Le gouvernement vient de décider l’augmentation du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 6% à partir du mois de mai. Une décision concertée digne de louanges à vrai dire, parce qu’elle intervient au moment où le coût de la vie a bien renchéri et le pouvoir d’achat surtout pour les catégories à bas revenus et démunies, s’est beaucoup érodé.
Cet acte, faut-il le rappeler, s’inscrit dans le cadre du démarrage des négociations sociales et l’activation du dialogue entre le gouvernement et la Centrale sur le travail précaire, les ouvriers des chantiers, l’enseignement pour adultes et les fichés par la Police.
Dans ce sillon, les deux partenaires sociaux ont convenu, selon un accord-cadre, d’entamer de nouvelles négociations dans le secteur public pour les années 2017, 2018 et 2019, lesquelles négociations déboucheraient, selon toute vraisemblance, sur une nouvelle hausse des salaires des agents publics. Dans un cas pareil, comment serait-il possible d’offrir un « matelas de confort » à des finances publiques chancelantes et de boucler un projet de loi de Finances qui s’annonce a priori non moins délicat que les exercices antérieurs ?
De l’utilité de la revalorisation du salaire minimum
A travers le salaire minimum, le gouvernement définit une « norme de plancher salarial » et les salariés se voient disposer d’un certain pouvoir de négociation. Une augmentation structurelle permet d’améliorer la situation des bas salaires et d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs rémunérés au minimum légal. Pour ces raisons, un grand nombre de pays dispose du salaire minimum.
Les augmentations quasi régulières durant les dernières années du salaire minimum en Tunisie ont certes permis pour le moins de préserver relativement les conditions de vie de plusieurs milliers de personnes qui se rémunèrent à ce prix du travail, jouant ainsi un rôle d’amortisseur de chocs sur le niveau de vie.
Cependant, et en dépit des efforts de revalorisation déployés par les partenaires sociaux à cet égard, le niveau du salaire minimum paraît insuffisant en Tunisie, que ce soit en comparaison au seuil de risque de pauvreté, par rapport au niveau du salaire moyen dans l’économie ou en termes du « budget de référence » pour avoir une vie décente au vu du coût de la vie actuel.
Du coup, faire évoluer le salaire minimum conformément au niveau de vie moyen de la population et empêcher une aggravation des inégalités de revenu, sont impératifs. En même temps, il est question de préciser que la revalorisation du salaire minimum est une équation économiquement complexe. Plusieurs études sur un nombre de pays ont bien montré que le niveau, la logique et la structure du salaire minimum devraient être soigneusement analysés pour éviter les effets pervers du salaire minimum en termes de chômage, de pauvreté et d’inégalités.
En effet, un salaire minimum fixé par l’Etat d’une manière rigide et uniforme sans tenir compte des secteurs économiques, des qualifications des travailleurs et des réalités des régions, d’une part, et une barre placée trop haut en prétendant protéger les personnes touchant un bas salaire, d’autre part, ne sont guère productifs et favorables à l’emploi et à l’insertion socioprofessionnelle. En réalité, un niveau de salaire minimum trop élevé et uniforme pourrait être un frein à l’embauche et des risques accrus d’exclusion du marché de travail. Sur un marché de travail plus concurrentiel, les entreprises, à un tarif élevé de salaire minimum, ont tendance à préférer des travailleurs plus expérimentés parce qu’un employeur ne peut embaucher une personne que si le produit de son travail a plus de valeur que le salaire qu’il doit lui verser. Du coup, les employés sans formation ou peu qualifiés, les jeunes en début de carrière, les femmes qui recommencent à travailler après s’être occupées des enfants, ainsi que les chômeurs en seront les premières victimes. L’exclusion se fait ainsi au détriment des travailleurs les moins productifs qui auraient plus de peine à trouver un emploi. Le salaire minimum est créateur de chômage au-delà d’un certain seuil et selon certaines conditions qui méritent étude et considération.
Mais au-delà de ces considérations, et en l’état actuel des choses en Tunisie, et vu les contraintes que subissent aussi bien les finances publiques que les entreprises, il serait vain d’alourdir la facture et grever lourdement l’économie du pays par des majorations salariales globales.
De l’inefficacité d’une majoration globale des salaires
Avec une masse salariale qui bouffe près de 42% du budget de l’Etat et représente 15% du PIB d’une part, et un faible niveau de salaire corrigé de la productivité aux dépens de la rentabilité des entreprises et de la maîtrise des prix d’autre part, il serait inapproprié de concevoir une nouvelle augmentation de salaires notamment dans le secteur public sous prétexte de préservation du pouvoir d’achat.
En effet, s’il est légitime que les fonctionnaires cherchent à améliorer leurs revenus et préserver leur pouvoir d’achat, la situation de l’économie en général et des finances publiques en particulier ne permettent pas, par malheur, un surcroît des dépenses de fonctionnement à rentabilité réduite. Tout d’abord, la renonciation à une augmentation générale de salaires permet de trouver les ressources pour combler le coût budgétaire des nouvelles majorations du SMIG. Ensuite, l’Etat aura de quoi financer les dépenses de compensation des produits de base et surtout les dépenses d’infrastructures et d’équipements collectifs nécessaires à l’amélioration des conditions de vie dans les régions défavorisées mais surtout par l’amenuisement des opportunités de création d’emploi. Enfin, un rehaussement de salaires dans une conjoncture encore difficile ne pourrait qu’alimenter davantage l’inflation au risque d’entraîner l’économie dans un cercle vicieux.
Ne faut-il pas oublier par ailleurs, que le gouvernement s’est déjà engagé à ne pas décréter des augmentations d’impôt sur les entreprises en 2019. Une moindre charge fiscale associée à une augmentation de dépenses publiques, pourrait-elle être favorable à la maîtrise exigée des comptes publics si ce n’est que de l’incohérence et de la pure « démagogie » ? Quel sera ainsi le vrai coût de la paix sociale ?
Loin des thérapeutiques libérales ou des recommandations du Fonds monétaire international, l’idée de renoncer à de nouvelles augmentations générales des salaires dans le secteur public ne peut que servir de nouveau jalon s’ajoutant au rôle patriotique de la Centrale syndicale et raffermir par-là, la philosophie de concertation et de dialogue pacifique régissant les rapports sociaux dans notre pays.L’heure est venue pour que toutes les parties fassent leur choix mais sans commettre des erreurs. Parvenir à un accord sur la majoration du SMIG aux fins du social, c’est être dans le vrai. Autrement, c’est faire la culbute !
Alaya Becheikh