L’Histoire arabe n’a point connu un épisode plus sombre que celui que nous vivons aujourd’hui. À chaque période de décadence et de recul grave, c’était la voix de la raison qui se faufilait à travers les décombres pour insuffler l’espoir dans les cœurs et redonner confiance aux âmes. Chaque chute était irrémédiablement suivie d’un réveil.
Une civilisation ne meurt jamais. Quand tout sera détruit et dévasté, il y aura toujours cette lueur d’espoir qui brillera du fond de l’horizon pour démentir les mauvais présages des détracteurs et entretenir l’espoir d’une renaissance. Ainsi, Ibn Khaldoun, Averroès, El Idrissi, Kheireddine, El Afghani, Mohamed Abdou, Tahar El Haddad, par exemple, ont su émerger des bas-fonds de la décadence. Tous étaient témoins du recul de leur nation arabe et de l’éclipse de son soleil. Mais, ils n’ont jamais porté les camisoles du passé. Ils n’ont jamais cherché refuge dans les fossés du suicide intellectuel. Au contraire, ils n’ont pas cessé d’élever la voix pour critiquer, honnêtement, les situations de leurs pays, en appelant à l’éveil et à la marche vers de nouveaux horizons.
Ils représentaient ainsi la conscience de leur nation, la voix qui ne fléchit jamais. Mais aujourd’hui, la conscience des intellectuels arabes s’est relâchée et la voix s’est tue. On leur a substitué les croassements des corbeaux qui entraînent ce qui reste de cette nation arabe vers les ténèbres de la dissolution.
La communauté de ceux qui croassent a éclaté en trois factions rivales : les enturbannés des mensonges qui ne cessent de revendiquer un retour au passé le plus lointain. Les «idiots utiles» en quête de reconnaissance, et enfin les «Arabes de service» qui flirtent avec leurs ennemis et courent à perdre haleine derrière des intérêts bas et mesquins. Telle est donc la situation des «intellectuels» arabes, exception faite d’une infime minorité.
Mais le plus étrange dans tout cela, c’est que ces derniers sont tous devenus des «sages» de leur époque qui usent de tous les moyens en vue de faire passer leurs mensonges. Une fois, il m’a été donné d’écouter sur une chaîne satellitaire arabe inféodée, un de ces «intellectuels arabes de service» tenir les propos suivants à un jeune écrivain attaché à l’espoir de voir la nation se réveiller : «Laissez tomber toutes ces inepties, le train est en marche, et vous n’avez plus qu’à sauter dans le dernier wagon. Autrement, vous êtes condamné à disparaître».
Ceux qui examinent de près ces pseudo-intellectuels plaidant en faveur de la capitulation de la nation tout entière, remarqueront aisément qu’ils font tous partie de la «génération de la défaite», c’est-à-dire cette génération de vaincus dont les multiples déboires ont enterré les espoirs et les rêves. Trahis par les différentes idéologies, ils restaient prisonniers d’un passé douloureux qu’ils abhorrent en attendant l’occasion propice de se libérer de ses griffes. La reddition était selon leurs propres desseins le seul moyen d’oublier les tares de la défaite. Mais voilà que la résistance palestinienne héroïque déjoue leurs petits calculs et apporte la preuve concrète de leur infâme déshonneur. Ainsi, le plus dangereux dans tout cela, c’est la meurtrissure que cette génération de la défaite est condamnée à porter en elle, telle une peau de chagrin, castratrice et paralysante.
174