Maher Haffani: « ce gouvernement aura les coudées franches »

 

Pédiatre de profession, président de l’Association Mustakbalna, Dr Maher Haffani ne rate pas une occasion pour procéder à une analyse approfondie de la situation, surtout politique,  du pays. Homme de terrain, il apprécie les projections futures A l’entendre, l’on ne peut ne pas déceler un background assez riche qui lui permet d’être considéré comme une voix sérieuses dans ses analyses de la situation politique et de ses enjeux cachés.
Alors que Youssef  Chahed est en attente de son vote de confiance, Dr Maher Haffani livre à Réalités onlines ses impressions et ses attentes du gouvernement d’union nationale. Entretien.

Docteur Haffani comment percevez-vous la composition de ce nouveau gouvernement et quelle chance a-t-il pour réussir ?
N’en déplaise à beaucoup et spécialement à la Jabha et à Machrou3 Tounes, Il y a beaucoup de points forts dans la composition de ce gouvernement «Chahed». Déjà, De par la nature même de la situation par laquelle passe notre pays aujourd’hui, je peux affirmer que ne pas y participer doit être perçu comme non assistance à personne en danger.
Ensuite, la réussite de YoussefChahed ainsi que celle de son gouvernement est une réconciliation de toute une génération (majoritaire) qui s’estime jusque-là sacrifiée et se considère particulièrement concernée à travers la nomination de Youssef Chahed.
C’est aussi un grand pas vers le renouvellement de toute la classe politique.
Encore une fois, j’affirme qu’espérer rentabiliser politiquement sur un éventuel échec de ce gouvernement et ne pas y participer c’est rester à regarder rendre l’âme un malade sans tenter les ultimes actes de réanimation. Au-delà, je souhaite aux deux formations que sont la jabha et le machrou3 Tounes de trouver les arguments adéquats qui justifieront leur abstention que personnellement j’estime fautive.
Quant au chef du gouvernement et son équipe, je ne peux que leur dire d’y aller franchement et l’expérience s’acquiert naturellement surtout que le soutien extérieur est acquis à leur cause. Ils n’auront aucun argumentaire à faire valoir quant à l’éventualité d’un échec car nous les aurons soutenu activement et de toutes nos forces.
Ce gouvernement a intelligemment préludé à une coalition future en engageant tout le monde ou presque.
D’aucun pense que la non participation de l’UPL est un suicide pour ce parti. Qu’en pensez-vous ?
Je considère l’écartement (forcé ou étudié) de l’UPL et d’Afek aussi (malgré l’engagement de quatre de ses leaders dans des postes gouvernementaux, ce qui semble être des décisions personnelles vu les déclarations de leur président de parti) comme une liquidation par perte et profit. L’avenir proche nous éclairera sur le devenir de ces 2 partis.
Ce gouvernement reste, malgré tout ce qu’on a pu dire, un gouvernement mosaïque et surtout formé de politiques avec peu de technocrates.
Les atugiens sont hors du coup et n’ont qu’une idée erronée de la réalité du pays. Leur culture sociale et anthropologique est limitée et sont déconnectés de la réalité.
Le cas de Riadh Mouakher qui n’est pas atugien mais bien un médecin est assez singulier pour illustrer notre propos. D’abord c’est un politique, ensuite, il est ouvert et il sait communiquer. Quand il est bien alimenté par un argumentaire et s’il est bien soutenu comme il l’est actuellement, il a toutes les chances de réussir. De surcroît, Je trouve qu’il est bien dans son nouveau ministère car il a toutes les chances de rétablir ce qui a été spolié par la nahdha dans les collectivités locales. Voyez-vous quelque soit l’angle par lequel vous lorgnez le problème de notre pays, le politique resurgit à tous les coups.
Pour réussir à sortir le pays de là où il est, l’union nationale est impérative. C’est ce que la jabha n’a jamais saisi. Cependant, je reste perplexe quant à l’attitude du machrou3 Tounes et dans lequel je compte pas mal d’amis avec qui j’ai une affinité politique. Du moins, je le croyais.
Que faut-il au gouvernement Chahed pour réussir et dans quels délais ?Dans les 2 prochains mois le chef du gouvernement a un challenge à propos de la corruption, de la contrebande et il doit donner les premiers signes de redressement du pays. Il doit entamer des opérations d’envergure. Ou du moins un début de redressement. Saïd Aïdi l’a bien compris, il fallait s’attaquer à la corruption. Il a osé le faire courageusement et il l’a payé cher.
Si ce gouvernement ne fait pas cela et dans ce délai, il aura perdu toute crédibilité très rapidement. Il en a, pourtant, des arguments. Pour peu que Briki (réforme administrative et bonne gouvernance) joue le jeu et qu’il s’entende avec l’instance de lutte contre la corruption et l’instance de vérité et dignité, etc.
Ce que peut faire dans l’immédiat Youssef Chahed, c’est donner des signaux clairs et forts en prenant comme point de départ les dossiers de corruption établis par feu Abdelfettah Amor et principalement les gros dossiers des sociétés et des biens saisis qui ont été spoliés. Il y a aussi le dossier du holding Karama. C’est au gouvernement d’établir les limites de ce qu’ils veulent éclaircir.
Certains élus parlementaires méritent de voir levée leur immunité comme celui qui traîne des histoires de chèques sans provision au vu et au su de tout le monde. Il serait aussi, selon les bruits qui courent, mouillé dans des histoires d’extorsion de fonds et de chantage. Le peuple apprécierait que la justice dise son mot dans cette histoire et qu’on soit éclairés sur le vrai et le faux. Cela aura le mérite de rendre de la crédibilité à la classe politique. Les situations de levée de l’immunité parlementaire ne s’arrêtent pas à ce cas seulement. Nous n’avons pas oublié le parlementaire de Ben Guerdane qui lui aussi mérite cette levée de l’immunité. Le peuple verrait d’un bon œil la levée de l’immunité de ceux qui sont derrière le fameux article 13 de la Constitution qui bloque tout ce qui concerne l’énergie et surtout l’immunité du président de la commission de l’énergie. Résultat de cet article, tous les investisseurs en matière d’énergie ont fui notre pays sans demander leur reste.
Dans les grands enjeux économiques il y a cette fameuse histoire de Sfax et des non moins fameux feux d’artifice qui sont considérés comme des produits prohibés et importés à des centaines de milliards. Nous continuons à avoir tous les soirs des séances angoissantes pour les grands comme pour les petits de grande pollution sonore.
Il y a aussi le dossier des glibettes blanches importées de Turquie à coups de dizaines de milliards.
Il serait bon de revoir qui est derrière toutes ces importations, notamment celle de la camelote chinoise immatriculée en Turquie et redirigée vers notre pays et écoulée dans le commerce parallèle.
On aimerait aussi savoir pourquoi Radhi Meddeb n’est pas resté sur le dossier de Carthage Cément. Qui est derrière les problèmes du phosphate de Gafsa ? Tout cela ne manquera pas de donner des signaux forts en faveur de ce gouvernement et ce gouvernement aura frappé un bon coup en faveur de l’économie.
Autre argument en faveur du gouvernement Chahed, c’est qu’il a une douzaine de ministres qui communiquent bien et ont l’argumentaire assez facile. Ce qui jouera certainement en faveur de ce gouvernement au niveau de la caution personnelle du citoyen.
Maintenant attendons de voir, les grandes lignes qui seront présentées à l’ARP. Je crois que les premières semaines nous orienteront clairement sur la direction qui sera prise par ce gouvernement que nous nous devons de soutenir impérativement.
Nous devons aussi être vigilants quant à la communication de ce gouvernement. Si elle se fera d’une seule voix avec une bonne discipline et une bonne répartition des tâches, alors cela va être rassurant. Mais si elle se fera comme toujours dans la cacophonie alors rien ne l’aura différencié de ses précédents. Parfois la perception est plus importante que l’action.

Vous paraissez optimiste malgré la situation catastrophique du pays ?
Il faut attribuer à Youssef Chahed les avantages de la jeunesse, de la capacité d’écoute et surtout la capacité à travailler avec des personnes parfois plus qualifiées que lui tout en jouant lui-même un rôle d’animateur et de catalyseur. S’il s’en tient à cela, il pourra réussir. Il n’a pas besoin d’être tout le temps le chef de file ou Dieu le père. Il a surtout besoin d’écouter, de s’entourer de compétences, de préparer la relève et d’avoir une cohérence et une rigueur au niveau du conseil des ministres. Le reste coulera de source. D’ici quelques temps, cela pourrait aboutir à un nouveau front qui pourra préparer les nouvelles élections.
Je ne suis pas pessimiste et je ne suis pas d’un optimisme béat. Je sais qu’il y a derrière tout cela beaucoup de calculs et des non-dits avec une bonne dose de machiavélisme. Je sais aussi que les lobbies restent très puissants. Je sais aussi que notre politique financière, économique et budgétaire ne nous pousse pas vers un grand optimisme mais que voulez-vous ?

Vous croyez donc à une éventuelle passation de pouvoir ?
Mais nous sommes déjà en pleine passation de pouvoir. Du reste, les parasitages existent et ils sont partout et principalement chez les parlementaires. Ils sont à Nidaa, à l’UPL à Afek, à l’UGTT aussi, dont le congrès va être absolument vital et déterminant car elle reste un grand facteur de stabilité. Il y a intérêt à les évacuer et les chasser dès la première année. Espérons qu’à l’UTICA le grand ménage suive. Si tout cela arrive, alors nous aurons une véritable planche de salut pour le pays.

Il reste un sujet que nous n’avons pas abordé. Il s’agit de la Nahdha. Comment jugez-vous sa participation dans ce gouvernement ?
D’abord laissez-moi vous dire que le bilan de ce parti est bien facile à établir. Il a été de tous les coups, pour aller au-delà de l’expression « de tous les gouvernements« , depuis le début de tout ce charivari. Je laisse donc à tout un chacun le soin de lui en établir un bilan.
Ceci dit, les dégâts occasionnés au sein de l’administration et au niveau des différentes institutions et qui vont de la simple déstabilisation jusqu’à la destruction des chaînons et édifices est claire aux yeux de tous. Rien qu’à voir le secteur du tourisme, de certains ministères comme celui de l’agriculture et j’en passe. Même la Constitution est minée et mérite une large refonte.
Qu’ils participent au gouvernement est à ce stade une nécessité vitale pour eux, afin de prouver leur patriotisme à leurs électeurs.
Ce qui me chiffonne, cependant, c’est pour quelle raison se contentent-ils, oserai-je dire, de « si peu » ? Sont-ils assurés du reste ? Dans ce cas, qui aurait fourni ces assurances ? Et quelles sont-elles ?

Qu’avez-vous à ajouter en guise de conclusion ?
Il nous appartient d’aider Le chef du gouvernement et son équipe avec un soutien au moins moral. On a peu de rôle à jouer, en tout cas je parle de moi-même sauf si … mais n’y pensons pas.
En ce moment, je pense que ce gouvernement aura les coudées franches pour s’occuper des préoccupations du citoyen. Aucun gouvernement jusque-là, depuis 6 ans, ne s’est intéressé aux préoccupations du citoyen tant au niveau des institutions publiques que dans l’administration.
La valeur « travail« , la valeur « intégrité » en passant par le « rendre compte » des responsables pour pouvoir exiger la pareille des subalternes, etc. tout cela est important et c’est ce qui va mobiliser les forces vives du pays et éveiller le bon sens du citoyen.
Il faut qu’on réussisse. Notre mission reste équivalente à celle de la pharmacovigilance.

 

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