Mahjouba : La forteresse oubliée

Si nous proposions à nos lecteurs d’aller visiter la Kalaat de Mahjouba au pied du djebel Mzita, combien nous demanderaient où se trouve le bourg de Mahjouba ? Nous les invitons, aujourd’hui, à nous accompagner dans une des plus intéressantes de nos promenades.

Aller à Mahjouba

D’abord, regrettons que nos élites actuelles refusent de croire au chemin de fer, pourtant économe en énergie, gros transporteur de marchandises et de voyageurs, pratiquement sans risque d’accident, éventuellement grand consommateur de main d’œuvre peu qualifiée pour son entretien. Elles préfèrent apparemment nous abreuver de centaines de milliards destinés à la construction d’autoroutes sur lesquelles circuleront des milliers de véhicules qu’il faudra importer et qui consommeront, en polluant, des centaines de milliers de litres de carburant que le pays ne produit pas et qui coûtent de plus en plus cher.

Mahjouba est (était) une petite gare où aboutissaient deux voies ferrées : l’une venant de Tunis, l’autre de Gafsa et de plus loin encore : de Redeyef, de Henchir Souatir. Le train continuait jusqu’au Kef Rebiba / Kalaat Esnan.

Naguère, on faisait le tour de la Tunisie : de Bizerte à Sfax, Gafsa, Kasserine et Le Kef, d’où on revenait à Tunis pour aller à Jendouba et Tabarka à bon marché.

Les « coloniaux », qui n’étaient pas des philanthropes, les avaient construites pour amener les produits de l’ouest : les régions « abandonnées », aux ports d’exportation de l’est. Il suffirait de les réparer pour « désenclaver » – à bon marché : le train n’est pas cher ! – l’ouest tunisien.

Bref, on peut toujours rêver ! Mahjouba, donc se trouve au sud du Kef. Après Tajerouine ou Jérissa, on est obligé de voir, dans un nuage de poussière, la cimenterie El Klil. Quel beau nom pour une énorme source de pollution !

Au carrefour, on emprunte la route de Kalaat Esnan et presque aussitôt on bifurque vers la gauche, dans une voie, tantôt route tantôt grande piste, suivant l’humeur ou la conscience professionnelle des « cantonniers », mais toujours très carrossable. Un peu avant le bourg de Mahjouba, après avoir traversé, dans un cassis profond, l’oued Sarrath, on prend une grande piste à droite, très carrossable aussi qui mène à Tituli antique et à une grande source captée, dont l’eau glacée est une bénédiction après une randonnée au grand soleil, dans les collines voisines, couvertes de dolmens et, si l’on veut, jusqu’au sommet du djebel Mzita (1000 mètres d’altitude – 400 mètres de dénivelé sur 2,5 kilomètres).

Attention, à la déception : de loin, d’énormes mégalithes semblent dressées sur la crête. En arrivant, on constate que ce sont des rochers naturels. Pour se consoler, on peut essayer d’atteindre, 2 ≈ 3 kilomètres plus loin, un des sommets du djebel Bou Hafna voisin, le long de l’oued Bou Salah.

Jusqu’à cette altitude, les archéologues ont découvert des vestiges antiques tout autour d’un des sanctuaires consacrés à Sidi Bou Ghanem. Il y en a plusieurs dans la région. Ils voisinent avec les oratoires consacrés à Lella Aïcha et Lella Ftima. Les femmes étaient respectées à cette époque et nous nous promenons dans 3000 ans d’histoire, au moins .

Tituli

Là, tout près de la source et d’un très curieux sanctuaire local, construit à l’aide de blocs et de colonnes « empruntés » au site antique, Tituli berbéro-romaine pose un problème aux chercheurs.

Une découverte épigraphique récente permet de dire qu’une « civitas titulitana » existait. Il semble donc qu’après avoir été un « castellum » : un fort sans structures municipales, Tituli ait été promue « civitas » dotée d’institutions municipales. Tituli faisait-elle partie du territoire : la « Pertica » du Kef / Cirta – Sicca Veneria ou était-elle rattachée à Haïdra / Ammaedara, M’deïna / Althiburos ou Thala ?

Toujours est-il que c’est aux alentours de Tituli, qu’on a découvert une borne du territoire des Musulames. Révoltée contre les Romains, de 17 à 24 de notre ère, cette tribu commandée par Tacfarinas était alliée aux « maures voisins », disent les textes romains. Son territoire s’étendant de part et d’autre de la frontière de Tajerouine, à peu près, jusqu’au sud de Thala. Les voisins Maures vivaient donc dans les Aurès-Nemenchas. Alors, pourquoi Jugurtha, un siècle avant, aurait-il dû aller les chercher jusqu’au Maroc ? Quand Tacfarinas « razzie » la « pertica » de Cirta, il pille certainement celle de Cirta / Le Kef et non les alentours de Cirta / Qsentina situés à 150 kilomètres de son territoire. Quand il se suicide plutôt que d’être capturé au combat d’Aubuzza, n’est-ce pas à Jezza toute proche ?

La kalaat

Les promeneurs curieux, après avoir examiné le « sanctuaire musulman » situé tout près de la source, seront sûrement attirés par les monolithes qui jonchent la pente qui le domine. Ils seront surpris de constater que, manifestement, ils ont été taillés par des hommes et se demanderont à quoi ils pouvaient bien servir.

Un peu plus haut, masquée par les falaises qui couronne le djebel Meza, s’ouvre une entrée qui conserve encore deux montants mégalithiques d’une « porte ». Des « allées » sont jonchées de tessons de poterie de diverses époques. Sans nous attarder, nous en avons vu datant du IIIe siècle après J.C. : de la céramique à engobe rouge et « pastillée » et d’autres, à vernis vert, manifestement d’époque arabe. Des gens ont donc vécu là, durant des siècles, dans des bâtiments qui forment des « îlots » le long des allées. Un peu plus avant vers l’ouest, là où la falaise est moins haute, un mur constitué d’énormes mégalithes empilés sans ciment défend l’accès de l’agglomération. La technique de construction semble bien être numide, disons berbère et protohistorique.

Regrets

Pourquoi personne ne semble vouloir s’intéresser, au moins, à ce site dans une région qui semble bien délaissée, abandonnée et non pas défavorisée.

On est là, au cœur de l’Histoire du pays. La « Table de Jugurtha », un des « Résistants » autochtone, précédant Tacfarinas, Koceila, La Kahéna et Sidi Ali Ben Khélifa, se dresse à deux pas.

Le Kef, la ville musée, la capitale de la Numidie, tient compagnie à Tajerouine au nom berbère, à Dahmani héritière des Arabes, à M’deïna / Althiburos, où l’on aurait trouvé des traces de la métallurgie du fer antérieures à la fondation de Carthage. Si Haïdra / Ammaedara nous parle de la Légion romaine, Thala nous rappelle toutes les révoltes des Frechich : les Fersex des romains : bons soldats mais indisciplinés, disent-ils. A Thala se tient le festival du cheval barbe pour ne pas dire berbère qui rappelle la gloire de la cavalerie numide.

Al Orbus / Lorbeus n’était-elle pas plus prospère que Le Kef au Moyen-âge ? Le Kbour Klib n’est-il pas un des deux seuls vestiges de l’architecture monumentale berbère ? Les mégalithes d’Ellès ne sont-ils pas les seuls dans le monde à être des « dolmens à portique » ? Sakiet Sidi Youssef n’a-t-elle pas été bombardée au nom de l’Indépendance du pays, ces dernières années ?

Il faut vite emmener les « jeunes » – et les autres ! – dans ces régions méconnues pour qu’ils connaissent la « 2e jambe » du pays : celle de l’ouest, celle des céréales et des mines, celle des curiosités géologiques : grottes, diapirs, synclinaux perchés, des singularités naturelles : parcs naturels classés réserves mondiales de biosphère, des populations, des artisanats, des folklores, des gastronomies exceptionnelles et vivaces mais surtout pour qu’ils apprennent l’histoire du pays. Un peuple sans Histoire, sans passé, ne comprend pas son présent, héritier des grandes civilisations méditerranéennes et ne se perçoit pas d’avenir : un pays trait d’union entre trois continents : autant africain d’origine, qu’européen par influence et asiatique par l’apport sémite.

Par Alix Martin

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