Au moment où la Tunisie choisit la voie « soft power » du retour volontaire des migrants en situation irrégulière avec la collaboration de l’OIM, l’Algérie et la Mauritanie optent pour les expulsions massives en ce mois d’avril 2025, selon le site INFOMIGRANTS. Des actions concomitantes qui révèlent un dynamisme régional inédit dans la gestion de la crise migratoire basé sur le renforcement de la concertation et de la coordination entre les pays du Maghreb, l’UE et les pays d’origine.
La campagne de démantèlement des camps des migrants en situation irrégulière, lancée le 3 avril en réponse aux nombreux appels de détresse des habitants d’El Amra et Jebeniana (gouvernorat de Sfax) suite à la détérioration de la situation sanitaire et sécuritaire, se poursuit selon un plan étudié et bien coordonné impliquant toutes les structures nationales concernées (ministères de la Santé et de l’Intérieur, Croissant-Rouge, Protection civile) et internationales dont l’Organisation internationale pour les migrations (liée aux Nations unies). Un plan basé sur une gestion « soft power » (traduire en puissance douce, NDLR) de la crise migratoire qui respecte les droits humains des migrants (prise en charge sanitaire dans les hôpitaux publics), leur dignité et privilégie le retour volontaire du migrant à son pays d’origine.
Au 24 avril, six camps anarchiques abritant 9000 migrants ont été délogés dans les deux délégations d’El Amra et de Jebeniana et le plan d’évacuation n’est pas près de s’arrêter en raison de la détermination des autorités tunisiennes à empêcher que la Tunisie ne devienne une terre d’installation ou de transit. Le plan prévoit pour cela une partie négociations avec les migrants en vue d’un retour volontaire au pays d’origine. Et cela semble marcher. Selon le porte-parole de la Direction générale de la Garde nationale, Houssem Eddine Jebabli, chaque opération de démantèlement est suivie d’une progression de la demande pour le retour volontaire et des inscriptions auprès de l’antenne tunisienne de l’OIM. Des bus sont mis à la disposition des migrants par l’Etat pour les acheminer jusqu’au siège de l’OIM dans la capitale Tunis.
Changement de stratégie
Après la longue et virulente campagne internationale de diabolisation de la Tunisie pour sa gestion de la crise migratoire en 2023, date du début de l’affluence record des migrants subsahariens désireux de rejoindre les côtes européennes, voici venu le temps de l’apaisement. A quel prix ! L’Union européenne a contracté divers accords controversés avec « des pays partenaires » dont la Tunisie pour lutter contre la migration irrégulière. En 2016, ce fut avec la Turquie, Ankara s’étant engagée à freiner les flux migratoires vers l’Europe en échange d’un important financement. En 2017, c’est le tour de la Libye. Avec la Déclaration de Malte, Bruxelles apportait une aide logistique et financière conséquente, notamment en formant les garde-côtes libyens et en fournissant des navires pour endiguer les flux migratoires. Selon le site INFOMIGRANTS, cette Déclaration a eu « l’effet escompté » mais également des conséquences humaines dramatiques pour les migrants passant par la Libye où des faits de torture et de maltraitance ont été rapportés par certains migrants. « Alternative à la violence libyenne, la Tunisie est devenue, ces dernières années, le point de départ privilégié des migrants souhaitant se rendre en Europe via la Méditerranée », note le site INFOMIGRANTS. En juillet 2023, c’est un accord avec la Tunisie qui est signé pour lutter contre l’immigration irrégulière, suite à des visites successives de la première ministre italienne Giorgia Meloni clôturées par celle d’une délégation européenne dirigée par Ursula von der Leyen. Cet accord qui prévoit une aide financière de 100 millions d’euros va cependant soulever des tempêtes de colère : la Tunisie va être violemment critiquée à l’intérieur et à l’extérieur pour l’inconséquence de l’aide financière européenne et pour son refus d’autoriser l’installation des migrants et son empêchement de leur départ vers l’Europe.
Tout ceci fait désormais partie du passé. Changement de stratégie. L’Union européenne a laissé tomber sa stratégie d’accords bilatéraux en aparté au bénéfice d’une stratégie multilatérale élaborée avec « les pays partenaires » concernés par les flux migratoires africains à destination de l’Europe. Le 11 avril 2025, se tenait à Naples la deuxième réunion quadripartite d’évaluation du niveau de coopération entre l’Italie, la Tunisie, l’Algérie et la Libye en matière de lutte contre la criminalité transfrontalière, en particulier la migration irrégulière et la traite des êtres humains. La première réunion a eu lieu le 2 mai 2024 dans le but d’intensifier l’action commune quadripartite, le dialogue et l’action sur le terrain suite à la constatation faite par l’UE qui reconnaît la difficulté de la situation. Cette situation a été dévoilée par une enquête journalistique qui a révélé que les fonds européens alloués aux pays de transit –Tunisie, Maroc, Mauritanie- servaient à financer le refoulement des migrants. Au niveau maghrébin aussi, la stratégie change. Quelques semaines plus tôt, le 22 avril 2024, ce sont les trois chefs d’Etat tunisien, algérien et libyen qui convenaient lors d’une réunion à Tunis de « former des équipes communes chargées de sécuriser les frontières communes aux trois pays du danger et des impacts de l’immigration non organisée ». Tous les efforts vont s’avérer vains, la situation s’étant dégradée particulièrement en Tunisie surtout dans le gouvernorat de Sfax où vont se concentrer des milliers de migrants subsahariens et où des dangers sécuritaires et sanitaires vont être constatés. Des voix vont s’élever pour accuser l’Algérie de ne pas faire le nécessaire afin de stopper les flux migratoires, voire de dévier sciemment ces flux vers les frontières tunisiennes.
Pic d’expulsions
Il faut attendre le mois d’avril de cette année 2025 pour observer une dynamique particulière à l’échelle du Maghreb. Concomitamment avec le démantèlement des camps de migrants en Tunisie, des expulsions massives sont observées simultanément en Algérie et en Mauritanie
Dans son édition du 25 avril 2025, le site d’information pour les migrants —INFOMIGRANTS— rapporte des vagues d’arrestations de migrants en situation irrégulière depuis le début de l’année par les autorités mauritaniennes en vue de leur expulsion. Des centaines de migrants sont acheminés jusqu’à la frontière avec le Sénégal où ils restent bloqués dans une situation humanitaire déplorable, selon le même site d’information. L’Algérie n’en fait pas moins. INFOMIGRANTS parle de 1200 migrants expulsés par l’Algérie vers le Niger en quatre jours (entre le 19 et le 22 avril 2025).
Pour l’ONG Alarme Phone Sahara, citée par le site sus-indiqué, opérant dans cette région depuis plusieurs années, « ce mois d’avril est particulier car il est marqué par un pic d’expulsions ». D’après Alarme Phone Sahara, il y a toujours eu des expulsions mais à plus faible fréquence sans doute par souci de respect de l’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ratifiée par la Tunisie en 1983) qui interdit « l’expulsion collective d’étrangers ». Ils étaient plus de 30 000 migrants à avoir été expulsés par l’Algérie vers le Niger en 2024 de manière régulière, plus de 26 000 en 2023. Ce qui dément au moins en partie les accusations portées contre l’Algérie, notamment par des organisations internationales et leurs relais médiatiques, consistant à fermer les yeux sur les flux de migrants subsahariens évoluant vers la frontière tunisienne. Les chiffres démontrent que les accusations n’étaient pas fondées. La confirmation viendra du secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, Mohamed Ben Ayed, qui déclarait en janvier 2025 que la Tunisie avait organisé en 2024 le rapatriement volontaire de 7250 migrants irréguliers d’Afrique subsaharienne en coordination avec l’OIM, les deux pays voisins (Algérie, Libye) et les pays d’origine. La Tunisie a, en effet, choisi, la voie du retour volontaire des migrants pour gérer cette interminable crise, une option lente mais sûre qui répond au souci des autorités politiques et sécuritaires de garantir les meilleures conditions de rapatriement, considérant que ces migrants sont les victimes de réseaux criminels.