Décidément, on va de surprise en surprise avec le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Hier soir, le gouvernement a, en effet, décidé de retirer le projet de loi sur la liberté de la communication audiovisuelle présenté par le gouvernement précédent. Une décision qui a provoqué la colère du SNJT (Syndicat National des Journalistes Tunisiens) et des professionnels du métier. D’ailleurs, un sit-in sera observé ce mardi 20 octobre 2020 à partir de 9h30 devant le second siège de l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple).
Pourtant, la quasi totalité des représentants du secteur médiatique ont travaillé sur le texte : le Syndicat des médias relevant de l’UGTT, le SNJT et d’autres organes représentatifs de la presse et des médias. Pour plusieurs observateurs, Hichem Mechichi a clairement affiché une position hostile à la presse libre, d’autant plus que le retrait du projet de loi sur la liberté de la communication audiovisuelle ouvre la voie à la proposition d’amendement du décret-loi 116 – proposée par Al Karama – dont l’examen sera effectuée ce mardi 20 octobre 2020 en plénière. Pis encore : cela porte atteinte au principe de la continuité de l’État.
Les intentions dangereuses d’Ennahdha, d’Al Karama et de Qalb Tounes
Est-ce un hasard ? Tout laisse entendre que ce n’est pas le cas, et de nombreux observateurs de la scène politique l’ont souligné. Le secteur médiatique n’aurait plus le choix et devrait se contenter du décret-loi 116 qui risque d’être dangereusement amendé ce mardi. Le Chef du gouvernement a-t-il cédé au « Coussin politique » d’Al Karama, de Qalb Tounes et d’Ennahdha ? Là encore, tout laisse entendre que c’est le cas. Les trois partis – qui forment une troïka à l’ARP – sont plus que favorables à la proposition d’amendement. Ils ont un autre point commun, et non des moindres : tous les trois sont constamment critiqués par les médias. D’ailleurs, Al Karama a presque déclaré la guerre à la liberté de la presse et à la presse écrite en appelant l’ARP à suspendre les abonnements aux journaux.
Risques d’anarchie et de dérives
Cela nous étonne de voir le Chef du gouvernement agir de la sorte, lui qui a n’a eu de cesse de souligner l’importance d’une presse libre. Sa réponse au sujet du projet d’amendement du décret-loi 116, lors de son interview du dimanche 18 octobre 2020, révélait cette possible soumission au Coussin politique : « je suis favorable à toute initiative visant à libéraliser le secteur médiatique ». Or, la liberté qu’Al Karama, Ennahdha et Qalb Tounes veulent imposer est une simple anarchie. En effet, l’amendement prévoit la suppression des licences octroyées par la HAICA (Haute Autorité Indépendante pour la communication audiovisuelle). Autrement dit, n’importe qui, s’il a les fonds nécessaires, pourra créer son média. L’autre aspect dangereux concerne la désignation des membres de la HAICA : ce sont les blocs parlementaires qui le feront dans le cadre de l’amendement. En d’autres termes, la Troïka aura carte blanche pour désigner ses candidats.
La tension actuelle de ce mois d’octobre 2020 nous rappelle, inévitablement, les tensions d’octobre 2013, lorsque la presse a entamé sa première grève générale en Tunisie pour protester contre les agissements de la Troïka et la campagne « Ekbess » qui visait la liberté de la presse.
Une possible sortie de crise ?
Si le projet d’amendement est adopté – et il y a de fortes chances que ce soit le cas -, cela constituera une atteinte grave à la liberté du secteur médiatique. On risquerait de voir des médias pousser comme des champignons et s’inscrivant dans l’optique d’un certain nombre d’agendas douteux. Le seul espoir qui reste réside au sein de la présidence de la République. Le Chef de l’État peut, en effet, s’abstenir de promulguer le décret-loi 116 dans sa version amendée. A la question de départ – Hichem Mechichi a-t-il cédé au Coussin politique ? – La réponse semble, selon les faits et les observateurs, évidente. Mais gardons espoir, même si c’est difficile. A suivre.
Fakhri Khlissa