Médias : Graves errements

 

Avant d’être une exigence de droit, la liberté de la presse est par essence une pratique et un engagement professionnel.
En théorie, la liberté d’expression et le droit du public à l’accès, sans entraves, à une information pertinente et complète participent au renforcement de la vie démocratique. Dans la pratique, nos médias tournent encore le dos à ces valeurs fondamentales, persistant dans leurs errements à l’origine,   aujourd’hui, de la désaffection du public et de sa perte de confiance.
L’affaire de l’interview de l’ex-président provisoire Moncef Marzouki accordée à la chaîne de télévision « Attassiaa », qui a suscité une grande polémique et un débat tendu sur les menaces qui entourent la liberté de la presse dans une démocratie en construction, en a fourni un cas d’école.
Malgré son jeune âge, il faut noter que la chaîne de télévision Attassiaa, n’est pas à sa première bourde. Quelle que soit la qualité des griefs que ses dirigeants ont essayé de présenter dans une sorte d’indécision et de précipitation mal venues, cette chaîne assume pleinement la responsabilité de la non diffusion, dans les délais annoncés, de l’interview de Moncef Marzouki bafouant d’une manière éhontée les règles élémentaires de la déontologie.
En se résignant, après un silence inexpliqué et inexplicable, à reconnaître qu’elle a subi de fortes pressions de la part de conseillers de la présidence de la République et de la présidence du gouvernement, la chaîne en question s’est mise le doigt dans l’œil. A trop vouloir chercher à se cacher derrière des subterfuges fallacieux, elle a administré la preuve de son inaptitude à assumer pleinement ses responsabilités dans un contexte de liberté, voire son incapacité à se prévaloir en tant que média libre et indépendant.
Peut-on donner un quelconque crédit aux propos de son représentant légal, Moez Ben Gharbia, qui n’est pas à sa première bourde ?  il y a presque un an, sa tentative de créer un buzz à travers la publication, dans sa fugue genevoise, d’une vidéo dans laquelle il menace de dévoiler l’identité des assassins de Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et Tarak El Mekki, s’est avérée un pétard mouillé.
Ce qui est triste, c’est que cette nouvelle affaire – quelle que soit la qualité des arguments que chacun a cherché à développer – signe le deuil de la presse en Tunisie. Un secteur fragile, objet de toutes les manipulations politiques et d’instrumentalisation de toutes sortes. Un secteur où les acteurs occultent ou ignorent les exigences professionnelles et éthiques qui sont à la base de ce métier qui supporte mal les supputations farfelues, encore moins les jugements hâtifs ou les affirmations gratuites non vérifiées. En prenant le pli de la facilité et d’une insoutenable légèreté, les journalistes tunisiens, pas tous fort heureusement, effleurent les sujets, ne vérifient pas leurs sources, ne recoupent pas leurs informations et présentent au lecteur une production tronquée,  parcellaire et non crédible. Par leur insouciance, ils donnent raison à leurs détracteurs, à ceux que la liberté de presse dérange, leur offrant l’occasion de les discréditer et montrer leur incapacité à être à la fois professionnels, libres et indépendants.
Tel est le cas à propos de l’affaire de la chaîne « Attassiaa », dont les responsables se sont trouvés prisonniers de leur propre jeu, de leurs propres contradictions. Quand on affirme son attachement indéfectible aux valeurs de la liberté d’expression et d’indépendance, que peut justifier leur décision de différer, sans fournir d’explication et sans présenter des excuses aux téléspectateurs, la diffusion de l’interview de Moncef Marzouki ?
Résultat, le non-événement a fini par défrayer la chronique, délier les langues, susciter des surenchères et des polémiques engendrant, de surcroît, une occasion en or pour des règlements politiques de bas étage entre des rivaux incorrigibles et inconciliables.
En reconnaissant publiquement leur peur de prétendues pressions, en invoquant des arguments contradictoires qu’il sera impossible d’authentifier et en attendant longtemps pour parfaire un mauvais scénario, la chaîne de télévision Attassiaa a franchi toutes les lignes rouges, a bafoué toutes les règles professionnelles. Sa démarche aurait été plus saine, responsable et crédible si ses dirigeants n’avaient pas laissé le champ libre à toutes les spéculations en dénonçant à temps ces agissements, non pas de se contenter de filtrer des messages douteux à travers des comptes Facebook et en ne cédant pas aux pressions qu’ils prétendent avoir subies.
Incontestablement, ce jeune média ne sort pas, encore une fois, grandi de cette épreuve. Dans le contexte particulier que vit notre pays, un média ne peut acquérir de vrais galons que par son professionnalisme, son attachement concret à la liberté d’expression et à son indépendance. C’est l’essence même du combat qui permet à tout média d’être agissant dans la construction de cette jeune démocratie aux prises avec des vents contraires.
Manifestement, les structures professionnelles assument leur part de responsabilité. Ils doivent apprendre à mettre en avant les questions de fond qui permettent aux médias de monter en gamme et d’éviter les discours enflammés et démagogiques qui n’influencent que ceux qui les prononcent.

 

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