Maroc : « Derrière l’affaire des visas, une mini-guerre froide »

La décision est tombée comme un couperet. Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a annoncé mardi dernier le durcissement des conditions d’octroi des visas français aux Marocains, aux Algériens et aux Tunisiens. En effet, Paris a expliqué cette décision par le « refus » des pays concernés de délivrer des laissez-passer consulaires à leurs citoyens refoulés de France.
Un vrai coup de tonnerre que cette décision française de durcir les conditions d’octroi des visas dans les pays du Maghreb. Pour les familles, mais aussi pour la coopération entre la France et le Maroc. De quoi comprendre que le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, qui a réagi quelques heures seulement après l’annonce de cette décision, ait qualifié celle-ci d’« injustifiée ». Admettant sa dimension souveraine, la diplomatie marocaine a délivré une analyse qui tend à considérer qu’elle découle d’un problème franco-français.
*La corrélation entre présidentielle et question migratoire
Les restrictions concerneront donc principalement « les milieux dirigeants, premiers responsables de cette situation », rapporte l’hebdomadaire TelQuel, qui a réussi à contacter le ministère de l’Intérieur en France. « Quand Paris se fâche, il vous prive de visa ! » souligne le quotidien marocain Libération, qui a recueilli l’avis d’un universitaire et chercheur en migration. « Il faut lier cette action à l’approche de l’élection présidentielle en France et à l’importance que veut accorder Emmanuel Macron à la question de la migration, étant souvent interpellé sur ce dossier par le Rassemblement national et, de plus en plus, par le polémiste et probable futur candidat aux élections présidentielles Éric Zemmour », souligne Abdelkrim Belguendouz. Il y voit aussi un moyen d’exercer des pressions sur les gouvernements des pays concernés pour « accélérer le retour des migrants irréguliers vers leurs pays d’origine ».
*Un signal fort, un moyen de pression
Autre explication : la volonté d’envoyer « un signal fort aux autres membres de l’Union européenne de la part d’un État qui va assurer, du 1er janvier au 30 juin 2022, la présidence du Conseil de l’Union européenne ». Et de noter d’ailleurs qu’Emmanuel Macron avait déjà plaidé, en juin 2020, pour une meilleure efficacité des expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Rapportant les propos du chercheur en migration, Libération pointe du doigt la politique migratoire de l’UE qui fait de la réadmission « un moyen de pression et une mesure centrale de cette politique comme en atteste le projet du pacte européen en matière de migration et d’asile ».
*Maladresse
« La France utilise finalement, et très maladroitement, son arme du visa… » C’est ainsi que titre son article le directeur de publication du site PanoraPost.com. Aziz Boucetta considère que la France vient de dire officiellement ce qu’elle fait « officieusement » depuis plusieurs mois. Son jugement sur la déclaration du porte-parole du gouvernement français sur Europe 1 : « Très peu habile, voire puérile, et certainement inutile. » Et de préciser que le Maroc reçoit ses ressortissants concernés par les OQTF (obligation de quitter le territoire français) mais émet de « légitimes réserves » sur les autres nationalités.
*« Une mini-guerre froide »
Cette décision ne serait toutefois que la partie émergée de l’iceberg puisque cet éditorialiste y voit d’autres enjeux. Outre l’approche de l’élection présidentielle, Aziz Boucetta avance que « le gouvernement de la France et de Macron n’a jamais admis la grande bascule géopolitique et géoéconomique engagée par le Maroc depuis plusieurs années, et plus spectaculairement depuis le 10 décembre 2020, jour de la reprise des relations avec Israël et de la reconnaissance américaine de l’intégrité territoriale marocaine. Cette bascule est mise à mal par une politique française faite de manipulation et de dissimulation ». Et d’assommer : « La lune de miel entamée entre Londres et Rabat perturbe aussi le confort français au Maroc. »
Pour toutes ces raisons précitées, « une mini-guerre froide oppose Paris à Rabat, à fleurets mouchetés, certes, mais de plus en plus sanguinolents », lit-on sur PanoraPost.com. Qualifiant cet acte de « très inamical » et, encore plus, « irrespectueux », Aziz Boucetta rappelle qu’en juillet « une très violente offensive du service public français a été menée contre le Maroc dans l’affaire Pegasus qui a, entre-temps, fait pschitt (sauf concernant la plainte engagée par le Maroc contre ses accusateurs) ». Et de signaler, selon ses mots, « l’aussi fameux que fumeux documentaire à charge contre le groupe OCP, réalisé par la société Première Ligne, qu’on retrouve très étrangement dans l’affaire Pegasus ».
*L’Afrique, un plat de présidentielle française
Le motif de la prochaine présidentielle revient par ailleurs avec insistance dans l’interprétation des faits par les médias marocains. En effet, le son de cloche de Samir Chaouki, analyste en économie et en géopolitique, est le même. Dans sa chronique qu’on retrouve sur les colonnes de Médias24, cet analyste qualifie l’Afrique de « plat préféré des présidentielles françaises », et constate que les débats des prochaines présidentielles sont largement dominés par « les questions d’identité et d’immigration ».
*Attention à l’effet boomerang
Pour l’auteur de cette chronique, cette tendance à « la radicalisation » pourrait impacter les intérêts de l’État français, qui risque de « perdre davantage pied » en Afrique, au profit de pays comme la Chine, la Russie ou la Turquie, lesquels commencent à investir au Maghreb et en Afrique de l’Ouest. Les menaces brandies par Paris seraient de ce fait « une erreur monumentale que même un étudiant en première année de relations internationales ne commettrait pas », fustige-t-il. Et de conclure : « La France des Lumières et de la Déclaration universelle des droits de l’homme en prend un sacré coup. La Françafrique et la francophonie ne sont pas en reste. »
*Condamnation unanime
Et l’ire contre la décision française de se poursuivre dans les colonnes du site d’information Le360. Celui-ci évoque une mesure dictée par « un sentiment de peur face au discours haineux et raciste ainsi qu’à la zemmourisation du débat public et de la campagne électorale en France ». Lors d’un entretien accordé à un conseiller élu des Français de l’étranger, le support marocain est revenu sur l’impact de cette décision sur les Marocains demandeurs de visas Schengen auprès des consulats de France au Maroc. Abdelghani Youmni, qui est consultant en politiques publiques, a assuré que les visas continueraient à être délivrés « normalement » aux étudiants et aux personnes ayant des maladies chroniques. En revanche, « des interrogations persistent sur les visas kafala et ceux destinés aux regroupements familiaux », tout en rappelant que la décision de réduire le nombre de visas accordés au Maroc va durer juste six mois, jusqu’à l’élection présidentielle. Et le conseiller consulaire de souligner que, depuis la pandémie, très peu de Marocains demandent des visas pour autre chose que le travail. Une manière de rassurer sur l’impact de la décision française ?
(Le Point)

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