Mariages entre jeunes tunisiens et Européennes âgées : « Ramasse ta carte de séjour »

C’est l’histoire d’un jeune tunisien, fauché et chômeur qui parvient à draguer puis à épouser une touriste française, aussi âgée que (relativement) riche… Il part vivre avec elle en France et revient au pays l’été suivant pour les vacances. Passant devant un café, sa vieille épouse trébuche et tombe par terre et l’un des jeunes attablés sur la terrasse lui lance : « ramasse ta carte de séjour, elle est tombée ! »

Cette blague est une illustration de ce que vivent de nombreux jeunes sans emploi, sans avenir et sans illusions. Ils sont obligés de se vendre, de sacrifier leur jeunesse et leur  énergie à des femmes âgées, souvent victimes de cette terrible solitude que l’on rencontre souvent en Europe, où le sens de la famille s’est perdu dans les méandres de la modernité.

Au cours de notre enquête, nous avons rencontré quelques uns de ces couples et leurs propos sont clairs, parfois inattendus : c’est un contrat, un marché donnant, donnant où les deux partenaires sont gagnants. Geneviève, 63 ans, est mariée à un jeune tunisien de 27 ans et elle ne semble pas gênée par la situation ou par le regard des passants.

Famille décomposée

Elle nous déclare : « mon mari est décédé, mes deux enfants ont grandi et ne se souviennent de mon existence que lors des fêtes de Noël, mes amies se sont exilées hors de Paris. Résultat : je me suis retrouvée seule, avec des journées interminables devant la télé et de rares visites au supermarché du coin… »

Son jeune époux semble à priori serein, mais lorsque l’on creuse un peu, il montre une certaine réticence à répondre à nos questions. Et ce n’est que lorsque sa femme quitte la pièce qu’il nous confie : « j’ai quitté l’école très tôt car ma famille était très pauvre et j’ai été obligé de travailler avec mon oncle sur les chantiers, souvent loin de chez moi… »

De consistance fragile, il ne supporte pas ce travail harassant et il réussi à se faire engager comme aide cuisinier dans un hôtel de Hammamet. « C’est là que le hasard m’a permis de rencontrer ma femme, venue en touriste.

Au début, c’était une relation amicale, je lui rendais de petits services. Nos rapports ont évolué peu à peu et on a fini par faire l’amour. Puis, avec le temps, nous avons décidé de vivre ensemble mais hors de la Tunisie, car la pression familiale et sociale y est trop forte. »

En fait, c’est le regard que la société bien pensante porte, des deux côtés de la Méditerranée d’ailleurs, sur ces couples hors normes, qui les dérange, qui leur empoisonne la vie. Corinne, soixante ans, veuve depuis peu de temps, affirme : « mon mari est moi sommes complémentaires. Il a l’énergie de la jeunesse, et moi la sagesse et l’expérience. Nous ne sommes pas différents et nous ne nous sentons pas anormaux. »

Chacun semble avoir trouvé sa voie, même si c’est à contrecœur, par intérêt ou par désespoir…  Une demoiselle a tenu d’ailleurs à apporter son témoignage sur cette situation : « si la différence d’âge est trop grande, ce genre de relation est rarement sincère. C’est un rapport essentiellement basé sur l’intérêt matériel et sexuel. Ces vieilles femmes désespérées veulent acheter des moments de plaisir et de jeunesse auprès d´un jeune désespéré. Il y a trop de misère morale d’un côté et matérielle de l’autre et je ne suis pas sûre que les deux partenaires gagnent dans cet échange… Mais je reste choquée par ces femmes mûres qui se baladent main dans la main avec un gosse qui a l’âge de leurs fils ! »

Pannes sexuelles

Nombre de ces jeunes hommes nous ont confié que c’est au lit, lors des rapports sexuels, que les choses sont les plus pénibles. Mohsen, la trentaine, marié à une dame de soixante dix ans depuis quelques mois, reconnait avoir des difficultés au moment de faire l’amour, qu’il appelle « des rapports sexuels non désirés » ! Il raconte leur rencontre : « j’avais un petit commerce dans les souks, mais avec après la Révolution et la raréfaction des touristes, je ne gagnais plus rien et je commençais sérieusement à penser à l’émigration au Canada. Mais un jour, celle qui est devenue ma femme est entrée dans le magasin et ma vie a changé… »

Cette dame prénommée Monique, a été immédiatement attirée par son charme oriental. Elle est tombée amoureuse de lui et elle a tout fait pour le séduire : cadeaux, promesses de vie meilleure, de bonheur permanent… Il s’est alors laissé embarquer dans cette aventure et s’est retrouvé dans une petite ville au nord de la France où il fait froid toute l’année. Revenant à ses problèmes sexuels, il avoue avec une certaine gêne : « jusque-là, je n’avais aucun problème sexuel, mais avec elle, j’ai souvent des pannes et des problèmes d’érection. Son corps fané ne m’attire pas et je ressens ses baisers comme une punition… »

Un autre jeune homme, marié à une dame belge, nous confie ses rêves de jeunesse : « moi je rêvais d’épouser une fille jeune et belle, en robe blanche, avec du henné sur les mains et qui serait vierge. Elle m’aurait donné de beaux enfants et nous aurions vieilli ensemble, partageant les moments heureux et les périodes difficiles… »

Sur un ton désespéré, il ajoute : « bien sûr je ne suis plus dans la misère, mais la vie m’a privé de ces petits bonheurs qui rendent la vie agréable. Je n’aurais jamais d’enfants, je ne réaliserais jamais mes rêves, je vivrais toujours frustré en voyant tous ces enfants dans les jardins publics, toutes ces belles jeunes filles dans les rues… »

  Un psychologue nous confirmera que la situation de ces jeunes « peut créer un sentiment de frustration dû au décalage entre leurs rêves et leur réalité, entre leurs ambitions et leur quotidien. Ce sentiment d’insatisfaction peut évoluer négativement sous le regard critique de la société, pour engendrer la révolte et même la violence. C’est une situation très inconfortable… »

Pour les dames âgées le psychologue estime qu’elles sont « à la recherche du temps perdu, de leur jeunesse mal vécue. Souvent, elles ont besoin d’attention et d’une forme de tendresse et pas forcément de rapports sexuels. Alors elles utilisent l’argent comme une carotte pour s’attirer les faveurs d’un jeune déchu par la vie, dépossédé de moyens d’existence. Elles sont différentes des femmes couguars, qui sont des collectionneuses d’hommes jeunes et inexpérimentés… »

De l’autre côté de la Méditerranée, les choses ne sont pas toujours faciles pour ces couples. Les femmes sont mal vues, elles subissent le racisme dont est souvent victime leur compagnon. Les jeunes hommes vivent mal les aléas du climat, l’éloignement de leur environnement familial et bien sûr la pression sociale. Une pression qui peut être administrative, comme ce qu’a vécu Anouar, 27 ans, pourtant ayant un bon niveau scolaire, mais chômeur depuis plus de six ans.

Il raconte ses déboires, sa femme et lui pour s’installer en France : « contrairement à ce que je pensais, obtenir des papiers français, une carte de séjour, n’a pas été chose facile. Le maire de la petite ville où nous avions atterri était convaincu d’avoir affaire à un mariage blanc et il a fallu passer par un avocat pour régulariser notre situation ! »

Au bout de notre enquête, nous avons tenu à connaitre l’avis de la maman de l’un de ces jeunes. Avec cette sagesse qui caractérise les femmes de la campagne, elle nous a affirmé : « la terre de Dieu est grande. Si son destin c’est de vivre dans un autre pays, qu’il parte. Mais cette vieille femme, je ne l’aime pas car elle ne me donnera jamais de petits enfants ! Mon fils mérite mieux… »

Yasser Maârouf

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