Manipulations, calculs et intox

En voulant prendre tout le monde de court, créer un choc positif et accélérer le processus de changement à travers son initiative de formation d’un gouvernement d’union nationale, Beji Caid Essebsi, semble être pris dans les mailles de son propre filet.

Alors que le diagnostic sans appel qu’il a dressé de la situation politique, sécuritaire, économique et sociale, nécessite une réaction immédiate de toutes les forces politiques et sociales du pays, on a eu droit, deux semaines durant, à un véritable imbroglio avec son corollaire de manipulations, de manœuvres, de brouillage et d’intox.

On s’est aperçu après coup, que le scénario concocté, presque en catimini, était loin d’être parfait. Plusieurs failles ont révélé qu’on n’a pas tenu compte de certaines situations imprévisibles inhérentes à la complexité du contexte et des calculs peu glorieux de certains partis politiques, y compris de la coalition au pouvoir, et des organisations nationales, qui ont préféré la fuite en avant que de se résigner aux exigences d’une réalité annonciatrice de tous les périls.

A l’évidence, l’initiative qui est censée arrêter la spirale infernale qui n’a cessé de mener le pays depuis cinq ans vers l’inconnu, a été, pour de nombreuses parties, une occasion propice pour imposer des choix et orientations, remettre en cause des réformes mises en œuvre, régler des comptes avec  leurs adversaires politiques, s’adonner à un jeu d’influence aux desseins peu clairs et semer le doute à l’effet de faire perdurer le statu quo.

Béji Caid Essebsi, qui n’a cessé de rappeler qu’il est le garant du respect de la Constitution et d’élargir ses concertations pour parvenir à un compromis qui le ferait sortir du dilemme dans lequel il s’est empêtré, s’est résigné à revoir sa copie et à donner du temps au temps. Comment parvenir à faire bouger les choses et à changer de cap dans un terrain miné, où coups bas, calculs partisans, règlements de compte  et guerres de positionnement faussent tout ?

Il a fini par mesurer toute la difficulté de susciter un consensus large de toutes les forces politiques,  dont certaines ne lui sont pas totalement acquises, d’établir une feuille de route, un programme pour le prochain gouvernement et de choisir un successeur à Habib Essid.

Même si tout le monde a souscrit formellement à son initiative, tous ont fini par poser des conditions, dont certaines sont impossibles à satisfaire, s’agissant notamment des priorités pour la prochaine étape, de la composition du gouvernement ou des engagements à prendre pour apaiser la situation sociale.

Surpris et poussé sans ménagement à la porte de sortie, Habib Essid a donné du fil à retordre au président de la République qui a cru à tort le Chef du gouvernement qu’il a choisi à l’envers et contre la volonté des dirigeants de Nidaa Tounes allait obtempérer en présentant, sans conditions, sa démission. En faisant de la résistance, Habib Essid,  à la faveur de l’appui implicite d’Ennahdha et de l’amateurisme du  porte-parole du gouvernement, a fait éclater au grand jour son désaccord avec Béji Caid Essebsi.

L’autre couac vient de la discordance de la coalition au pouvoir qui montre une unité de façade où chacun  cache son jeu et adopte un double langage. Si Nidaa Tounes, Afek et l’UPL sont d’accord pour qu’Habib Essid parte, il n’en demeure pas moins qu’ils agissent en rang dispersé et nourrissent des ambitions inavouées. 

Ennahdha, en revanche, tout en déclarant son soutien à l’initiative présidentielle, n’a pas daigné réclamer,  haut et fort, son droit à être mieux représentée au prochain gouvernement, en se prévalant de son statut de premier groupe parlementaire et en ne cachant pas son souhait de voir la primature revenir à Habib Essid.

Enfin, l’UGTT tout en ne cessant d’affirmer son désintérêt pour participer au gouvernement, fait tout pour imposer ses choix, influencer les prochaines nominations et même revoir les priorités nationales, sans pour autant être prête à donner un blanc-seing pour le prochain gouvernement.

En attendant l’épilogue de ce processus avant fin Ramadan, on va devoir supporter encore deux semaines de longues tractations tendues, de nouveaux marchandages sur les postes ministériels à pourvoir à chaque parti et des spéculations interminables sur le nom du prochain locataire du palais de la Kasbah. On se souciera, par contre,  peu de la qualité du virage que le pays devrait prendre pour relever les défis, les engagements qui devraient être pris pour favoriser un redémarrage de l’activité économique et un raffermissement de la paix sociale et les sacrifices à consentir pour que l’expérience démocratique inédite de la Tunisie se renforce et s’épanouisse.

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