Mais, d’où vient l’inflation ?

La résurgence de l’inflation après des décennies d’accalmie dans le monde a fait couler beaucoup d’encre. Hommes politiques, économistes et experts ont cherché à comprendre les origines de cette inflation. L’analyse des origines de l’inflation est importante dans la mesure où elle nous permet de mieux définir les remèdes et les politiques économiques à mettre en place pour la juguler. L’analyse des origines de l’inflation a connu plusieurs lectures différentes et parfois même contradictoires chez les économistes et dans les grandes théories économiques. Mais, le point de convergence en dépit des différences concerne les rapports entre les poussées inflationnistes et les grandes périodes de turbulences historiques qui contribuent à leurs dynamiques et à leurs évolutions. Les études de l’histoire économique réalisées par un grand nombre d’historiens ont montré la forte corrélation entre les périodes de grande inflation et, dans l’histoire moderne, les grandes tensions dans les relations internationales, particulièrement les grandes guerres qui ont fortement contribué à la déstabilisation des marchés mondiaux et au renversement des grands circuits de distribution. Ainsi, l’historien français Michel Pierre Chelini met-il l’accent sur trois grandes phases inflationnistes dans l’histoire contemporaine qui étaient liées à de grands conflits et de grandes guerres. La première phase couvre la période allant de 1914 à 1926 et a été fortement influencée par la Première Guerre mondiale qui a été à l’origine d’une grande destruction des économies européennes et d’un recul sans précédent du commerce international. La seconde phase inflationniste de l’économie mondiale couvre la période allant de 1936 à 1952 où les prix ont connu une envolée sans précédent qui a atteint 25 fois comme c’était le cas en France. Comme pour la première, cette seconde phase est le résultat du grand désordre mondial, de l’entrée de l’économie mondiale dans la Seconde Guerre mondiale, de la grande destruction de l’économie, de la rupture des flux de commerce international et du développement de la contrebande dans les grands pays dévastés par la guerre. La troisième grande phase inflationniste qui a porté sur la période allant de 1970 à 1986 a été marquée par deux grandes guerres : celle du conflit arabo-israélien et la guerre de 1973 et l’embargo mis en place par les pays de l’OPEP, et la guerre entre l’Iran et l’Irak qui a commencé en 1980 après la révolution islamique. Ainsi, les guerres et les conflits jouent un important rôle dans l’accélération de l’inflation et dans l’accroissement rapide des prix au sein de l’économie mondiale. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les tensions politiques et stratégiques que nous traversons ont joué comme dans les autres phases un rôle important dans la résurgence de l’inflation mondiale. Ce conflit a fortement contribué à la forte hausse des prix de l’énergie comme le pétrole et le gaz, et des prix des produits et des matières premières agricoles ainsi qu’à la forte disruption des marchés et la rareté des produits exportés par ces deux pays. Mais, parallèlement aux guerres et aux conflits, d’autres facteurs ont joué un rôle important dans ce déséquilibre croissant entre l’offre et la demande mondiales, ce qui va contribuer à l’accélération de l’inflation au cours de la période actuelle et à cette grande instabilité du monde. Du point de vue de l’offre, on peut souligner deux évolutions essentielles qui ont concouru à son recul et à ce que les économistes appellent « un choc d’offre ». La première concerne la crise de la globalisation et la déstabilisation des grandes chaînes de valeur globales suite à la pandémie de la Covid-19 et aux périodes de confinement qu’ont connues tous les pays du monde ce qui a ébranlé la distribution globale de la production et a créé une situation de rareté qui a touché la consommation mais surtout un grand nombre de secteurs économiques. La crise de la globalisation a poussé la plupart des pays du monde à fonder une nouvelle organisation de l’économie-monde basée sur les chaînes de valeur régionales. Mais, cette nouvelle organisation de l’économie mondiale n’a pas encore dépassé le stade de l’expérimentation, ce qui a entraîné une perpétuation de la crise de l’offre. La seconde grande évolution qui a pesé sur le choc de l’offre concerne le changement climatique et ses conséquences sur l’économie. En effet, notre monde a connu au cours des deux dernières années un accroissement du nombre d’inondations, d’incendies, de tsunamis et des sécheresses qui ont eu des effets sur la situation économique, particulièrement sur les productions industrielle et agricole et les circuits de distribution, ce qui a eu des effets négatifs sur l’offre mondiale. En dépit du recul de l’offre, le niveau de la demande mondiale est resté élevé, ce qui a été à l’origine d’un déséquilibre important sur les grands marchés mondiaux. Les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes mises en place pour aider les économies à sortir des effets récessionnistes de la pandémie de la Covid-19 sont à l’origine du maintien de la demande à des niveaux très élevés sur les marchés mondiaux. L’ensemble de ces facteurs politiques et économiques a joué un rôle important dans la montée de la stagflation que nous connaissons aujourd’hui et qui constitue une menace importante pour la stabilité de l’ordre du monde. Mais, la discussion sur les origines est implorante dans la mesure où elle va déterminer la nature des politiques à mettre en place pour la juguler. Et, la question qu’on devrait se poser concerne la capacité des changements de politique monétaire, particulièrement leur caractère restrictif : celui-ci serait-il en mesure de régler le choc de l’offre ? 

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