quant à l’identité des vrais coupables. La bonne nouvelle, toutefois, est qu’une grande partie du mausolée a été rapidement restaurée en prévision de la grande fête du Mouled, le mercredi 23 janvier et la Issawiya du jeudi. «Le mausolée de Sidi Bou Saïd, reviendra mieux qu’avant», dit avec enthousiasme, Raouf Dhaklaoui qui a engagé les travaux de restauration, en collaboration avec l’Institut national du patrimoine (INP) puisqu’il s’agit d’un monument historique, classé par l’UNESCO. Cette organisation a même publié un communiqué où elle a déclaré son indignation pour ce qui venait de se passer.

Reste maintenant à savoir si l’on peut prévenir une récidive. Il est vrai que depuis l’incendie un dispositif sécuritaire a été mis en place aux abords du mausolée, mais les habitants de Sidi Bou Saïd exigent une surveillance continue. La nouvelle Association de sauvegarde des monuments de Sidi Bou Saïd, fraîchement créée, œuvrera à dégager des fonds afin de mettre en place un service de gardiennage permanent.

Les hommes politiques qui ont défilé au mausolée et auxquels on a tous crié «Dégage !», comme Mehdi Mabrouk, ministre de la Culture, Ali Lâariydh, ministre de l’Intérieur, Moncef Marzouki, président de la République, Rafik Abdessalam, ministre des Affaires étrangères (venu le lendemain de l’incendie déjeuner dans un restaurant à Sidi Bou Saïd, comme si de rien n’était), Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha et Béji Caid Essebssi, président du parti Nidâa Tounes, eux, n’ont rien promis pour refaire la zaouia. 

Le danger d’autres attaques plane toujours. L’armée est intervenue pour protéger certaines zaouïas, mais ce n’est pas suffisant. À la veille du Mouled, on peut s’attendre à tout.

Hanène Zbiss

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